Filière canne-sucre

Chronique d’une mort annoncée ?

28 avril 2005

Tous les Réunionnais doivent être conscients que la réforme du régime sucrier européen - modifiée ou pas après la décision que rendra aujourd’hui l’O.M.C. à Genève - entraînera une série de catastrophes à La Réunion : des catastrophes sur les plans économique, social, écologique, environnemental ou en termes d’aménagement du territoire.

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L’avenir de la filière canne-sucre va se jouer dans les 8 mois qui viennent. Il dépendra de plusieurs éléments :

- de l’interprétation de dispositions du Traité constitutionnel ;

- du budget 2006/2013 de l’Union ;

- de la bataille globale et dans le cadre de l’OMC, entre de nouveaux pays producteurs comme le Brésil, d’une part, et de l’Europe, d’autre part ;

- de la décision que rendra aujourd’hui l’organe de règlement des différends de l’OMC et enfin de la réforme du système sucrier européen que prépare Bruxelles (voir “Témoignages” de lundi, mardi et mercredi).

L’importance de cette décision

La décision que prendra aujourd’hui l’OMC viendra confirmer et au pire accentuer les grands principes de la réforme proposée par l’Union européenne. On connaît ses principes de base : baisse du prix du sucre entraînant une baisse du prix de la tonne de canne et diminution des quotas de production.
Sans attendre les conséquences éventuelles de la décision de l’OMC et des autres éléments signalés plus haut, on peut faire remarquer que les bases de la réforme de l’OCM-Sucre pose d’ores et déjà un certain nombre de problèmes.
En premier lieu celui de la cohérence de l’action de l’UE en regard de l’orientation générale de la politique qu’elle a développée jusqu’ici. Durant ces 40 dernières années, l’action de l’Europe soutenue par celle de l’État français a été tournée vers le développement de la filière canne à sucre. Les plans de développement ou de consolidation n’ont cessé. Et le programme bénéficiant du plus fort soutien financier de l’Europe est celui du chantier du basculement de l’eau d’Est en Ouest. Des efforts importants ont donc été demandés et consentis par les acteurs de la filière. L’agriculture de La Réunion s’est construite pour une large part autour de cette production : le sucre représente les trois quarts des exportations de La Réunion.
La réforme aura pour conséquence une remise en cause brutale et fondamentale de cet axe stratégique. Or, Bruxelles ne propose pas une stratégie de remplacement.
La survie et, en définitive, l’avenir de la filière peut venir de deux options. Ou la Commission décide d’écarter les RUP de la réforme, d’aménager pour elles une dérogation comme cela a été le cas avec la réforme de la PAC. Ou alors elle accepte de compenser à 100%, les pertes résultant de la baisse du prix du sucre.

Une solution trouvée

La première solution est plaidée par plusieurs acteurs de la filière. Leur principal argument consiste à dire que La Réunion n’est en rien responsable de la situation actuelle du régime sucrier européen et qu’elle ne peut pas payer au prix fort les conséquences d’une situation qu’elle n’a pas créée. Mais Bruxelles est imperméable à une telle éventualité.
Par contre, elle n’écarte pas la possibilité d’une compensation maximum sinon intégrale. Mais elle en renvoie la responsabilité à l’État français. Le 27 janvier 2005, Mariann Fischer Boël, répondait par courrier à une interpellation de Paul Vergès. Dans sa lettre, la commissaire à l’Agriculture indique clairement qu’il appartiendra aux États membres d’abonder s’ils le souhaitent la compensation prévue par Bruxelles en puisant les fonds structurels délégués aux régions : "de manière générale, les fonds actuellement prévus pour les mesures spécifiques, tant dans l’OCM-sucre que dans les programmes POSEI, dont bénéficie le secteur sucrier dans les Régions ultra-périphériques, sont maintenus (...). Les États membres pourraient élaborer des programmes ciblés pour le secteur sucrier dans les Régions ultra-périphériques. Ces programmes seraient financés par l’enveloppe correspondant au soutien direct des producteurs, qui englobe également les dépenses d’aide à l’écoulement, et si les États membres le souhaitent, par des fonds actuellement disponibles au titre des programmes POSEI", indiquait Mariann Fischer Boël. La représentante de Bruxelles invite tout simplement l’État à réorienter les fonds dont il dispose au titre des programmes POSEI. Question : si la priorité doit devenir le soutien au sucre et à la canne et si on doit utiliser pour cela une partie des fonds transitant par le POSEIDOM, au détriment de quoi, de quelles autres actions cela se fera-t-il ?
Or, les fonds structurels dont bénéficieront les DOM risquent de se retrouver fortement diminués.
Ce n’est qu’au début du mois de juin que la présidence de l’Union européenne dira si elle a réussi à obtenir un compromis sur le budget 2006/2018. Dans tous les cas de figure le montant des fonds structurels destinés aux départements d’outre-mer seront diminués. On évoque une baisse pouvant atteindre les 15%. Il faudra donc orienter vers le soutien à la filière une partie des fonds structurels qui, par ailleurs, vont être diminués !


Un effondrement de la filière entraînerait une série de catastrophes

- une catastrophe économique : la canne reste notre principale production qui, avec le tourisme, fait entrer de l’argent à La Réunion.

- une catastrophe sociale : parmi les 4 à 5.000 livreurs de canne que compte encore l’île, une majorité d’entre eux disparaîtront. Cela entraînera des suppressions d’emplois dans plusieurs secteurs (coupeurs de canne, transporteurs, ouvriers d’usine ;

- une catastrophe énergétique : la bagasse permet actuellement le fonctionnement de deux usines bagasse-charbon qui fournissent 11% de l’énergie consommée à La Réunion ;

- une catastrophe écologique, la canne permettant de lutter efficacement contre l’érosion ;

- une catastrophe en termes d’aménagement, la canne participant à l’aménagement de l’île.


Une protection de la filière est possible

La preuve par le textile

Face au développement des importations du textile chinois, la France s’inquiète et demande à la Commission européenne de prendre des mesures d’urgence limitant les importations. Paris presse Bruxelles car, selon les autorités françaises, le nombre d’emplois dans le secteur serait menacé. Le MEDEF évalue entre 15.000 à 20.000 les emplois qui pourraient être perdus en 2005.
Tout laisse entendre que la Commission de Bruxelles est sensible à la demande française et qu’elle s’apprête à prendre des dispositions pour protéger la production textile européenne. Les ministres du Commerce de l’Union européenne (UE) vont ouvrir une enquête sur l’arrivée massive sur le marché européen de textiles chinois à des prix défiant toute concurrence. Cette enquête doit porter sur neuf catégories de vêtements, dont les T-shirts, les pull-overs et les manteaux féminins.
Lorsque l’intérêt de ses producteurs sont menacés, l’Europe est prête à tout mettre en œuvre pour les dangers.
Pourquoi ne le ferait-elle pas pour la filière canne-sucre réunionnaise ? Or, la disparition de celle-ci aurait des conséquences autant sinon plus dramatiques pour La Réunion que le boum des importations chinoises pour l’industrie textile française ?
Ce qui est possible pour le textile devrait l’être aussi pour la production sucrière réunionnaise.


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