Tribune libre par André Oraison*

À propos de la prochaine consultation populaire programmée dans l’île de Mayotte “à l’horizon 2010” - 1 -

27 juin 2006

Quel sort prévisible à court et moyen terme pour Mayotte, une île postée en sentinelle à l’entrée Nord du Canal de Mozambique entre l’Afrique orientale et Madagascar, étendue sur 374 kilomètres carrés, française depuis le 25 avril 1841, peuplée par plus de 160.000 habitants d’origine africaine, de religion musulmane (à 95%), soumise au droit coranique et à la coutume locale, à la fois française et francophile, mais non francophone de naissance (à plus de 80%) ?

Redevenir définitivement comorienne contre la volonté de ses habitants clairement exprimée, lors des référendums organisés les 22 décembre 1974 et 8 février 1976 ? Se transformer à contre-courant du sens de l’Histoire en pays occidental par la grâce de la départementalisation, à l’instar de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique ou de La Réunion, au motif que le statut de DOM permet un ancrage plus grand de l’île au sein de la République comme le souhaite une partie des élus et des responsables politiques locaux depuis le 2 novembre 1958 ? Ou bien éviter l’instauration d’une économie artificielle et l’assistanat généralisé qui résulteraient à coup sûr de l’intégration à la France métropolitaine et à l’Union européenne - à l’issue d’une nouvelle consultation populaire prévue "à l’horizon 2010" - en restant plus simplement mahoraise dans son contexte spécifique, avec un statut interne "taillé sur mesure" au sein de la République française, comme le voudrait le bon sens ?

Ces questions se posent après le vote par le Parlement de la loi statutaire du 11 juillet 2001, "relative à Mayotte", qui fait de ce territoire une "collectivité départementale" (article 1er) (1). Résultant de la loi du 24 décembre 1976, votée à la suite d’un scrutin d’autodétermination interne du 11 avril 1976, le statut de "collectivité territoriale" - très critiqué pendant vingt-cinq ans par l’ensemble des Mahorais - a été remplacé après accord des populations locales, intervenu le 2 juillet 2000 (2). Mayotte peut continuer à exercer les compétences qui résultent de la loi de 1976 pendant une nouvelle période transitoire de dix ans. Mais elle reçoit en outre progressivement de nouvelles compétences, de caractère départemental et de caractère régional, notamment dans le domaine de la coopération décentralisée. Le statut de "collectivité départementale" doit permettre d’adopter une organisation juridique, économique et sociale de nature à rapprocher Mayotte le plus possible - on l’espère dans la population locale - du droit commun des DOM, tout en étant adaptée à l’évolution de la société mahoraise. Ce statut évolutif de Mayotte prévoit encore que les Mahorais continueront à bénéficier de la "spécialité législative" qui était déjà applicable dans le cadre du statut de "collectivité territoriale".

Il en est ainsi jusqu’“à l’horizon 2010”, date à laquelle ils pourront choisir un statut interne stable, sinon définitif (I) qui, à notre avis, ne devrait pas être celui de département d’Outre-mer (II).

I. Le choix du statut définitif de Mayotte décidé “à l’horizon 2010” par la loi du 11 juillet 2001

La caractéristique essentielle de la loi du 11 juillet 2001 est de doter Mayotte d’un régime provisoire. Dans son article 2-III, elle dispose en effet : "À compter de la première réunion qui suivra son renouvellement en 2010, le Conseil général de Mayotte peut, à la majorité des deux tiers de ses membres, adopter une résolution portant sur la modification du statut de Mayotte. Cette résolution est transmise au Premier ministre par le président du Conseil général". La loi précise que "dans les six mois qui suivent la transmission de cette résolution au Premier ministre, un projet de loi portant modification du statut de Mayotte sera, conformément aux dispositions de l’accord du 27 janvier 2000 sur l’avenir de Mayotte, déposé au Parlement". Il faut donc s’attendre “à l’horizon 2010”, à une nouvelle consultation des Mahorais expressément prévue par l’Accord sur l’avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000 et confirmée par la loi du 11 juillet 2001. Déjà bien entamée, la décennie 2001-2010 apparaît ainsi comme un nouveau délai devant permettre à Mayotte de rattraper ses retards dans les domaines économiques, sociaux, sanitaires et culturels et de se rapprocher "progressivement" du droit métropolitain. Mais ce retard sera-t-il effectivement rattrapé au cours de cette période relativement courte ? Pour la plupart des observateurs, rien n’est moins sûr.

Il en est ainsi même si la société mahoraise, largement rurale, musulmane et traditionnelle, est pour sa part désireuse, à une large majorité, d’opter en faveur du statut de DOM afin de bénéficier d’un afflux plus substantiel de fonds en provenance de la France métropolitaine et de l’Union européenne, tout en espérant un ancrage plus grand au sein de la République. On ne saurait ignorer que la marge de manœuvre des Mahorais n’est pas illimitée en dépit de la reconnaissance, à leur profit, d’un droit à l’autodétermination interne depuis la loi du 31 décembre 1975. On a pu ainsi déjà constater qu’en lui conférant le statut de "collectivité territoriale" par la loi du 24 décembre 1976, sur la base de l’article 72 de la Constitution, "les autorités compétentes de la République" n’avaient pas tenu compte de la volonté des Mahorais qui s’étaient prononcés - sans doute illégalement mais clairement - à une très large majorité pour le statut de DOM, lors de la consultation populaire du 11 avril 1976.

À suivre...

* Professeur de droit public à l’Université de La Réunion (Université Française et Européenne de l’Océan Indien).

(1) Voir la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001, relative à Mayotte, in J.O.R.F., 13 juillet 2001, pp. 11199-11219.
(2) Voir ORAISON (A), "Réflexions générales sur le nouveau statut administratif provisoire de Mayotte (Le processus d’élaboration du statut de "collectivité départementale" fixée jusqu’"à l’horizon 2010" par la loi du 11 juillet 2001 "relative à Mayotte")", R.J.P.I.C., janvier-avril 2002, pp. 46-61.


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