Culture

Coetzee, sa vie et ses livres

Un Sud-Africain prix Nobel de littérature

7 octobre 2003

L’académie de Stockholm couronne pour la deuxième fois un écrivain sud-africain. Un article paru dans ’L’Humanité’ revient sur la vie de John Maxwell Coetzee. Nous le reproduisons ci-après avec des inter-titres de ’Témoignages’.

Le nom de Coetzee circulait depuis si longtemps dans les coulisses de l’Académie suédoise de littérature qu’on avait oublié que cet éternel favori était un écrivain de stature internationale, taillé pour porter le poids des plus hautes récompenses. Il est parmi les titulaires du prestigieux Booker Prize, le seul à l’avoir obtenu deux fois, et ne compte pas les distinctions anglo-saxonnes et internationales, dont le prix Femina étranger, en 1985, pour "Michaël K., sa vie, son temps".
L’homme John Maxwell Coetzee, s’il ne cache rien de sa biographie, la juge sans intérêt et considère que c’est à son œuvre qu’il faut poser des questions. Il refuse les interviews et mène une vie qu’il qualifie lui-même de typique de la « classe moyenne ordinaire ». C’est évidemment très en deçà de la vérité, comme en témoignent les deux ouvrages autobiographiques qu’il a publiés ces dernières années, "Scènes de la vie d’un jeune garçon", en 1997, et "Avant l’âge d’homme", en 2002.
J.-M. Coetzee est né au Cap, en Afrique du Sud, en 1940. Après des études dans une école anglaise -la province du Cap est anglophone- et un diplôme de mathématiques, il part pour la Grande-Bretagne gagner sa vie comme informaticien chez IBM et prépare une maîtrise de lettres par correspondance dans son université d’origine. "Avant l’âge d’homme" le montre tentant de briser sa solitude, entre "l’esprit maison" de "Big Blue" et la mentalité petite-bourgeoise de l’Angleterre des sixties, qui ne cache pas son mépris pour les enfants même blancs de ses anciennes colonies. Il se passionne pour Pound, Eliot, Beckett, la révolution cubaine et la guerre d’indépendance du Vietnam, ce qui ne contribue guère à son intégration. Sa thèse sur Beckett soutenue, il se partage entre l’enseignement, où il obtient une chaire à l’université de l’État de New York à Buffalo puis à celle de Cap, et l’écriture.

Renommée internationale

En 1974 paraît son premier livre, "Terres de crépuscule", fait allusion à ses ancêtres, colons hollandais qui débarquèrent en Afrique à la fin du 17ème siècle. Trois ans plus tard, "Au cœur de ce pays" étonne ses compatriotes par un récit à plusieurs voix, où s’affrontent au bord de la folie maître et esclaves. Il obtiendra le prix du Conseil national des écrivains. C’est avec "En attendant les barbares", en 1980, qu’il obtient une renommée internationale. Le roman, qui relate les affres de la conscience d’un juge démocrate amoureux d’une accusée, fait clairement allusion à la situation de l’apartheid au moment où la mort en prison du militant de l’ANC Steve Biko soulève l’indignation dans tout le pays et dans le monde.
Mais le roman se garde bien d’une vision manichéenne, au premier degré, de la situation qu’il met en scène. Il problématise la relation avec l’autre, l’accès à sa subjectivité comme une énigme. La question de la torture renvoie à la fois à la tentation du viol de la conscience sous l’empire de la passion, et à la torture réelle dans ce pays qui n’est pas encore nommé. C’est avec "Michael K., sa vie, son temps", Booker Prize 1983, que l’Afrique du Sud est ouvertement située comme le théâtre du roman, qui relate les tentatives vaines d’un jardinier, qu’on présente comme probablement noir, pour faire reverdir un jardin au bord du désert et y chercher un refuge contre l’Histoire.
La littérature entre en scène avec "Foe", un roman construit comme une continuation transposée de Robinson Crusoe aboutissant à l’écriture du livre par une femme contemporaine. Puis c’est "Disgrâce", en 1999, situé dans l’après-apartheid, où les relations de domination s’inscrivent dans des couples d’opposition qui emprisonnent le personnage, un professeur d’université, dans une grille complexe : Blancs-"de couleur", homme-femme, client-prostituée, professeur-élève.

Dénoncer l’oppression

Dans tous ces livres, Coetzee cherche à la fois à dénoncer l’oppression où qu’elle se trouve, de l’appareil d’État aux médias et aux consensus communautaires, et à montrer la complexité des processus de domination et la difficulté de la lutte. Contre tout schématisme, il refuse, contrairement à d’autres auteurs sud-africains, que la littérature soit « colonisée par le discours idéologique sur l’Histoire », ce qui n’enlève rien, bien au contraire, à la puissance de dénonciation de son œuvre.
La lecture de Coetzee est celle d’une œuvre forte, profonde, où se mêlent compassion et dérision, sens de l’Histoire et plongée dans l’intime, fluidité du récit et modernité de la mise à distance. On y entre sans mal, pour y vivre une expérience de lecture passionnante.


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