Plus d’un million de personnes manifestent contre la politique du Parti des travailleurs

Brésil : le retournement

24 juin 2013

En 2002, l’élection de Lula à la présidence de la République avait soulevé un immense espoir. 11 ans plus tard, des manifestations dans plus d’une centaine de villes ont lieu tous les jours, elles rassemblent plus d’un million de personnes.

Jeudi, plus d’un million de personnes ont manifesté. Depuis quelques semaines, le gouvernement doit en effet faire face à un mouvement de contestation sans précédent. C’est l’augmentation du prix des tickets de bus qui a été le détonateur. À cela s’ajoute la critique des dizaines de milliards engagés pour organiser la Coupe du monde dans un pays qui reste parmi les plus inégalitaires au monde. C’est un changement considérable qui est en train de s’opérer, alors qu’à la présidentielle de 2010, la candidate du Parti des travailleurs était arrivée largement en tête. C’est un renversement considérable.

Le temps de la croissance

Quand Lula est élu en 2002, c’est le temps des espoirs. Sous la dictature militaire, il était à la tête du syndicat des métallurgistes. En 1980, il a été l’un des fondateurs d’un nouveau parti progressiste, le Parti des travailleurs. En 1985, les difficultés économiques et la mobilisation de la population font tomber la dictature. C’est le retour de la démocratie et le Parti des travailleurs va continuer sa progression jusqu’à diriger le Brésil à partir de 2003. Dans son programme figure le combat contre les inégalités, et permettre à tous les Brésiliens de manger à leur faim, sans remettre en cause les accords liant le Brésil au FMI.

Sous la direction de Lula, le Brésil va voir son importance augmenter au sein de la mondialisation. Il fait partie du BRICS, aux côtés de la Chine, de l’Inde, de la Russie et de l’Afrique du Sud, c’est le groupe des pays émergents les plus influents. Depuis que le PT est au pouvoir, des millions de personnes sont sorties de la pauvreté grâce à une croissance économique importante.

En 2007, le Brésil est choisi pour organiser la Coupe du Monde football en 2014, puis en 2009, c’est Rio de Janeiro obtient celle des Jeux Olympiques.

Impact de la crise

Il faut remonter à la RFA au début des années 1970 pour voir l’attribution au même pays des deux plus grands événements médiatiques ayant pour support le sport. Cela donnait une indication des perspectives qui semblait s’ouvrir pour le Brésil.

Mais la croissance commence à se tasser, elle est à 0,9%. Ce n’est pas suffisant pour faire face à la croissance démographique. À cela s’ajoute une inflation galopante, un recours au crédit avec des taux d’intérêts qui sont aujourd’hui à plus de 20%.

Ce sont autant de signes d’une économie qui s’est emballée faute d’avoir été suffisamment maîtrisée. L’universitaire Pierre Salama, interrogé par France Télévisions, rappelle que «  l’économie du pays s’est largement appuyée sur l’exportation de ces denrées, quitte à laisser de côté certains pans de l’économie, comme l’industrie. En moyenne, 62% des exportations brésiliennes sont des matières premières. D’origine agricole (soja, blé, canne à sucre, café) d’une part, mais aussi minérale (fer, aluminium) d’autre part » . Avec la crise, c’est la baisse des exportations, des prix de matières premières et la demande intérieure n’arrive pas à compenser.

Ce retournement économique a des conséquences politiques. C’est le gouvernement du Parti des travailleurs qui est ébranlé. L’appel au rassemblement de la présidente de la République n’a pas encore été entendu. Un premier sondage publié samedi affirme que 75% des personnes interrogées soutiennent le mouvement, tout en étant à 60% pour que la Coupe du Monde de football ait lieu comme prévu.

« Marges de manœuvre quasiment toutes épuisées »

Le ministère de l’Économie donne un aperçu de la situation économique du Brésil quelques mois avant le début des manifestations.

« La croissance au 3ème trimestre 2012, par rapport au 2ème, avec +0,6% est très décevante. Sur un an la croissance du PIB est de 0,9%, ce qui place le Brésil en dernière place des BRICS. La consommation interne reste le moteur de l’activité grâce à la hausse des salaires et du crédit. Le salaire moyen est de 1810 BRL (883 USD), avec un chômage de 4,9%. Le crédit est dynamique (+16,6% par an), mais les taux d’intérêts restent élevés à 29,3% en moyenne. Cependant, le moteur s’essouffle, sous l’effet de l’endettement des familles. L’activité industrielle baisse (-2,5% en 1 an), l’inflation se situe à 5,53% et le solde de la balance commerciale recule de 34,8%, plus mauvais résultat depuis 10 ans, sous l’effet du ralentissement économique mondial et du protectionnisme argentin.

La Banque Centrale (BC) a baissé le taux directeur de 12,5% à 7,25% en un an, plus bas niveau historique. Elle est aussi intervenue pour faire baisser le réal de 40% face au dollar et le maintenir dans un « tunnel » de 2 à 2,10 réaux pour 1 dollar. Le gouvernement a multiplié les mesures avec des exonérations fiscales sur les produits industriels, une stimulation du crédit, une baisse des charges patronales, un plan de privatisations pour développer les infrastructures pour plus de 100 Mds USD. D’autres mesures sont prévues en 2013, comme la poursuite de la baisse des charges patronales et la baisse des tarifs de l’électricité de 20%. (…)

Sur le volet interne, du côté de la demande, les marges de manœuvre ont quasiment toutes été épuisées pour favoriser la consommation. En revanche, la masse salariale devrait continuer de croître sous l’effet de l’augmentation automatique du SMIC (+9% en 2013), ce qui sera un facteur favorable. L’effort devra donc porter sur l’offre. Le gouvernement n’a plus de marges budgétaires pour investir. L’investissement domestique reste insuffisant et les conditions de financement des entreprises sont encore trop chères. Les IDE sont donc primordiaux et devraient se maintenir en 2013. Par ailleurs, le pays manque d’infrastructures et de main d’œuvre qualifiée. »
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