Mayotte : où est donc la République ? - 1 -

A propos des élèves « en situation irrégulière »

25 février 2008

Un grand-père arrêté devant une école, une vieille dame grabataire et un avocat menacés d’expulsion... Quand ces informations de Métropole parviennent à Mayotte - territoire français -, on est éberlué de l’ampleur de la couverture médiatique réservée à ces évènements (certes inacceptables) tant ici, c’est chaque jour que l’on vit l’insupportable.
Il est incompréhensible qu’un tel silence entoure la réalité de ce qui se passe sur cette île, en passe aujourd’hui d’accéder à un statut de véritable collectivité territoriale.
Mais où est donc la République ?
Il s’agit de parler ici des élèves « en situation irrégulière », du sort qui leur est réservé quotidiennement, du respect de la Loi, des valeurs de l’Ecole.
Il faudra, en premier lieu, essayer de comprendre une Histoire complexe et un contexte particulier où l’on a affaire à de “drôles de clandestins”.

Une histoire complexe

L’archipel des Comores, composé de 4 îles, était français depuis plus de 150 ans, avant la Savoie (!), lorsque - lors d’un référendum d’autodétermination, en 1974 - elle accéda à l’indépendance.
Toutefois, Mayotte vota alors à l’encontre des 3 autres îles. Il faut souligner qu’elle venait de perdre l’implantation du pouvoir central de l’archipel et que les Mahorais ne se sentaient pas bien traités par leurs compatriotes de Grande Comore, de Mohéli et d’Anjouan. Il faut sans doute aussi considérer les manœuvres de la diplomatie et des services français, désireux de garder pied dans l’Océan Indien.
C’est ainsi que la France qui aurait dû - en droit - se plier au vote de la majorité comorienne et à la position de l’ONU, entérina ce séparatisme.
Par la suite, Mayotte confirma - par référendum - sa volonté de rester dans le giron français. A noter qu’elle devrait, dans l’année qui vient, voter l’accession à un statut de “département-région”.
Depuis 30 ans donc, des efforts - absents pendant une centaine d’années - ont été entrepris pour développer une économie locale au fonctionnement proche de celui du tiers-monde et pour entreprendre l’assimilation culturelle d’une population qui, pour 90% d’entre elle, ignorait la langue française.
Le PIB est ainsi aujourd’hui 10 fois plus élevé à Mayotte que dans les îles voisines qui connaissent une gestion pour le moins chaotique ; en 30 ans, sur ce territoire français, le nombre d’élèves a progressé de 2.000 à 70.000 et le système de santé s’est largement développé.
On est là, bien entendu, à la source même de la réalité de l’immigration et on est passé ici d’une population de 80.000 habitants au double aujourd’hui avec, selon l’INSEE, au bas mot 55.000 personnes en situation irrégulière. Toutefois, on a affaire ici à de drôles de clandestins...

De drôles de clandestins

Depuis toujours, les Comoriens circulaient librement à travers les 4 îles de leur pays. Les membres d’une même famille vivaient indifféremment, par exemple, à Mayotte ou à Anjouan, distantes de 70 km. Un individu pouvait posséder des terres ici et vivre là...
De plus, beaucoup de Français d’ici sont issus de familles d’autres îles et sont venus au fil du temps.
D’ailleurs, des pans entiers de l’économie ont toujours fonctionné grâce à l’apport de la main d’œuvre comorienne, notamment l’agriculture, la pêche, le bâtiment et le commerce.
Enfin, l’imprécision des registres de l’état-civil, le peu d’intérêt porté par l’ensemble de la population aux questions administratives et à l’écrit rendent souvent difficile la distinction entre Mahorais et non Mahorais. D’autant plus que physiquement, on les distingue aussi peu qu’un Haut Normand d’un Bas Normand !
Les évènements des années 70 n’ont rien changé à tout cela.
C’est en 1995, à l’instauration du visa obligatoire imposé aux Comoriens pour entrer à Mayotte, qu’est apparue la notion de “clandestin”.
Une douzaine d’années après, chacun sait désormais de quoi il s’agit !

Des chiffres vertigineux

Si chacun s’accorde à dire « qu’on ne peut accueillir ici toute la misère du monde », il n’en reste pas moins que le traitement de « l’immigration clandestine » est devenue à Mayotte totalement délirant.
A la fin 2007, le ministre chargé de l’Immigration, M. Hortefeux, soulignait qu’il n’avait pas atteint l’objectif national qui lui avait été assigné de 25.000 reconduites à la frontière, “le score” atteint devant se situer entre 23.000 et 24.000... Une fausse modestie, évidemment, au service d’un affichage médiatique.
Il n’a pas précisé que, dans cet ensemble, 16.147 expulsions avaient été opérées à Mayotte, territoire 350 fois moins peuplé que la Métropole. C’est pratique, Mayotte pour faire du chiffre !!!
Il n’a pas précisé que beaucoup de ces personnes - leur foyer, leur famille - étant parfois depuis longtemps à Mayotte, revenaient systématiquement et pouvaient être à nouveau arrêtées et renvoyés, une deuxième, une troisième fois...
Il n’a pas précisé que ces retours en “kwasas-kwasas” (barques de pêcheurs) se soldaient régulièrement par des naufrages et que c’étaient plusieurs centaines de morts - les noyades, les requins - qu’on pouvait dénombrer chaque année. « le plus grand cimetière de l’Océan Indien », dit-on.
Il n’a pas précisé que ces expulsions étaient opérées parfois au mépris des droits fondamentaux dans un contexte d’insularité où tout contre-pouvoir est difficile à mettre en place.

Des pratiques intolérables

Le souci de “faire du chiffre” ne permet évidemment pas de porter une réelle attention aux situations. C’est ainsi que des enfants de parents expulsés se retrouvent, de plus en plus nombreux, totalement livrés à eux-mêmes,... parfois à n’importe qui. Il n’est pas rare de voir des enfants mendier ou se nourrir sur les décharges publiques. Des bandes se forment et on a affaire là à de vraies bombes à retardement.
A l’inverse, lors de la visite de la CIMADE (seule association agréée par l’Etat pour visiter les centres de rétention), sa responsable s’est déclarée choquée « ... du nombre de mineurs expulsés seuls chaque année - ce qui est strictement interdit par la loi - et confiés à des personnes plus ou moins proches... ». Pour 2006, c’est le chiffre de 3.093 qui est avancé !
Elle ajoute que « ... le centre de rétention de Mayotte est le pire de France... ». La surpopulation peut y atteindre 200 personnes pour 60 places. Les gens sont massés dans deux petites pièces de 50 m2, sans les matelas, ni les draps réglementaires, avec seulement 5 gamelles pour la nourriture.
Au-delà des conditions d’accueil, elle constate que « les pouvoirs publics profitent du fait que ces personnes ne sont pas informées de leur droit » et qu’on ne leur permet pas toujours de téléphoner pour contacter un avocat ou alerter des proches.
Ce dernier point est déterminant pour les élèves qui, ainsi, n’ont pas toujours la possibilité de prévenir leur établissement scolaire.
Les vacances scolaires, par exemple, périodes de moindre réactivité, sont particulièrement propices à des expulsions massives.

(à suivre)

Jean-Philippe Decroux


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