Relations entre les peuples

Comment les subventions tuent l’industrie cotonnière africaine

Regard africain sur le G8

3 juin 2003

Pour les pays ouest-africains dont les économies dépendent presque entièrement de la production de coton, l’appel lancé jeudi par l’administrateur du PNUD, Mark Malloch Brown, pour que les pays du G8 suppriment les barrières commerciales inéquitables sur le marché mondial, ne pouvait pas être plus opportun. Ce secteur économique est en effet exemplaire. Il montre que pour certains dirigeants des pays industrialisés, il est bien difficile de se libérer d’une mentalité coloniale à l’égard des peuples africains.

Alors que les pays riches se réunissent jusqu’à aujourd’hui à Evian, en France, pour réviser les stratégies communes devant leur permettre de s’enrichir davantage, près de 800 millions de personnes à travers le monde vont continuer à ressentir les affres de la faim chronique. Le sort de millions d’Ouest-Africains qui vivent de la culture du coton nécessite un peu plus qu’une simple volonté politique de la part de ces huit pays les plus industrialisés de la planète.
Un rapport de la Banque mondiale et du Comité consultatif international sur le coton (ICAC) intitulé "Production et politiques commerciales affectant le secteur du coton", révèle à quel point ce secteur économique souffre de la concurrence déloyale de la production occidentale subventionnée. Ces pays d’Afrique de l’Ouest perdent plus de 250 millions de dollars par an en raison des seules subventions accordées aux agriculteurs américains qui ont reçu un total de 2,1 milliards de dollars en 2001. En tout, les subventions accordées cette année-là à l’industrie cotonnière occidentale se sont élevées à 4,8 milliards de dollars. Les principaux producteurs en dehors de l’Afrique de l’Ouest et qui disposent de programmes de soutien à leur industrie cotonnière sont le Brésil, la Chine, l’Egypte, la Grèce, le Mexique, l’Espagne, la Turquie et les États-Unis.

Un potentiel sinistré

Les subventions aux producteurs occidentaux de coton nuisent considérablement à l’industrie cotonnière africaine. Par exemple, 22% du revenu national du Bénin est généré par le coton, alors qu’au Burkina Faso, cette culture est le premier produit d’exportation avec une part de 60% des exportations et emploie directement 2 millions de personnes. D’après l’ICAC, les pays les plus affectés de la région sont le Cameroun, la République Centrafricaine, le Tchad, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Mali, le Nigeria, le Sénégal et le Togo. « Dans les pays de la zone CFA d’Afrique occidentale et centrale, la chute récente du prix mondial du coton est intervenue au même moment où ils réformaient leurs secteurs cotonniers pour les rendre plus compétitifs et moins dépendants de l’État. Ces réformes pourraient être compromises », a averti l’ICAC dans son étude. Le Comité consultatif international sur le coton suggère que l’Afrique occidentale et centrale devaient, en théorie, être parmi les zones les plus florissantes en matière de production de coton car elles peuvent se vanter d’avoir « du coton de bonne qualité, des rendements élevés et des taux d’égrenage élevés ». Tout en notant que « les conditions écologiques locales, la main-d’œuvre bon marché et une bonne organisation du secteur favorisent la compétitivité de l’Afrique de l’Ouest », l’ICAC souligne que la région « ne peut pas concurrencer le niveau des subventions dans les autres régions ».

Deux poids, deux mesures

En insistant sur la nécessité de trouver des ressources financières et des opportunités commerciales plus importantes pour les pays en développement, le secrétaire général de l’ONU, dans une lettre adressée au G8 la semaine dernière, a déclaré qu’il espérait que les dirigeants réunis à Evian allaient discuter « non pas pour savoir s’il fallait se pencher sur ces défis, mais pour trouver comment nous pouvons les résoudre ». De la perspective de la seule production cotonnière, il est difficile de ne pas voir l’hypocrisie de certaines déclarations et engagements pris par les pays du G8 ces dernières années. Tout en préconisant des réformes dans les pays producteurs de coton du monde en développement, ils font volte-face et subventionnent leurs propres producteurs. Si ces producteurs subventionnés ont à leur actif environ 53% de la production cotonnière mondiale, comment les agriculteurs et les économies de l’Afrique de l’Ouest peuvent-ils être compétitifs ? Comment leurs économies peuvent-elle se développer ? Comment peuvent-ils lutter contre la pauvreté et les maladies ? Ce sont là, des questions qui devraient représenter un casse- tête non seulement pour les présidents Thabo Mbeki d’Afrique du Sud, Abdoulaye Wade du Sénégal, Olusegun Obasanjo du Nigeria ou Abdelaziz Bouteflika de l’Algérie, qui ont été invités à la réunion d’Evian, mais aussi pour ceux qui vont participer au prochain sommet de l’Union africaine (UA) prévu au mois de juillet à Maputo, au Mozambique.

Une des nombreuses injustices

Étant donné que les tentatives individuelles de certains pays de s’opposer à ces infâmes subventions ont été jugulées en étant qualifiées "d’actes inamicaux" contre les intérêts américains, ne serait-il pas plus approprié pour l’Union africaine de soumettre le problème au niveau de l’Organisation mondiale du commerce ? Que les dirigeants du continent africain soient ou non invités à Evian par le G8 pour présenter l’agenda du NEPAD ou soient mandatés par l’UA avec un message clair, le problème des injustices subies par les cotonculteurs ouest-africains comme conséquence des subventions accordées à leurs homologues des pays occidentaux, mérite d’être posé avec toute l’énergie nécessaire.
Quand le président du conseil d’administration de la Banque ouest-africaine de développement, Dr Yayi Boni, suggère, à juste raison, que les préjudices causés aux agriculteurs ouest-africains nécessitent des solutions à la fois politiques et juridiques, c’est à l’Union africaine qu’il lance cet appel à une action. Mais le cas du coton n’est qu’une des nombreuses injustices dont souffre l’Afrique.
Une autre couleuvre que l’Afrique doit avaler est celle de la dette. Son montant n’est jamais clairement défini ni les modalités de son remboursement librement négociées. À cela peut s’ajouter le traitement spécial réservé aux soit-disant travailleurs immigrés africains en Occident. L’ironie étant que la doctrine occidentale de la mondialisation prêche la libre circulation de la plupart des facteurs de production, excepté la main-d’œuvre quand elle vient d’autres régions du monde. Les dirigeants invités à la conférence du G8 ne doivent pas s’attendre à ce que leurs hôtes posent ces problèmes douloureux puisqu’ils ne concernent pas le monde industrialisé, en tant que tel.

Promesse insuffisante pour 30 millions d’Africains
Paris annonce le triplement de son aide à la lutte contre le SIDA
La contribution française au Fonds mondial de la santé, initialement de 50 millions d’euros par an, sera portée dès cette année à 150 millions, a annoncé dimanche à Evian le président français Jacques Chirac. « J’ai décidé pour marquer la volonté de la France de s’impliquer dans la lutte contre le SIDA, qui fait des ravages en Afrique, de tripler immédiatement l’aide française à cette pandémie en la portant à 150 millions », a déclaré le président Chirac lors de la conférence de presse de présentation du Sommet des huit pays les plus industrialisés. La contribution française sera, a-t-il ajouté, complétée par celle de l’Union européenne qui entend, selon le chef de l’État français, examiner cette question lors de son prochain sommet prévu en Grèce. « La France souhaite que l’Union européenne s’engage à hauteur d’un milliard de dollars par an pour être au même niveau que les États-Unis en matière de lutte contre le SIDA. J’ai eu un échange sur cette question avec le président de la Commission européenne et je crois pouvoir vous affirmer que notre souhait sera exaucé par nos partenaires », a dit Jacques Chirac.
L’annonce du triplement de l’aide française a été timidement accueillie par les milieux associatifs qui estiment que Paris a les moyens de faire encore mieux dans la lutte contre le SIDA. « Nous jugeons ce triplement notoirement insuffisant. Si les États-Unis ont décidé de consacrer 0,03% de leur produit intérieur brut (PIB) à la lutte contre le SIDA, nous estimons que la France peut faire autant en portant sa contribution à 500 millions d’euros par an. On veut bien croire que l’Afrique est une priorité pour la France, mais on préfère juger aux actes », a déclaré Khalil Elouardighi d’Act-Up Paris. Son ONG, réputée pour son combat pour l’accès des malades africains aux antirétroviraux, a en outre simulé dimanche un cimetière géant au pied de la Tour Eiffel à Paris pour, dit-elle, rappeler que 8.000 personnes meurent chaque jour du SIDA dans le monde. Avec près de 30 millions de sidéens sur les 40 millions au monde, l’Afrique, où seulement 50.000 personnes ont accès aux traitements, reste la partie du monde la plus affectée par la pandémie qui a tué, selon le Programme commun des Nations unies pour la lutte contre le SIDA (ONUSIDA), plus de 2 millions d’Africains en 2002.
La création d’une force africaine de paix examinée à Évian
Un projet de création d’ici à 2010 d’une force inter-africaine de maintien de la paix a été soumis au Sommet des huit pays les plus industrialisés, a révélé Michel Camdessus, conseiller du président français Jacques Chirac pour le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).
Selon l’ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI), les éléments de cette force africaine, qui aura dans un premier temps la dimension d’une brigade de paix, seront fournis par chacune des cinq régions géographiques du continent. « Le projet de création de cette force que nous avons soumis aux chefs d’État comprend également une composante civile qui aura pour mission de s’occuper des questions humanitaires au cas où les conflits venaient, malgré tout, à éclater », a dit l’ancien dirigeant du FMI.
« La mise en place de cette force n’a d’autre but que de donner encore plus de chances de succès au NEPAD, un projet qui a convaincu tous les partenaires de l’Afrique. Le NEPAD a aujourd’hui modifié la nature des relations entre l’Afrique et le reste du monde et pour cette raison, il faut lui donner toutes ses chances », a dit le représentant spécial de Jacques Chirac pour la nouvelle initiative africaine. Affirmant avoir discuté du NEPAD en Afrique où il a trouvé une très forte adhésion à cette initiative, l’ancien patron du FMI a exclu qu’elle soit un nouveau sigle de plus.

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus