Libre opinion d’André Oraison, Professeur de droit international public

Comment réagir face à l’impérialisme et au néocolonialisme du Président Donald Trump dans la zone du canal de Panama et au Groenland danois ?

31 janvier, par André Oraison

Depuis sa prise de pouvoir officielle célébrée avec faste sous la coupole du Capitole le lundi 20 janvier 2025, Donald Trump — réélu Président des États-Unis pour un second mandat (2025-2029) — a confirmé par des déclarations fracassantes sa position sur la plupart des sujets majeurs évoqués lors de la campagne présidentielle de 2024. Par leur extrême gravité, certaines d’entre elles remettent en cause les principes fondamentaux du droit international public positif élaborés dans le cadre des Nations Unies depuis le 24 octobre 1945, date d’entrée en vigueur de la Charte de San Francisco (1). Ces fanfaronnades, ces gasconnades ou vantardises formulées avec beaucoup d’assurance par l’actuel locataire de la Maison Blanche retiennent une nouvelle fois toute notre attention dans la présente étude en raison de leurs conséquences dommageables pour l’ensemble de la Communauté internationale.

Aujourd’hui et plus encore qu’hier, Donald Trump déclare urbi et orbi qu’il veut faire des États-Unis — ce que cet État est pourtant déjà depuis la fin du Second Conflit mondial — la plus grande puissance du Monde pour contrecarrer notamment les récentes prétentions de la République populaire de Chine en Extrême-Asie ou celles plus traditionnelles de la Fédération de Russie en Europe orientale. Dès le premier jour de son second mandat, le tonitruant milliardaire américain, âgé de 78 ans, a déclaré avec aplomb, que désormais « le déclin de l’Amérique est fini » et que « l’âge d’or de l’Amérique commence ». Pour concrétiser ses ambitions, Donald Trump peut compter, il est vrai, sur sa majorité républicaine au Congrès et sur une Cour suprême ancrée à droite et, par suite, gagnée à sa cause.

Dans la présente « Tribune libre », nous ne reviendrons pas sur la prétention de Donald Trump de faire de l’immense Canada le 51e État membre de la Fédération nord-américaine car une telle prétention n’a aucune chance d’aboutir : c’est tout au plus une pitoyable plaisanterie qui n’a pas été appréciée par les Canadiens. En revanche, nous retiendrons le fait que le 47e Président des États-Unis a répété qu’il a bien l’intention de reprendre possession — au besoin par la menace ou l’emploi de la force — de la zone du canal de Panama qui est placée sous la souveraineté d’un modeste État d’Amérique centrale (I). Il a aussi confirmé, avec moult intimidations à l’appui, ses visées impérialistes et néocolonialistes sur le Groenland qui relève, en droit, d’un petit État européen : le Danemark (II).

I.- Les menaces sérieuses du Président Donald Trump sur la zone du canal de Panama

Un rappel historique s’impose pour comprendre les convoitises de Donald Trump sur le canal maritime de Panama qui a fait l’objet d’importants travaux d’élargissement et de modernisation lancés le 3 septembre 2007 — en présence de l’ancien Président américain Jimmy Carter — et achevés le 28 juin 2016 (2). Il faut d’emblée reconnaître l’intérêt que représente pour les États-Unis cette voie d’eau artificielle avec écluses de 80 kilomètres de long, située en Amérique centrale et qui permet un passage rapide des navires de guerre et de commerce de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique et vice-versa.

Peu après le soulèvement des Panaméens contre le Gouvernement de la Colombie en 1903, avec l’aide de l’armée américaine et notamment de la marine, les États-Unis reconnurent la souveraineté de la République du Panama et signèrent avec le nouvel État un accord qui consacrait leurs droits sur le futur canal de Panama. Par le Traité américano-panaméen (le « Traité Hay-Bunau-Varilla ») conclu à Washington le 18 novembre 1903, la République du Panama concède en effet à perpétuité aux États-Unis « l’usage, l’occupation et le contrôle de la zone du canal », une zone de 10 milles de large située de part et d’autre de la voie d’eau internationale. Les États-Unis ont également le droit d’assurer la défense de la zone du canal et, par suite, celui de construire des fortifications militaires. En échange, ils s’engagent à intervenir militairement pour garantir la pleine indépendance du Panama. De même, ils acceptent de payer à cet État une somme forfaitaire de 10 millions de dollars et de verser une redevance annuelle de 250 000 dollars. Les professeurs Mathias Forteau, Alina Miron et Alain Pellet précisent que l’accord américano-panaméen du 18 novembre 1903 correspond bien, au plan juridique, à « un quasi-transfert de souveraineté » de la zone du canal de Panama au profit des États-Unis (3).

Vivement et régulièrement contesté par l’État du Panama et réaménagé à plusieurs reprises, ce régime a finalement été abrogé par les traités américano-panaméens du 7 septembre 1977 : les « Traités Torrijos-Carter ». Signés également à Washington, ces accords prévoient la « liberté de passage » dans la « voie d’eau de transit international » au profit des navires de tous les États en paix avec le Panama ainsi que la rétrocession du canal par étapes au profit de cet État, avec néanmoins une date butoir : celle du 31 décembre 1999. Depuis le 1er janvier 2000, date de la rétrocession effective du canal au Panama, la voie d’eau internationale est en effet administrée par l’Autorité du canal de Panama : un organisme entièrement panaméen, compétent tout à la fois pour la gestion, l’exploitation et la protection du canal.

Le Président Donald Trump prétend aujourd’hui faire marche arrière et revenir au statu quo ante pour consolider la domination stratégique des États-Unis sur le continent américain et accroître au passage les intérêts économiques de cette grande puissance en pratiquant au besoin, à l’égard de la République de Panama, la « politique de la canonnière » qui avait fait florès tout au long du XIXe siècle. Il serait souhaitable que tous les États de l’Amérique latine fassent bloc pour protester — avant même un passage à l’acte — contre la politique arrogante et impérialiste du nouveau pouvoir qui vient de s’installer pour quatre ans à Washington. Plus encore, il serait indispensable que tous les États latino-américains s’engagent — en cas de passage effectif à l’acte — à boycotter les produits en provenance des États-Unis. Seule une solidarité latino-américaine ferme et pérenne — une solidarité qui frappe fort au portefeuille — pourrait peut-être faire fléchir les inadmissibles et illicites appétits de Donald Trump.

II.- Les menaces imminentes du Président Donald Trump sur le Groenland danois

Un rappel historique est également nécessaire pour comprendre les revendications immédiates de Donald Trump sur le Groenland : une île gigantesque de plus de 2 millions de kilomètres carrés, située entre l’Atlantique Nord et l’océan Arctique. Une grande partie de sa surface est recouverte de glaces. La majorité de ses 57 000 habitants vit le long des côtes, essentiellement dans le sud-ouest. Le Groenland est depuis 1979 une terre dotée d’une autonomie au sein du Royaume du Danemark. Par la suite, en vertu d’un référendum du 25 novembre 2008, les Groenlandais se sont prononcés en faveur d’une « autonomie élargie » approuvée par 75 % des suffrages exprimés et aussitôt entérinée par une loi votée par le Parlement danois, une loi entrée en vigueur le 21 juin 2009. De surcroît, le Groenland est un territoire ultramarin associé à l’Union européenne en tant que pays et territoire d’outre-mer (PTOM) (4). Riche en ressources énergétiques (pétrole et gaz) et en ressources minières (cobalt, nickel, or, plomb, titane, uranium, zinc), son sous-sol attise les convoitises des grandes puissances comme la Fédération de Russie, la République populaire de Chine et, au premier chef, celles des États-Unis.

Pour sa part, Donald Trump perçoit « dans l’appropriation et le contrôle du Groenland une nécessité absolue » aux plans économique et stratégique pour « la sécurité nationale » des États-Unis « et la liberté à travers le monde ». Précisons néanmoins qu’il y a déjà au Groenland — c’est-à-dire dans la banlieue de la Russie — une base militaire américaine créée en 1941 et intégrée à l’OTAN en 1951.

Il est déjà fort regrettable que les exigences méphistophéliques avancées par le Président américain n’aient pas à ce jour déclenché d’énergiques protestations communes ou individuelles de la part des États ouest-européens, des pays amis des États-Unis et, pour la plupart, membres de l’OTAN. Ces États sont sans doute, de prime abord, dubitatifs devant les allégations de Donald Trump ou soucieux de ne pas froisser de manière hâtive le grand allié nord-américain, bien qu’il soit sans conteste très dangereux par ses propos. À notre humble avis, c’est une erreur grossière et même une erreur qui pourrait peut-être se révéler désastreuse pour les intérêts légitimes des Danois et des Groenlandais.

Les revendications insensées et réitérées du Président américain sur le Groenland constituent une violation caractérisée du droit international public. Elles se traduisent par une remise en cause des Nations Unies créées par la Charte de San Francisco et fondées sur « le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » (Article 1er). Ses revendications portent également atteinte à la Charte qui énonce le principe cardinal selon lequel les États membres des Nations Unies « règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques » (article 2).

Les États de l’OTAN et de l’Union européenne devraient donc spontanément et très rapidement mettre en œuvre une solidarité concrète en faveur du Danemark, un pays membre de ces deux grandes organisations. En tout premier lieu, les États européens devraient demander isolément ou en commun à Donald Trump des explications ou précisions clarificatrices sur ses intentions réelles ou supposées et éventuellement exiger — dans l’hypothèse d’une confirmation des intentions belliqueuses du Président américain sur le Groenland — une condamnation des États-Unis à l’Assemblée générale des Nations Unies et concevoir, de surcroît, dans le cadre de l’organe plénier de l’ONU, des sanctions économiques appropriées par l’instauration notamment d’un embargo sur l’ensemble des produits américains.

Mais d’autres sanctions pourraient frapper les États-Unis. On sait que les États membres de l’Union européenne et de l’OTAN viennent en aide à l’Ukraine, un pays dont une partie du territoire national a été envahie par la Russie. A fortiori, ces États devraient envisager — dès à présent et à titre préventif — l’envoi de contingents militaires au Groenland pour défendre la souveraineté du Danemark en tant que pays membre de l’OTAN. Cet État est en effet menacé d’agression par un État qui se trouve être les États-Unis ! C’est dire en premier lieu que l’exclusion de l’OTAN de cet État félon devrait être sérieusement envisagée. D’un autre côté, c’est dire aussi que l’Europe ne peut plus compter sur l’aide américaine au plan militaire et qu’elle doit désormais songer à assurer seule sa défense. Certes, de telles sanctions peuvent paraître chimériques. Elles doivent néanmoins faire l’objet de débats au sein de l’OTAN et de l’Union européenne afin que soit apportée une aide efficace au Danemark et d’abord aux Groenlandais qui rêvent d’indépendance pour leur pays et nullement d’intégration aux États-Unis.

En guise d’épilogue, tout doit être mis en œuvre pour neutraliser les exigences de celui qui se croît sans complexe sorti de la cuisse de Jupiter et se dit miraculeusement investi d’une « mission divine ». Si l’on veut vraiment éviter la survenance d’un Troisième Conflit mondial, il incombe à la Communauté internationale de se mobiliser, d’être ferme afin de contrecarrer au plus vite les ambitions belliqueuses et cauchemardesques de Donald Trump : l’objectif ultime est de ramener ce Président américain à la raison, au bon sens commun et au respect strict du droit international public positif.

André Oraison

(1) A. ORAISON, « L’impérialisme exacerbé du Président Donald Trump : une négation absolue du droit international public », Témoignages, lundi 13 janvier 2025, p. 2-3 ; Le Quotidien de la Réunion, jeudi 16 janvier 2025, p. 30.
(2) Voir notamment à ce sujet J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public, Paris, LGDJ, 2019, p. 513.
(3) M. FORTEAU, A. MIRON et A. PELLET, Droit international public, Paris, LGDJ, 2022, p. 1683.
(4) Le statut des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) ne doit pas être confondu avec celui des régions ultrapériphériques de l’Union européenne (RUP) qui sont directement soumises au droit européen. Concernant la France, c’est le cas pour six collectivités périphériques : nommément la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte et Saint-Martin.

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