Mayotte : misère du monde et identité nationale.

27 février 2008

Trois ans après la polémique sur la restriction du droit du sol à Mayotte, le gouvernement, par la bouche du Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer Christian Estrosi, relance un débat qui, au-delà de la simple problématique de l’intégration, remet en perspective la question de notre identité nationale, matinée pour l’occasion de velléités de co-développement dans le Sud-Ouest de l’Océan Indien dont on ne précise bien sûr jamais le contenu.

Ce débat nous transporte naturellement sur le terrain éthiquement et politiquement dangereux des rapports entre l’immigration, l’identité nationale et le co-développement, auxquels le gouvernement a donné corps au travers de la mise en place du très controversé ministère détenu par Brice Hortefeux. Car associer "immigration", "identité nationale" et "co-développement" dans un même ministère marque une profonde rupture dans l’histoire de la République : il s’agit clairement pour ce gouvernement d’inscrire l’immigration comme problème pour la France.

L’identité nationale en France, compte tenu de notre histoire démographique et coloniale, devrait constituer la synthèse du pluralisme et de la diversité des populations. Or, l’accumulation des compétences du ministère de M. Hortefeux lui permet de reconstruire et d’orienter ladite identité nationale : afin de l’instrumentaliser : pouvoirs de police et de contrôle de l’immigration, définition d’une politique de la mémoire dans le domaine de l’immigration, autorité sur l’octroi de l’asile politique, sur les choix de co-développement.... Choisir qui peut entrer, qui est utile, assimilable, qui peut être soutenu. Définir qui reste sur le pallier.

Le choix de Mayotte comme laboratoire de la transformation du droit du sol s’inscrit dans le cadre de cette nouvelle gestion des flux migratoires voulue par le Président Sarkozy : l’immigration choisie. Cette collectivité départementale d’Outre-mer, qui devrait vraisemblablement approuver cette année par referendum l’évolution de son statut vers celui de Département d’Outre-mer (DOM), pourrait faire l’objet « d’une décision exceptionnelle qui fasse que tout enfant né en situation irrégulière ne puisse réclamer son appartenance à la nation française », selon les mots du secrétaire d’Etat à l’Outre-mer.

Mayotte, avant-poste du Nord dans l’Océan Indien au contact des Pays les Moins Avancés du Sud et dont on estime la population immigrée clandestine au tiers de la population totale (160.000 habitants), connaît, toutes proportions gardées, une pression migratoire comparable à celle de Mellila, Lampedusa, ou à celle des Canaries. Mayotte ne peut échapper à son environnement géographique et à son histoire. Seule île de l’archipel des Comores ayant obtenu, en 1974, par referendum, son refus de l’indépendance et son rattachement à la France, Mayotte n’en conserve pas moins des échanges sans limitation avec l’Union des Comores indépendante. C’est le gouvernement Balladur qui, en 1994, impose un visa aux Comoriens : rares étant les bénéficiaires du précieux sésame, les échanges commerciaux et les liens familiaux ancestraux tissés entre les quatre îles de Grande Comore, Mohéli, Anjouan et Mayotte s’en trouvent brutalement rompus. L’entrave à la libre circulation des populations ouvre dès lors la voie à une immigration clandestine incontrôlable, alimentée par une noria de kwassa-kwassa (embarcations aléatoires destinées au transport des clandestins) aux naufrages fréquents et terriblement meurtriers.

Comment empêcher les flux entre des îles qui partagent depuis des siècles une même culture, une même langue (dérivée du swahili), une même histoire commune ? Dans quelle mesure Mayotte, perçue comme un îlot de richesse et de stabilité par ses voisins du Canal du Mozambique, peut-elle repousser indéfiniment des populations fuyant la misère, la surpopulation, la corruption, voire la violence et l’instabilité politique d’une Union des Comores de plus en plus animée par des mouvements centrifuges (Anjouan, qui a voté son rattachement à la France en 1997, est actuellement en état de guerre civile) ? Le développement induit par l’obtention du statut départemental et son corollaire, le statut de Région Ultrapériphérique Européenne, va renforcer l’attractivité de Mayotte et accentuer les flux clandestins. La stratégie du bunker, contre productive car elle alimente une immigration croissante et non contrôlée, montrera rapidement ses limites.

Pour ne pas avoir à subir demain, il faut poser le problème à plat. Quelles sont les motivations principales de ces mouvements de populations ? Mieux vivre dans la plupart des cas. Scolariser ses enfants, leur ouvrir des possibilités de promotion sociale souvent. Se soigner, accoucher en toute sécurité, de plus en plus fréquemment. Et bien souvent, tout simplement, rendre visite à sa parenté. L’assouplissement des conditions de circulation entre Mayotte et l’Union des Comores apparaît comme le préalable à la diminution des flux clandestins et à la reprise de relations ancestrales et familiales. Les millions d’euros consacrés à la surveillance du territoire peuvent ainsi être réinvestis dans des politiques de co-développement plus efficaces, car s’inscrivant dans le cadre d’un développement durable. L’abaissement des droits de douanes sur les produits comoriens pourrait dynamiser les échanges commerciaux et le développement de l’archipel. La relance des transports entre l’archipel et La Réunion doit permettre le développement de structures touristiques fonctionnant de manière complémentaire.

Mais c’est sur l’éducation et la santé que l’essentiel des moyens doit être concentré. Construire des dispensaires, des maternités et des centres hospitaliers dans chacune des îles. Profiter du CHU de La Réunion pour former à la fois des professionnels de santé et des techniciens des maintenance des appareillages médicaux. Inciter ces professionnels une fois diplômés à contribuer au développement de leur archipel en dispensant un enseignement de pointe validé par des diplômes spécifiques reconnus par leurs pays d’origine. Construire des écoles, former des enseignants en utilisant le potentiel offert par l’Université de La Réunion, laquelle accueille insuffisamment les bacheliers comoriens. Dépourvus d’Université chez eux, ils partent massivement étudier en Libye, en Egypte ou au Soudan, grâce aux aides d’ONG saoudiennes dont les objectifs ne sont pas neutres politiquement. Il importe dès lors de mettre en place des partenariats d’échanges universitaires pour favoriser l’émergence de pôles de compétences et de recherche scientifique.

La restriction du droit du sol, mesure idéologique au service d’une conception d’une identité française frileuse et figée, perd ainsi toute substance lorsqu’on lui oppose une politique volontariste de co-développement. Elle est en outre contraire à l’esprit de notre Constitution pour laquelle « l’acquisition de la nationalité française ne peut différer d’un endroit à l’autre de la République ». Et Mayotte, c’est la République. Mayotte et les Outre-mers en général n’ont pas vocation à servir de laboratoire de déconstruction des valeurs de la République. Ces territoires, qui nourrissent l’identité de l’ensemble France par leurs apports et leurs différences, ont, de par leur position de contact entre le Nord et le Sud, un rôle essentiel à jouer dans le développement durable de leur environnement régional. Ce n’est pas en se repliant sur soi-même mais en s’ouvrant au monde, en partageant leur savoir et savoir-faire, qu’il rempliront au mieux cette mission.

Pascal Basse,
Délégué national du MRC aux Outre-mers

Ile de Mayotte

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