Leçons de la pénurie d’eau à Mayotte
22 septembre 2023, par
Nous sommes bien loin de l’opération « Poursuivez-les ! Tuez-les ! », lancée en début d’année, comme étant la priorité du moment. Darmanin, ministre de l’intérieur, est venu personnellement apporter sa caution. Il paraît que 1500 gendarmes et soldats ont été engagés dans une action militaire, sans lendemain. Des élus drapés dans l’écharpe tricolore appelaient au crime, sans être inquiétés. Il était entendu qu’après ça, tout irait mieux. Et puis, en septembre, c’est le manque d’eau qui paralyse le pays. La raison avancée, c’est la sécheresse qui a fait baisser le niveau des réserves.
La situation est tellement grave qu’on va chercher de l’argent public pour financer l’achat et l’acheminement de l’eau en bouteille. De La Réunion sont parties 600 000 bouteilles d’Australine et Edena. Suivront 1,2 million d’unités. Parallèlement, les services de gestion de l’eau et les pouvoirs locaux gèrent la pénurie. Or, dans le système français, la gestion de l’eau a été privatisée et fait l’objet d’une comptabilité annexe par rapport au budget principal des Collectivités. Comment arrive-t-on à cette situation extrême où l’argent public vient combler les carences du capitalisme de l’eau ? C’est bien le problème de gouvernance, le modèle urbain et l’absence d’anticipation qui sont en cause.
Pour le coup, il est difficile de faire la diversion anti-comorienne. Si Mayotte est française et carencée, que se passe-t-il dans les 3 autres îles voisines ? A Anjouan, la plus proche, près d’une dizaine de cours d’eau assurent les besoins essentiels. Sur la Grande-Comore, la tradition est de construire des réserves d’eau de pluie, en particulier, sous la maison. Il n’est pas rare de disposer de tank sur le toit, alimenté occasionnellement par une pompe. La capitale Moroni, plus urbanisée, est surtout alimentée par la nappe phréatique. Mohéli, tout comme ses 2 sœurs, ne connaît pas de pénurie mais est engagée dans un système de qualité et de résilience. Cinq entreprises comoriennes se partagent la production de l’eau en bouteille, sans compter la vente des marques importées de Madagascar et de Dubaï. Les autorités mahoraises ne pourront pas éviter un marché parallèle moins cher que l’eau réunionnaise.
La leçon de Mayotte doit interpeller La Réunion où, chaque jour, des millions de mètres cubes d’eau sont jetés à la mer. Cela n’intéresse pas le capitalisme de l’eau, si prompt à contrôler la moindre citerne d’eau de pluie. Même pour arroser vos fleurs et nettoyer la cour, vous devez installer un compteur d’eau et payer des taxes ! Les petits profits rapportent gros. Les pouvoirs publics sont complices. Autant, il est positif de souligner le gaspillage de nourriture mais pourquoi laissent-ils filer à la mer près de 400 milliards de litres par an ? En somme, c’est toxique pour les humains mais c’est agréable pour les poissons que les humains vont ensuite consommer.
Finalement, la leçon à retenir : ne faudrait-il pas judiciariser la pénurie de l’eau, rendre criminel les carences des pouvoirs publics et des capitalistes de l’eau devant un droit fondamental à la vie ?
Ary Yee-Chong-Tchi-Kan