Colombie : plus que jamais garder les yeux grand ouverts

7 juillet 2008

L’heure était à la joie, mercredi soir. Celle des otages libérés, celle de leurs parents et amis, celle de tous ceux qui, à travers le monde, se sont mobilisés pour Ingrid Betancourt, captive depuis plus de 6 ans.
Mais quand l’émotion sera tombée, viendront inévitablement les questions.
Pourquoi l’armée n’a-t-elle réussi qu’(hier) à libérer les otages étrangers et la plus symbolique d’entre eux ?
Bien sûr, la guérilla qui les détenait n’a plus le vent en poupe ; mais ses revers ne datent pas d’hier. La mort de son chef, Marulanda, en mai, n’a rien changé à la direction réelle des affaires, aux mains de son successeur officiel Alfonso Cano depuis des années.
Le spectaculaire succès de l’armée colombienne survient à un moment où le régime du Président Uribe est en position difficile. La semaine dernière, la Cour suprême de Colombie a contesté la légalité de sa réélection en 2006, après qu’une sénatrice eut avoué avoir accepté de l’argent pour voter en faveur d’une modification constitutionnelle permettant à Alvaro Uribe de briguer un second mandat.
Ce scandale s’ajoute à un autre : les poursuites judiciaires entamées contre une cinquantaine de membres du Congrès pour leurs liens avec les groupes paramilitaires d’extrême droite ; 33 élus sont en prison et 26 autres sous enquête. Alvaro Uribe lui-même est mis en cause, par un paramilitaire condamné à 33 ans de prison pour sa participation à un massacre en 1997 dans la province d’Antioquia (Medellin) dont le Président fut gouverneur. Le scandale a éclaté lorsqu’une politologue a mis au jour une fraude électorale massive dans les régions contrôlées par les paramilitaires, qui ont favorisé l’élection de partisans de M. Uribe en éliminant les mouvements rebelles d’extrême gauche et en planifiant des assassinats dans les zones concernées.
Bref, le Président Uribe, menacé de perdre le pouvoir, est aux abois. Vendredi dernier (semaine avant la libération des otages - ndlr), il a demandé au Congrès d’organiser un référendum sur son maintien au pouvoir, afin de court-circuiter la Cour suprême. La libération de 15 otages, dont Ingrid Betancourt, dans ce contexte, ne pouvait mieux tomber.
Il ne manquera donc pas de personnes pour se demander si c’est bien le fruit du hasard. Si ce qui a été possible mercredi ne l’était pas depuis longtemps, comme le disent à demi-mot plusieurs familles d’otages. Si Alvaro Uribe ne s’est pas servi d’eux, depuis son élection en 2002, pour consolider sa popularité.

Marie-France Cros, La Libre Belgique 2008


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