’Alon filozofé’ ... !*

De l’émotion à la réflexion

Billet philosophique

30 novembre 2007, par Roger Orlu

Face à un événement, peut-on passer de l’émotion à la réflexion ? D’une réaction affective, sentimentale, émotionnelle à la pensée rationnelle ? Ce n’est ni évident ni facile, comme on le vit et on le voit tous les jours. Cette difficulté du cerveau humain est même souvent source de tracas, de comportements passionnels voire tragiques.
Mais même si ce passage n’est pas toujours indispensable, il est possible voire très utile. Il est vrai aussi, que parfois l’émotion provient de l’analyse et de la compréhesion d’une situation et que parfois l’émotion ouvre la voie à la réflexion. Les deux sont donc à la fois liées et opposées, selon les circonstances.

En tout cas, que d’émotions ce dimanche midi dans le parc boisé du Port, “Fonnkèr Laurent Vergès” ! Dans le cadre de la semaine des fêtes de la ville du Port, un pique-nique avec animation musicale - “kari èk séga” - est organisé en cet endroit rempli de charme, près de la grande cascade qu’on ne se lasse pas de regarder et d’écouter. Nous nous trouvons dans une sorte d’oasis, inimaginable avant les années 70 dans cette plaine de galets, de savane et de “zépinar”, où s’est construite la cité maritime.
À l’ombre des “bwa nwar”, on est envoûté par la musique de leurs graines dans leurs gousses géantes bercées par les alizés ; on déguste un “zanbrokal” et un “rougay sosis”, suivis d’une tranche de “gato patate” et de “gato ti son”. Pendant que l’on savoure des morceaux de chansons créoles, dont l’inévitable question de Maxime Laope : « di amoin kouék sék lamour », on voit au loin, dans le cirque de Mafate, le piton Cimandef, du nom de cet esclave marron qui signifie en malgache : “Celui qui ne courbe pas la tête”.

Vous imaginez toutes les émotions que l’on peut ressentir dans de telles circonstances, au milieu de Portoises et de Portois de tous les âges et de toutes conditions, unis dans un même plaisir. Et l’esprit se met à vagabonder.
En regardant ces personnes et les sommets de l’île où se réfugièrent nos ancêtres rebelles, on pense à la continuité de notre Histoire. La résistance à l’exploitation et à l’oppression des personnes a toujours fait partie de la philosophie réunionnaise, de génération en génération. Pourquoi, dès lors, le système éducatif et le système de l’information en place à La Réunion font-ils si peu pour faire connaître cette Histoire aux Réunionnais.

Ce rejet a pu être encore observé lors du 100ème anniversaire de la naissance de Léon de Lépervanche, célébré cette semaine. Sommes-nous conscients que tous les progrès réalisés dans notre île depuis 60 ans découlent essentiellement de la loi du 19 mars 1946, pour laquelle ont lutté l’ancien maire du Port, son “dalon” Raymond Vergès et tous leurs compagnons ? Savons-nous que les Réunionnais d’aujourd’hui sont en grande partie les héritiers des luttes menées par ces hommes et ces femmes pour abolir le statut colonial de La Réunion et pour faire appliquer le principe d’égalité proclamé par cette loi historique ? Si oui, quelles conséquences en tirons-nous ? Si non, le risque de l’irresponsabilité face aux nouveaux changements indispensables paraît évident.

Évoquer ce jeune adolescent réunionnais de 16 ans qui a lu le “Manifeste du Parti communiste” du philosophe Karl Marx et qui a ensuite préféré quitter le lycée pour se consacrer jusqu’à son dernier souffle à « l’édification d’une société plus fraternelle » (1), cela donne de l’émotion. Mais connaître la vie et l’œuvre de cet homme permet aussi d’apprendre à ne se soumettre personnellement et collectivement à aucune situation injuste. “Philosopher” ça veut bien dire aussi : réfléchir pour tenter de tirer des leçons du passé et construire ainsi un avenir meilleur.

Roger Orlu

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(1) voir le livre “Hommage à Léon de Lépervanche”, rédigé par Eugène Rousse (Océan Éditions - novembre 2007).

Léon de Lépervanche

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