Difficultés d’accès aux soins à Mayotte : Médecins du Monde témoigne

« Avec toute l’expérience que l’on a ici, on refait les mêmes erreurs là-bas »

8 septembre 2007

À Mayotte, il n’est pas un jour de consultation au dispensaire qui ne se fasse sans le contrôle de la Police de l’Air aux Frontières. La santé est devenue l’un des régulateurs de l’immigration. Combien sont-ils en situation irrégulière, victimes de la précarité, à ne pouvoir accéder aux soins ? Après 6 mois d’observation, Médecins du Monde présente un premier bilan. Selon son Délégué régional, Gilbert Potier : « Personne n’arrive à gérer ce qui se passe en termes de santé à Mayotte ».

L’ordonnance du 12 juillet 2004 relative à l’adaptation du droit de la santé publique et de la sécurité sociale à Mayotte a conduit à la fin de la gratuité des soins dans les hôpitaux et dispensaires. 35% de la population dite irrégulière, soit entre 50.000 et 70.000 personnes, n’ont plus eu, de fait, accès aux soins. Alerté à plusieurs reprises par des professionnels de santé quant aux conséquences de cette nouvelle réglementation, Médecins du Monde (MDM) est parti en observation.

« Contexte socialement tendu et politiquement difficile »

« On a senti beaucoup de réticence, la peur d’être jugé, explique Gilbert Potier, Délégué régional de MDM. Les retards structurels sont très importants, mais il ne s’agit pas pour nous de juger, ce n’est pas notre rôle, mais d’évaluer le nombre de personnes qui n’ont pas accès aux soins à Mayotte. L’accès aux soins avant l’accès aux droits est un des fondements de base de Médecins du Monde ». L’ONG a donc élaboré un projet sur 2 ans qui fixe 3 objectifs : améliorer l’accès aux soins des personnes en situation difficile ou irrégulière ; témoigner de leur état de santé et de leur accès effectif aux soins ; rendre compte des conséquences des nouvelles lois sanitaires. La première phase de ce projet s’est déroulée sur 6 mois, du 15 janvier au 15 juin, durant lesquels MDM, à partir de ses fonds propres, a constitué un réseau de partenaires institutionnels et associatifs, identifié des financeurs potentiels, mis en place des consultations médico-sociales d’orientation et un observatoire de l’accès aux soins.
Cette première étape de travail « s’est déroulée dans un contexte socialement tendu et politiquement difficile », souligne MDM, qui constate que « l’opacité et la complexité du système mahorais entre les lois spécifiques imbriquées et l’application discrétionnaire des lois » rendent sa mission plus difficile. « Personne sur place n’étant vraiment sûr de ce qui est censé s’appliquer ou pas, la peur de se déplacer pour les personnes en situation irrégulières, vu le nombre de rafles, l’absence de système d’information sanitaire efficient... » sont autant de limites à l’action de MDM. L’instauration du visa en 1995, puis l’évolution législative de la collectivité territoriale en collectivité départementale qui a conduit à la mise en place de la CGSS, mais aussi les rafles quotidiennes pour répondre aux objectifs ambitieux de reconduites à la frontière fixés par le Ministère de l’Intérieur (et dépassés en 2006) ont eu d’importantes conséquences sur le système sanitaire et l’accès aux soins à Mayotte. Ni la CMU, ni l’Aide Médicale d’Etat n’y sont pour l’heure applicables.

« On pourrait peut-être aller plus vite...! »

« Depuis 2005, les consultations ont diminué de 20% dans les dispensaires », souligne Sophie Louys, sage-femme chargée du projet à Mayotte. Jusqu’en 2010, la gratuité des soins sera conservée pour les affiliés sociaux (Français ou migrants en situation régulière, cela va de soi), soit environ 10% de la population rencontrée par MDM. En effet, 80% des Mahorais n’ont toujours pas reçu leur numéro d’immatriculation à la Sécurité sociale et doivent, en attendant, justifier de leur domiciliation pour être pris en charge. « Moins de 20% d’immatriculés en 1 an. On pourrait peut-être aller plus vite si l’on accepte le principe de faciliter l’accès aux soins ! », remarque Gilbert Potier.
Pour les personnes dépourvues de titre de séjour, l’accès aux soins passe par le paiement, au guichet, d’un forfait qui varie selon le type de soins. Cela va de 10 euros pour une consultation médicale, avec suivi d’une semaine et traitements médicamenteux, 30 euros pour un abcès à 300 euros pour un accouchement. « Pour 10 euros, les prestations sont de bonne qualité, mais cela reste trop cher », soutient Gilbert Potier. « 300 personnes vues en 3 mois, cela donne une idée de ceux qui n’ont pas 10 euros », souligne encore Sophie Louys (voir résultat de l’enquête en encadré).
L’ARH qui a fixé le barème des tarifs à partir d’une dizaine de situations a néanmoins établi deux exceptions pour lesquelles une prise en charge est censée être assurée, sans avance de frais : les “actes d’urgence” scrupuleusement répertoriés (vomissements, diarrhées profuses, fièvre élevée avec ou sans frisson, convulsions, troubles de la vigilance, troubles respiratoires), à condition, et cette précision est importante, que le critère d’urgence soit accepté par l’agent administratif et non par un professionnel de santé. Un filtrage qui, dans les faits, conduit à des refus, comme en témoigne Stéphanie Lafarge, Coordinatrice médicale de MDM (voir par ailleurs). L’autre exception concerne les maladies transmissibles graves et durables.

« La loi de santé publique ne s’applique pas à Mayotte »

Bien que l’Aide Médicale d’Etat soit instaurée, elle n’est pas effective à Mayotte. Les hôpitaux de l’île n’ont aucun programme d’accès aux soins. Gilbert Potier parle de Mayotte comme d’un « No Man’s Land ». « Il n’y a pas de logique qui correspond au plan de santé publique. Avec toute l’expérience que l’on a ici, on refait les mêmes erreurs là-bas », déplore-t-il. Pourtant, les risques sanitaires induits devraient favoriser une meilleure réactivité en faveur du respect et de l’application des lois(*). La crainte de la rafle, le fait de ne pas avoir les 300 euros demandés (le salaire moyen mensuel est de 130 euros) engendrent une augmentation des accouchements à domicile.
MDM note aussi que les conditions de vie difficiles, le manque d’hygiène, la promiscuité, les difficultés d’accès à l’eau favorisent les infections cutanées et leurs récurrences, car elles sont banalisées. Ainsi, un nombre considérable d’enfants souffrent d’abcès (30 euros). La pénurie d’eau potable est un problème majeur, à l’origine de la récente épidémie de choléra. De l’eau si rare et précieuse qu’elle fait l’objet d’un trafic, d’un commerce parallèle de la part d’un véritable réseau organisé en mafia. Les bornes électriques qui permettent pour 1 euro d’accéder à plusieurs litres d’eau ne sont pas gérées correctement. Du coup, les trafiquants font monter les prix et spolient les Mahorais. Une grande partie de la population continue donc de s’abreuver dans les rivières, alors que dans les zones de fortes concentrations, le péril fécal est très important.
MDM constate, mais rappelle qu’elle n’accuse, ni ne juge personne. « Personne n’arrive à gérer ce qui se passe en termes de santé à Mayotte. On ne peut-être que le reflet de la situation », constate Gilbert Potier, qui souligne que le Conseil général, conscient de la situation, s’engage à soutenir financièrement MDM pour la suite de son projet. Un engagement important pour renforcer la constitution d’un réseau partenarial. « A nous de voir quelle part de la population n’est pas prise en charge et pourquoi la loi ne s’applique pas quand elle pourrait s’appliquer. Si vous mettez des interdits dans tout, forcément vous n’arriverez à rien ». MDM compte poursuivre sa mission pour, en lien avec les professionnels de santé et les institutions, accompagner la transition du statut de Mayotte afin que d’ici 2010, ce nouveau Département d’Outre-mer compte parmi ses priorités : l’accès aux soins pour tous.

Stéphanie Longeras

(*) Pour exemple, le délai de 4 jours de maintien en centre de rétention n’est pas respecté. Les personnes en situation irrégulière n’ont pas la possibilité de constituer un dossier de demande d’entrée sur le territoire, n’ont pas accès à leurs droits. Quand bien même elles auraient besoin de soins d’urgence, elles sont renvoyées expressément vers les Comores. Le gouvernement a pourtant été condamné par la Commission européenne des Droits de l’Homme cette année pour irrégularité dans ses dispositifs de prise en charge des étrangers aux frontières ! Ces éléments d’observations seront remis au Gisti, implanté à Paris, qui a sollicité MDM pour une enquête sur « les droits des étrangers à Mayotte : l’entrée et le séjour, la protection sociale ».


Témoignages recueillis par Stéphanie Lafarge, Coordinatrice médicale de MDM

« Le refus reste catégorique »

Les 2 enfants de Madame M., âgés respectivement de 4 et 7 ans, sont vus le 18 avril 2007 au centre de MDM de Kaweni. Ils présentent tous les deux des otites moyennes aigues. Ils sont orientés vers le dispensaire de Jacaranda, où ils se présentent le 19 avril 2007. Le bureau des admissions les refuse tous les deux, car la maman ne peut pas payer les 10 euros, sans les orienter vers un personnel soignant. Le refus reste catégorique.

Deux bébés de 9 mois exclus des soins

Mars 2007, Ahmed F., 9 mois, et Abdallah A., 9 mois, sont emmenés au dispensaire d’Iloni par leurs mères, l’un pour fièvre et rhume, l’autre pour diarrhées évoluant depuis 3 jours. Reçu par l’agent d’accueil, ce dernier n’a pas délivré de bon de consultation, et devant l’impossibilité des mères de fournir les 10 euros de provision demandés, il a renvoyé ces patients à la maison. Les enfants n’ont pas été vus par un infirmier. Ils ont consulté plus tard à la PMI, dans le cadre de rendez-vous pour des vaccinations et où le médecin a diagnostiqué une bronchiolite fébrile et une diarrhée.


Résultats des consultations

Comme inscrit dans son projet, MDM a mis en place des consultations médico-sociales d’orientation sur 3 sites dans la région de Mamoudzou : à Koungou, dans un local prêté par la mairie, à Kaweni, dans un local concédé par la communauté, et un dernier à Boboka, dans un local mis à disposition par l’association comorienne CCCP, pour un accueil uniquement le mardi. En quelques points, les principaux résultats des observations faites par MDM entre le 5 mars et le 29 mais 2007 :

• Public :
l’ONG y a reçu 225 personnes (126 femmes et 55 mineurs dont beaucoup de 0-6ans) et réalisé au total 356 consultations. 20% des enfants rencontrés sont dénutris.
Ce sont principalement des personnes en situation irrégulière parmi lesquelles 21,2% ont déjà été au moins une fois expulsés. Ce qui est troublant, c’est que sur les 55 mineurs reçus, 91% sont des étrangers et 57% d’entre eux sont nés à Mayotte. En fait, 2/3 des mariages devant le fundi non pas été reconnus par l’État civil au moment du changement de statut, ce qui fait que nombre de petits Français sont aujourd’hui considérés comme des étrangers dans leur pays ! Sur le volet des conditions de logement, il ressort de cette observation que 1/4 des personnes accueillies n’a pas accès à l’électricité, ni à l’eau courante.

• Accès aux soins : Seulement 7,5% de l’ensemble des patients disent avoir des droits effectifs dans leur accès aux soins. Les raisons de la non affiliation sont : l’absence de pièce d’identité, les difficultés financières pour aller à Mamoudzou, l’absence de père pour affiliation d’un mineur et la méconnaissance des droits.

• Les principaux obstacles pour accéder aux soins : difficulté d’avance de frais (76%), méconnaissance des droits et structures (24%), peur de se déplacer (17%). La moitié des personnes ayant été malades dans les 6 derniers mois n’a consulté personne et 3/4 des patients ont renoncé aux soins dans l’année écoulée, essentiellement pour des raisons financières.

• Le retard d’accès aux soins susceptible d’aggraver les signes ou la pathologie s’élève à 41,5% des personnes reçues.

• Les principaux motifs de consultation sont des troubles du système digestif, des symptômes ostéo-articulaires et des pathologies cutanées, particulièrement chez les enfants qui souffrent également de troubles de l’appareil respiratoire, diagnostiqués comme infections respiratoires hautes.

• Vaccination : entre 45 et 75% des patients reçus méconnaissent leur suivi vaccinal. Si la vaccination des 0-6 ans est satisfaisante, car en PMI, en revanche, pour les 7-18 ans, elle reste médiocre.
MDM souligne également que 20% des patients souffrent de maladies chroniques dont le diabète et 18% se sentent gênés dans leur vie quotidienne par leur pathologie.

SL



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