Le “oui” dans l’embarras

Bolkestein persiste et signe

9 avril 2005

Frits Bolkestein est venu à Paris cette semaine, ’un petit peu à contre-cœur’ mais ’à ses frais’, ’pour dire qu’il n’est pas un loup-garou’. Cependant, il est venu clairement confirmer que - contrairement à ce que prétendent les partisans du “oui” - sa directive pour la libéralisation des services sur la base des lois sociales du pays d’origine de l’entreprise n’est pas supprimée mais simplement “mise au frigo”.

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L’ex-commissaire européen au Marché intérieur, Frits Bolkestein, tire sa gloire actuelle d’une proposition de directive sur la libéralisation des services adoptée en janvier 2004 par toute la commission Prodi et reprise par l’actuelle commission Barroso.
Médiatiquement parlant, il a sans doute réussi son coup à l’occasion de sa venue à Paris cette semaine : passage télévisé mardi soir à France 3, intervention sur France-Inter mercredi matin et, enfin, conférence de presse avec près d’une centaine de journalistes...

La directive au congélo

Politiquement, c’est moins sûr : les partisans du “oui” à la Constitution européenne, le gouvernement Raffarin en tête, l’auront splendidement ignoré, feignant de ne pas connaître ce Bolkestein qu’ils n’ont jamais contesté quand il était encore en fonction à Bruxelles.
"Avant que je quitte la commission, le 22 novembre, je n’ai pas eu d’échos du gouvernement français laissant entendre qu’il n’acceptait pas la directive sur la libéralisation des services. Il y avait une manifestation à Bruxelles en juin, je me souviens aussi que j’ai fait la “une” de “l’Humanité”, mais que je sache, “l’Humanité” ne représente pas forcément le gouvernement français ! Il n’y a jamais eu de démarche formelle de votre gouvernement laissant entendre un rejet de la directive...", révèle-t-il.
Au lendemain du Conseil européen de printemps à Bruxelles, les 21 et 22 mars, les partisans du “oui” au référendum avaient fanfaronné en chœur : "C’est réglé, on a débarrassé le débat européen de cette directive" ou "on peut dire aujourd’hui que le projet de directive est arrêté et abandonné" comme le déclarait François Hollande.
Mais patatras ! dans la droite ligne des déclarations largement passées sous silence en France de Tony Blair, José Manuel Barroso, Jean-Claude Juncker, Marek Belka et quelques autres chefs d’États européens, Frits Bolkestein, maniant tantôt le verbe hautain tantôt la langue de bois, est aussi venu ruer dans les brancards de cette thèse franco-française : non, “sa” directive n’est absolument pas enterrée, tout juste placée au congélateur jusqu’au lendemain du 29 mai !

Quelle "remise à plat" ?

"Je ne comprends pas très bien le sens de l’expression "remise à plat". Mais ce qui est certain, c’est qu’on ne va pas recommencer tout en partant de zéro ! Cette directive reste sur la table. Elle peut être amendée et clarifiée au Parlement européen et au Conseil des ministres. C’est la procédure normale...", ironise l’ex-commissaire européen.
Minimisant constamment la portée d’une directive dont le champ d’application couvre un secteur représentant tout de même 70% du PIB européen, Frits Bolkestein a répété à l’envi que le très controversé principe du pays d’origine ne comporte à ses yeux aucune menace et que le texte se limite à "lever les entraves bureaucratiques et les obstacles administratifs" à la libre circulation des services (ce qui signifie, mais il ne le dira évidemment pas, qu’il organise en fait la création de véritables “pavillons de complaisance” pour tous les secteurs de services, y compris publics, désormais placés hors d’atteinte des contrôles des services de l’État d’accueil).

Toush pa !

Dans ces conditions, l’homme ne voit aucune raison de toucher aux dispositions phares de la directive sur les services. "On a déjà utilisé le principe du pays d’origine pour la libre circulation des marchandises et on l’a fait justement pour éviter d’avoir à harmoniser les différents systèmes nationaux. On veut faire exactement la même chose avec les services. Ce serait un travail sans fin que de chercher à harmoniser des secteurs aussi différents...", dit-il.
Pour ce Néerlandais qui rappelle au passage qu’il a présidé aux destinées de l’Internationale libérale, "c’est la concurrence qui doit permettre d’améliorer la compétitivité".

Les quatre libertés de l’Union

Comme tous les tenants du “oui”, Frits Bolkestein n’est pas à une contradiction près sur le lien entre la directive et la Constitution européenne : le projet Bolkestein, qui organise cette "liberté fondamentale de l’Union" qu’est la libre prestation de services, n’a, bien entendu, rien à voir avec la Constitution, mais doit être rapporté au Traité de Rome gravé dans le marbre avec la partie III de la Constitution ! "Il y a quatre libertés fondamentales de l’Union qui constituent la base du marché intérieur. Comment retirerait-on une de ces libertés ? Ce serait inouï", observe-t-il. À propos du référendum, l’ultralibéral hollandais s’est fait encore plus tranchant. "Je vais voter "oui", même si certains aspects de l’Union européenne ne me plaisent pas, comme la perspective de l’adhésion de la Turquie, mais je suis contre le référendum. Mieux vaut passer par la démocratie représentative que par la démocratie directe. La démocratie, ce n’est pas pour les gens peureux !"


Seillière appelle à voter “oui”

En présence de Valéry Giscard d’Estaing, le “père” du projet de Constitution européenne, le patron des patrons a explicité son choix.

Cela n’étonnera personne : le MEDEF vote “oui” au référendum du 29 mai. L’annonce en a été faite par Ernest-Antoine Seillière lui-même depuis Pékin, où le patron des patrons français se trouvait en compagnie... de Valéry Giscard d’Estaing, le “père” du projet de Constitution européenne. Cela n’étonnera personne mais cela en gênera plus d’un, qui au sein du camp du “oui” s’évertuent à répéter que le Traité constitutionnel ne serait pas libéral, voire même qu’il comporterait des avancées en matière de droits sociaux... Une chose est sûre : l’héritier des maîtres des forges ne semble pas les avoir débusquées, au fil des 448 articles concoctés sous les auspices du châtelain de Chamalières.
Les deux hommes participaient ensemble au 11ème Colloque économique franco-chinois. Devant un parterre de dirigeants d’entreprises implantées sur le continent asiatique, le président du MEDEF a rompu, en quelque sorte, avec la relative discrétion qu’il affectait jusqu’alors, en France, sur la question référendaire, afin de ne pas compliquer la tâche, déjà ô ! combien difficile, des partisans du “oui”. Précisant que "le MEDEF n’a pas le droit de vote", le numéro 1 du patronat français a donc lancé un appel "aux 2 millions d’entrepreneurs et de cadres dirigeants qui les accompagnent". C’est dans ce sens qu’ils "détermineront leur position en citoyens". Affirmant que "le niveau européen est le seul qui puisse limiter les excès de la mondialisation", Ernest-Antoine Seillière s’est aussitôt fait l’avocat des délocalisations qui "permettent souvent de créer des emplois en France". Selon lui, les nombreuses entreprises qui sont venues sur le marché chinois, lorsqu’elles créent 100 emplois en Chine, en créent peut-être 20 ou 25 en France, parce qu’"elles ont maintenu tout ce qui est vraiment qualifié"... Les dizaines de milliers de salariés jetés à la rue ou soumis au chantage aux baisses de salaires apprécieront.
De son côté, Giscard en adepte de la méthode Coué, ne veut voir dans le débat qui fait rage en France autour de l’orientation néolibérale de ce projet éponyme, que "des éléments négatifs apparus ici ou là dans la campagne, qui ne portent pas sur le référendum". Allant même jusqu’à affirmer que "tous les sondages en profondeur", indiquent que "les perspectives de vote sur la Constitution européenne sont positives". Et l’ancien président de la Convention qui a rédigé le projet, de prophétiser : "Je pense que nous assisterons au succès de la ratification".
L’enthousiasme des grands patrons devant un projet de Constitution, qui fait du libéralisme la loi fondamentale de l’Union, et leur offre notamment "la concurrence libre et non faussée" s’est déjà manifesté au niveau européen comme le confirme l’analyse faite par l’UNICE, qui fédère les grands patrons à l’échelle européenne. L’UNICE est satisfaite que le Traité constitutionnel n’accroisse pas les compétences de l’Union dans le domaine social. Or, l’UNICE s’apprête à accueillir comme futur président, Ernest-Antoine Seillière. En matière de libéralisme, son vote “oui” est un choix d’expert.


Comptes de la sécu :
La “surprise” de Douste-Blazy

“Une surprise”, “énorme”... Philippe Douste-Blazy n’y a pas été avec le dos de la cuillère pour présenter les comptes de la Sécurité sociale 2004. Le déficit s’établit à 11,9 milliards d’euros, soit 2 milliards d’euros de moins que prévu en septembre dernier... Mais plus qu’en 2003, année record déjà. Toute relative, donc, l’amélioration est due pour moitié à une augmentation des recettes (cotisations sociales, CSG) plus forte qu’espéré en fin d’année, l’autre moitié à une moindre progression des dépenses de l’Assurance maladie (4,7% contre 6,2% en 2003). Le ministre de la Santé veut voir là le signe de "changements de comportements" des assurés permis par la "préparation de la réforme" d’août dernier. Une satisfaction déplacée au moment où les hospitaliers comme les urgentistes multiplient les appels au secours : les économies vantées par Douste-Blazy se paient, entre autres, de l’asphyxie de l’hôpital public. L’optimisme officiel pourrait être de courte durée : la "banque de la Sécu" prévoit déjà que les dépenses maladie repartiront nettement à la hausse au 2ème trimestre, et que le déficit de la CNAM atteindra 5,4 milliards d’euros fin juin (0,9 milliard d’euros de plus que prévu).


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