À une semaine des élections législatives
Tentative de suspendre l’accès aux réseaux sociaux à Maurice : conséquences désastreuses
4 novembre
Vendredi, l’annonce de la suspension de l’accès aux réseaux sociaux à Maurice pour éviter « des publications illégales » porteuses de risques pour la « sécurité nationale » jusqu’aux résultats des élections législatives le 11 novembre a été un coup de tonnerre. Il fut suivi par un rétropédalage du gouvernement annonçant le rétablissement du service. Dans un article paru le 1er novembre dans Indocile.press, Joël Toussaint apporte une analyse sur les dessous de cette affaire.
La nouvelle est apparue par le biais d’un communiqué d’EMTEL, opérateur privé de téléphonie mobile et fournisseur d’accès internet. Selon ce communiqué, EMTEL expliquait avoir été contraint par l’ICTA, l’instance régulatrice pour la communication et la technologie informatique, de limiter l’accès de ses abonnés aux réseaux sociaux jusqu’au 11 novembre, soit le jour du décompte des votes aux Législatives 2024.
De leur côté, les abonnés de MyT, l’agence de téléphonie à capitaux gouvernementaux, découvraient que leur accès aux réseaux sociaux avaient déjà été bloqués dans la nuit.
La raison avancée par l’ICTA pour bloquer l’accès aux réseaux sociaux serait la propagation de « publications illégales » pouvant compromettre la « sécurité publique » et la « sécurité nationale ».
Le régulateur internet invoquait les articles 18 (1) (a) et (m) pour démontrer qu’une telle décision faisait partie de ses attributions.
C’est contraire aux libertés fondamentales, ont réagi les responsables des partis d’opposition. En effet, la décision du régulateur annule plus particulièrement le droit à la liberté d’expression protégé par l’article 12 (1) de la Constitution. Mais l’alinéa (2) (a) de ce même article prévoit une exception pour les cas liés à la défense, à la sécurité nationale, la paix publique et la santé publique. Il ne s’agit donc pas de plaider l’inconstitutionnalité de la mesure, mais plutôt une lecture perverse et abusive des dispositions constitutionnelles.
Rétropédalage
L’accès aux réseaux sociaux serait rétabli dans les heures à venir ont appris des "représentants de groupes de presse" qui ont assisté dans la journée à une "réunion informelle" au bureau du Premier ministre. L’explication de la décision de censure serait en raison d’une ligne téléphonique directe du chef de l’Etat qui aurait été compromise. Ce qui aurait mis potentiellement en péril la sécurité de l’État. Une version qui ne corrobore pas celle de l’ICTA qui faisait mention de "publications illégales".
Il semble bien que c’est la version de l’ICTA qui serait plus proche de la réalité. En effet, la police a procédé à trois arrestations aujourd’hui (vendredi - NDLR), dont celle de Sherry Singh, l’ancien directeur général de Mauritius Telecom qui avait démissionné à la suite de l’affaire de "sniffing"du câble SAFE. C’est lui qui avait désigné le responsable de cette opération Indienne sous le vocable "Monsieur Moustache". Or, depuis une semaine, il y a un internaute qui, sous l’identité de "missie moustas", publie des extraits de conversations téléphoniques compromettantes impliquant le Premier ministre et son entourage, ainsi que le Commissaire de police. Le bureau du Procureur, le DPP, a ouvert une enquête judiciaire pour faire la lumière sur la mort de Jacquelin Steeve Juliette, âgé de 36 ans, décédé dans des circonstances douteuses en janvier 2023 à la Résidence Ste-Claire. Cet homme de 36 ans aurait été victime de brutalités policières lors de son arrestation. Cette enquête survient à la suite d’une des fuites de "Missie Moustas" où il serait question des instructions du commissaire de police au responsable du service médico-légal de maquiller la cause du décès.
Désormais, le gouvernement ne peut plus nier la pratique des écoutes téléphoniques à Maurice. Tant qu’il s’agissait des personnes proches de l’opposition, cette pratique n’indisposait pas vraiment les Mauriciens. Cette fois, cependant, le couteau s’est révélé à double tranchant : même le Chef de l’Etat et son entourage auraient été enregistrés. La supposition d’une manipulation des voix par l’Intelligence Artificielle a échoué lamentablement.
Des retombées calamiteuses
Les conséquences de cette mesure sont désastreuses, pas seulement pour le gouvernement sortant, mais surtout pour des milliers d’entreprises, des PME aux grosses corporations qui usent des réseaux sociaux pour leurs activités commerciales et promotionnelles. Le secteur touristique aura peut-être été le plus impacté car, le gros de la promotion de la destination passe par les publications des vacanciers eux-mêmes, qui se font les meilleurs agents des divers prestataires de service : de la roulotte en bord de mer aux cinq-étoiles, en passant par le réceptif et autres skippers de bateaux de plaisance.
Désastre politique également car, Didier Sam-Fat, un nominé du gouvernement à la tête du comité national pour la cybersécurité, a démissionné ce matin, affirmant jeter son tablier à la suite de différends avec Deepak Balgobin, le ministre de la Technologie et aussi parce qu’il considère "catastrophique" la décision prise par l’ICTA. Dans une déclaration au quotidien Le Mauricien, il affirme : « En tant que citoyen, je suis triste et cela fait peur ».
Au-delà du désastre économique, il faut aussi considérer le désastre au plan diplomatique. Jusqu’ici les représentations diplomatiques rapportaient des cas d’atteintes aux droits de l’homme, notamment les cas de torture et de décès de prévenus dans les cellules policières ou à la prison. Le niveau est monté, pour passer cette fois à une atteinte à la démocratie.
A une semaine des élections, cette décision du gouvernement n’était pas de la meilleure inspiration. Pour le gouvernement sortant, un désastre électoral semble se profiler à l’horizon.
Source : Indocile.press