Grande manifestation au lendemain de l’arrivée de la ministre des Outre-mer

Mayotte : « nous allons défier le gouvernement »

14 mars 2018, par Manuel Marchal

Insatisfaits par les mesures présentées la veille par Annick Girardin, ministre des Outre-mer, plusieurs milliers de Mahorais ont manifesté hier dans les rues de Mamoudzou avec l’idée de défier le gouvernement. Plusieurs centaines d’entre eux se sont dirigés par le Conseil départemental pour dénoncer la « trahison » d’élus jugés coupables d’avoir participé à une rencontre avec la ministre des Outre-mer. La tension qui règne à Mayotte fait la « une » de la presse parisienne, tandis que le gouvernement reste impuissant devant l’évolution de la situation.

Les manifestants ont investi hier le Conseil départemental. Ils attendent des actions concrètes de la part de leurs élus. (photo Mayotte Première)

Un problème créé en 1975 par une aventure institutionnelle avec à la manœuvre Olivier Stirn, alors ministre des DOM-TOM, et des élus de Mayotte amène une île peuplée officiellement de 250.000 personnes au bord de l’explosion. À une époque où sévissait la fraude électorale massive, le gouvernement de l’époque avait organisé la séparation de Mayotte de l’ensemble comorien. Les intérêts d’une classe coïncidaient avec ceux d’une ancienne puissance coloniale. Grâce au maintien de Mayotte sous son administration, la France pouvait conserver une position stratégique à l’entrée du canal du Mozambique, dans une zone où transite une part importante du trafic maritime mondial.

C’est aussi un point d’appui au large de Madagascar. Rappelons que c’est en 1975 que les militaires français sont expulsés de Madagascar, les bases perdues par la France dans la Grande île sont alors transférées à La Réunion.

Paris a sous-estimé la démographie

Depuis 1975, l’adhésion de la population au maintien de l’administration française était notamment lié à la promesse de la citoyenneté française, avec les droits sociaux qui en découlent. La France a donc lancé un programme de transferts publics qui ont permis de construire des infrastructures. Cet argent a aussi permis de financer le développement de filiales mahoraises d’entreprises qui contribuent à capter les transferts publics par une politique de prix élevés. Ceci est encore accentué par la transformation de la collectivité en département français. Une conséquence de l’administration française du territoire est l’intégration dans l’Union européenne en tant que région ultrapériphérique avec les crédits qui en découlent. Tout s’organise donc comme précédemment à La Réunion. Mais bien avant que l’égalité sociale soit acquise, la crise est déjà là, conséquence de l’environnement géographique de Mayotte, et de la poussée démographique.

Quand Paris a refusé de reconnaître le résultat du référendum de 1974, Mayotte avait 50.000 habitants. Aujourd’hui, elle en compte officiellement 250.000 et d’après les Mahorais qui manifestent, la population d’immigrés clandestins est égale à la population légale. Ce qui voudrait dire que Mayotte pourrait compter 500.000 habitants, soit une population multipliée par 10 depuis 1975, en 43 ans. Aucun département français n’a connu une telle progression démographique depuis son intégration dans la République.

Une fois de plus, les dirigeants parisiens ont sous-estimé un facteur essentiel ; la démographie.

Apartheid social

Comment dès lors s’étonner qu’à Mayotte la situation soit devenue explosive. La structure mise en place par la France dans les départements situés dans l’océan Indien, dans la Caraïbe ou en Amérique du Sud n’ont pas été prévues pour faire face à une telle progression démographique. Aucun département français ne connaît une société coupée en deux avec une partie ayant la citoyenneté française et aspirant à l’égalité sociale avec les autres citoyens de la République, et une autre partie dont le nombre est inconnu, et qui est composée d’immigrants clandestins qui n’ont aucun droit. Cette division intervient alors que Mayotte connaît une croissance économique due aux transferts publics, qui fait émerger une classe capable de consommer à l’occidentale.

En 2011 déjà, une mission d’Elie Hoarau, en tant que député au Parlement européen, avait dénoncé la situation d’apartheid social subie par tous les Mahorais ayant droit à la solidarité nationale. Car si Mayotte est un département, ses citoyens n’ont pas droit à l’égalité pour le RSA et les prestations sociales. S’ils veulent l’obtenir, ils sont obligés de se rendre à La Réunion.

À cela s’ajoute le problème de l’immigration illégale. Pour des manifestants hier, c’est à Paris de le régler. Certains ont même demandé que les personnes qui entrent illégalement à Mayotte soient hébergées en France. Les raisons de cette migration sont connues. Elles découlent des multiples coups d’État qui ont bloqué le développement des Comores. Ces coups d’État étaient orchestrés par d’anciens officiers de l’armée française. Pendant que l’État comorien faisait face à ces problèmes, la France a injecté massivement des fonds publics à Mayotte, ce qui a contribué à creuser le fossé entre les îles de l’archipel. Mayotte bénéficie ainsi d’un hôpital aux normes européennes, ce qui n’est pas le cas d’Anjouan, l’île la plus proche. D’où un nombre important de femmes venues d’Anjouan pour accoucher dans de meilleures conditions de sécurité.

Incroyable remise en cause du droit du sol

Les réponses apportées par la ministre des Outre-mer sont loin de satisfaire la population. Elles traduisent l’impuissance de Paris, complètement dépassé par les conséquences d’une décision prise voici 43 ans.

Il n’est pas question de réponse aux problèmes de fond. L’augmentation du nombre de gendarmes ne suffira pas. En effet, l’intensification de toute répression ne peut rien face aux problèmes créés par la démographie et aux inégalités. Annick Girardin a même été jusquà lancer l’idée d’une extraterritorialité de l’hôpital de Mayotte, pour que les enfants qui y naissent n’aient pas automatiquement la nationalité française. Cette proposition pour le moins populiste a été vivement critiquée par plusieurs spécialistes de droits constitutionnel, qui rappelle que la remise en cause du droit du sol dans une partie de la République constitue justement une atteinte au principe d’unité de cette même République.

La puissante manifestation d’hier montre que le gouvernement doit faire preuve de plus d’imgination pour espérer résoudre le problème. Sans doute serait-il bien inspiré de s’imprégner des revendications portées par les Mahorais pour que les solutions de sortie de crise puissent être acceptées par le plus grand nombre.

M.M.

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