Le 19e sommet a commencé à Belgrade

1961-2021, les non alignés ont 60 ans

13 octobre 2021, par David Gauvin

C’est en grande pompe que la Serbie accueille le XIXe sommet du mouvement des non-alignés. Cette organisation a en effet vu le jour il y a 60 ans à Belgrade, alors capitale de la Yougoslavie socialiste.

Mouvement des non-alignés : en bleu foncé les Etats membres, et en bleu clair les Etats observateurs.

Si la première conférence officielle du mouvement des non-alignés a bien eu lieu à Belgrade en septembre 1961, deux rendez-vous l’avaient précédée : la conférence de Bandung, en Indonésie, en 1955, et celle de Brioni, une petite île de la mer Adriatique abritant la résidence d’été du président Tito, l’année suivante. Outre Tito, le chef de la Yougoslavie autogestionnaire, promoteur d’un socialisme différent du modèle soviétique, trois hommes sont à l’origine du mouvement, l’Indien Nehru, l’Indonésien Soekarno et l’Égyptien Nasser. Dans le monde polarisé de la guerre froide, il s’agissait de faire entendre la voix de ce que l’on appelait alors le « tiers-monde » et celle des pays en train de se libérer de la tutelle coloniale. Vingt-cinq États ont participé à la conférence de Belgrade en 1961, dont le gouvernement provisoire de l’Algérie, encore en guerre contre la France. La condition d’entrée dans le club était stricte : n’appartenir à aucune alliance militaire tant avec les États-Unis qu’avec l’Union soviétique. Le mouvement regroupe aujourd’hui pas moins de 120 États, auxquels il faut ajouter des pays et des organisations internationales qui ont un statut d’observateurs mais, depuis la fin de la guerre froide, il a perdu son importance stratégique.

Le mouvement des non-alignés est une organisation internationale regroupant 120 États en 2012, qui se définissent comme n’étant alignés ni avec ni contre aucune grande puissance mondiale (17 États et 9 organisations internationales y ont en plus le statut d’observateur). En effet, ce mouvement né durant la guerre froide visait à regrouper les États qui ne se considéraient comme alignés ni sur le bloc de l’Est ni sur le bloc de l’Ouest. Le but de l’organisation défini dans la « déclaration de La Havane » de 1979 est d’assurer « l’indépendance nationale, la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité des pays non alignés dans leur lutte contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, la ségrégation, le racisme, et toute forme d’agression étrangère, d’occupation, de domination, d’interférence ou d’hégémonie de la part de grandes puissances ou de blocs politiques » et de promouvoir la solidarité entre les peuples du tiers monde. L’organisation, dont le siège est à Lusaka en Zambie, regroupe près des deux tiers des membres des Nations unies et 55 % de la population mondiale. Le mouvement des non-alignés comprend plusieurs membres assez importants à l’échelle mondiale, comme l’Indonésie, l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Iran, ainsi qu’autrefois la Yougoslavie. Le Brésil n’a jamais été un membre officiel du mouvement, mais il partage plusieurs de ses vues et envoie régulièrement des observateurs à ses sommets. La République populaire de Chine fait également partie des pays observateurs.

Alors que l’organisation avait à l’origine pour but d’être aussi solide et unie que l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ou le Pacte de Varsovie, elle a dans les faits peu de cohésion, et plusieurs de ses membres ont été à un moment ou à un autre étroitement liés avec une grande puissance. Par exemple, Cuba était très proche de l’URSS lors de la guerre froide. L’Inde s’est aussi rapprochée de l’URSS durant quelques années pour combattre la Chine. Le mouvement a également fait face à des dissensions internes quand l’URSS a envahi l’Afghanistan en 1979. D’un côté les États clients de l’URSS approuvaient l’invasion, et de l’autre, certains membres (surtout les États à majorité musulmane) la condamnaient. Lors de la conférence d’Alger (5-9 septembre 1973), le mouvement initie un programme intitulé le « Nouvel ordre économique mondial » (NOEI), qui est adopté par consensus lors de l’Assemblée générale des Nations unies le 1er mai 1974. Ce programme propose des mesures concernant les matières premières, le financement du développement, l’industrialisation, les transferts de technologie et le contrôle des firmes multinationales. Cette initiative sera mise en échec par le contexte de crise sévissant alors et l’opposition de fait des pays développés. Dans l’esprit du NOEI, se développe, à partir de 1973, la coopération arabo-africaine entre deux organisations internationales (l’OUA et la Ligue arabe) qui toutes deux souscrivent aux principes du non-alignement.

Créé dans le contexte de la guerre froide, le mouvement a dû trouver un nouveau souffle à son issue à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique. De plus, les États issus de l’éclatement de la Yougoslavie (l’un des membres fondateurs) ont montré peu d’intérêt pour l’organisation depuis la dissolution du pays. Enfin en 2004, Malte et Chypre se sont retirés lors de leur entrée dans l’Union européenne. Néanmoins, l’organisation continue de jouer un rôle important. Elle a par exemple refusé de suivre les instances du consensus de Washington, lequel regroupe le Fonds monétaire international (FMI), l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et la Banque mondiale, considérant que ce serait nuisible aux intérêts de ses membres.
Loin de s’estomper, le legs de l’ère de la guerre froide se poursuit. De nouvelles tendances s’inspirent des acquis des luttes de décolonisation. Ainsi, le politologue Aziz Salmone Fall, dans le sillage de Ben Barka, avec son Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique (GRILA) prône un renouveau de la Conférence tricontinentale, un développement autocentré aux fondements écosystémiques, et plaide pour un mondialisme polycentrique. En tout cas, le sommet des 60 ans marque aussi l’entrée de la Russie comme Etat observateur. Que ce soit les Non Alignés, l’ASEAN, la zone de libre-échange continentale africaine, l’émancipation des peuples vis à vis des impérialismes est un processus qui va arriver à son terme. Quelle place pour la Réunion dans le nouveau concert des nations, seulement un bout de France dans l’Océan Indien ou une puissance régionale à part entière intégré à l’Etat Francais et l’Union Européenne ? C’est une question essentielle pour résoudre notre équation du développement.

«  Faisons naître une nouvelle Asie et une nouvelle Afrique !  » Soekarno à la conférence de Bandoeng

Nou artrouv’

David Gauvin

A la Une de l’actu

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus