Les solutions souhaitables au différend franco-comorien sur l’île de Mayotte - 3

« Les mesures souhaitables incombant au Gouvernement de Moroni »

13 janvier 2009

Dans la troisième partie de sa libre-opinion, le professeur André Oraison précise la situation institutionnelle de Mayotte dans le droit public comorien.

L’objectif ambitieux de tout Gouvernement comorien responsable soucieux de rassembler toutes les populations des Comores dans une même entité politique sera difficile à mettre en œuvre, au moins dans un avenir immédiat. Il lui appartient de se montrer beaucoup plus convaincant aux yeux de la Communauté internationale et d’abord aux yeux des populations de Mayotte. Il est vrai que pour ces dernières, les Comores indépendantes sont synonymes depuis le 6 juillet 1975 de "République bananière", d’assassinat de Présidents de la République - notamment Ali Soilihi le 29 mai 1978 et Ahmed Abdallah le 26 novembre 1989 - d’attentats, de complots et de coups d’État à répétition, réussis ou non, plus ou moins sanglants et avec ou sans la participation des mercenaires de Bob Denard.

C’est un fait que depuis la proclamation unilatérale d’indépendance décidée par Ahmed Abdallah le 6 juillet 1975, les îles Comores représentent un petit État du Quart Monde déjà surpeuplé avec plus de 610.000 habitants pour une superficie avoisinant les 2.000 kilomètres carrés. Elles sont synonymes d’arbitraire du pouvoir, d’instabilité politique chronique, de violation du droit d’expression et notamment d’atteinte à la liberté de la presse, de sous-développement économique, d’absence de programme sanitaire et social, de gaspillage permanent des deniers publics ou encore de corruption généralisée érigée en méthode de gouvernement. C’est dire que la situation y est désastreuse de manière durable dans tous les domaines. On peut dès lors comprendre que les entreprises étrangères refusent d’investir aux Comores tandis que l’aide internationale accordée au Gouvernement de Moroni avec de plus en plus de parcimonie bénéficie surtout aux populations de la Grande Comore. Voilà pourquoi une partie des élites mahoraises refuse que la priorité soit donnée à l’insertion de l’île de Mayotte dans son environnement régional immédiat.

Creusement des inégalités entre Mayotte et les trois autres îles

Il est certain qu’au cours de la même période, la situation a évolué dans un sens différent à Mayotte - l’île la plus riche de l’archipel des Comores en terres cultivables - même s’il reste encore beaucoup à faire dans ce "nouvel Eldorado". Il est vrai qu’avec un budget nettement plus important que celui des Comores indépendantes, même s’il est presque exclusivement financé par la Métropole, "l’île Hippocampe" a connu une mutation politique, démographique, culturelle, sanitaire, sociale et économique impressionnante depuis l’adoption de son statut de "collectivité territoriale" défini par la loi du 24 décembre 1976. Le niveau de vie y est aujourd’hui huit à dix fois plus élevé que dans le reste de l’archipel comorien.

Un tel changement opéré dans la stabilité avec l’aide pérenne de la France n’est pas sans conséquences. Il a fait perdre beaucoup de terrain aux indépendantistes mahorais et plus encore aux partisans du rattachement de Mayotte à l’Union des Comores. De surcroît, comme le soulignait déjà en 1995 - avec beaucoup de lucidité - Abdourahamane Cheikh Ali dans un journal comorien "Al Watwan", « plus de la moitié des Mahorais sont nés après le divorce entre Mayotte et le reste de l’Archipel des Comores et ignorent donc toute expérience de lien organique entre les quatre îles ». Abdourahamane Cheikh Ali précisait qu’on peut dès lors comprendre que, pour eux, « l’intégration de Mayotte » dans l’ensemble comorien « constitue un saut dans l’inconnu » (1).

Mayotte citée deux fois dans la Constitution de l’Union des Comores

En vérité, la sécession d’Anjouan le 3 août 1997, la prise du pouvoir à Moroni le 30 avril 1999 par une junte militaire dirigée par le colonel Azali Assoumani et le fait que, chaque année, des milliers d’Anjouanais, de Grands Comoriens et de Mohéliens - les nouveaux boat-people du canal de Mozambique - risquent leurs vies en mer en essayant de gagner clandestinement les rives mahoraises sur des embarcations de fortune surchargées (les "kwassa kwassa" ou barques de pêche), pour des raisons économiques, politiques, sanitaires, scolaires et sociales ne peuvent que les interpeller sur l’objectif visant à réunifier, d’une façon ou d’une autre, les "îles de la Lune" sous le même drapeau comorien.

Certes, le colonel Azali Assoumali qui avait pris le pouvoir le 30 avril 1999 en vue de résoudre la sécession anjouanaise après avoir renversé le Gouvernement intérimaire - lui-même installé au lendemain de la mort suspecte du Président Mohamed Taki (survenue le 6 novembre 1998) - a permis à la fois le retour d’Anjouan dans le giron comorien et le rétablissement au moins formel de la légalité républicaine (2). À cette fin, il a fait adopter par la voie d’un référendum organisé le 23 décembre 2001 la Constitution de l’Union des Comores qui institue un régime de type présidentiel dans le cadre d’un État fédéral (3). Originaire de la Grande Comores, le colonel Azali Assoumali a dans la foulée réussi à se faire élire premier Président de l’Union, le 14 avril 2002, pour un mandat de quatre ans tout en indiquant - dès son entrée en fonction - que l’une de ses priorités demeurait le retour de Mayotte dans l’ensemble comorien. Faut-il par ailleurs ajouter qu’en vertu de l’article 1er de la nouvelle Loi fondamentale comorienne dont il a été la cheville ouvrière, l’État des Comores comprend toujours quatre éléments qui sont nommément les îles d’Anjouan, de la Grande Comore, de Mohéli et de Mayotte (Maoré) ? Quant à l’article 39 de la Charte suprême comorienne, il prévoit que « la présente Constitution sera révisée afin de tirer les conséquences du retour de Maoré au sein de l’Union » (alinéa 2). Il faut donc saluer cette embellie constitutionnelle survenue à partir de 2001 dans la zone du canal de Mozambique. Mais les efforts ainsi réalisés et couronnés de succès dans la voie du retour à la démocratie et à la bonne gouvernance sont encore insuffisants.

André Oraison,
Professeur de droit public à l’Université de La Réunion

(1) Voir CHEIKH ALI (A.), "Règlement de la question de Mayotte : confrontation ou dialogue ? Que faire ?", Al-Watwan, Le Premier Journal des Comores, numéro 363 du 19 au 25 mai 1995, p. 2.

(2) Le retour de l’île d’Anjouan dans l’ensemble comorien en 2001 après sa proclamation unilatérale d’indépendance en 1997 ne paraît pas être définitivement assuré. Depuis 2005, la deuxième "île Rebelle" de l’archipel après Mayotte montre des velléités d’autonomie renforcée par rapport aux autorités centrales de Moroni. De surcroît, le colonel Mohamed BACAR s’est fait élire Président d’Anjouan le 10 juin 2007 dans des conditions jugées irrégulières par les responsables de l’Union des Comores. En lançant le 25 mars 2008 l’opération "Démocratie aux Comores", le Président Mohamed SAMBI a en fait pris prétexte de cet incident - au demeurant très grave - pour rétablir par la force la légalité à Anjouan avec l’aide de certains pays membres de l’Union Africaine et le soutien logistique de la France. Voir RÉMY (J.-Ph.), "Comores. Opération des troupes fédérales de l’archipel et de l’Union Africaine pour chasser le colonel BACAR", Le Monde, mercredi 26 mars 2008, p. 4.

(3) Voir ORAISON (A.), "La mise en place des institutions de l’« Union des Comores » créée par la Constitution du 23 décembre 2001. L’avènement d’un régime présidentiel et fédéral dans un État francophone du canal de Mozambique", R.F.D.C., 2004/4, pp. 771-795.

Ile de Mayotte

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