Le pape a béni Ground Zero...

De la haine et de l’amour

28 avril 2008, par Alain Dreneau

Le “Canard enchaîné” appelle ça les « apparentements terribles » : sur une même page de journal, des articles voisins, dont l’association des titres ou des thèmes traités produit un effet choc sur le lecteur. Un récent numéro du “Quotidien de La Réunion” (édition du 21 avril) en étale un échantillon saisissant dans une de ses pages “Monde”.

Premier article. Le pape Benoît XVI a fait une visite de 6 jours aux Etats-Unis, au cours de laquelle il n’a pas manqué de se rendre sur le site des deux tours de l’ex World Trade Center, à Manhattan. Il a béni le site de Ground Zero, s’y est recueilli, y a prié, avant de demander solennellement à Dieu d’apporter « la paix dans un monde violent » et de « faire retrouver le chemin de l’amour à ceux dont le cœur et l’esprit sont consumés par la haine ».

Très bien. C’était le discours attendu, et le pape n’a pas déçu ses fidèles. On imagine difficilement le Saint-Père préconiser le chemin de la haine à ceux dont le cœur et l’esprit sont consumés par l’amour !

Mais, plus sérieusement, qui sont ces humains que stigmatise le chef du Vatican, humains égarés par la haine et la violence ? Vu le lieu d’où le message a été délivré - le site de l’attentat du 11 septembre 2001 -, la réponse ne fait pas de doute. Dans l’esprit du pape, ce sont bien sûr ceux qui s’en prennent aux Etats-Unis d’Amérique. Ce sont « les forces du Mal », dénoncées en permanence par l’hôte qui l’a reçu en grandes pompes, le président George W. Bush.

Deuxième article, accolé au premier par les aléas de la mise en page. Il donne une information qui aurait mérité de faire la “une” de tous les medias d’information dignes de ce nom. Une enquête du “New York Times” vient de révéler « une formidable entreprise de propagande », perpétrée par « l’administration Bush ». Depuis le début de la guerre en Irak et de celle en Afghanistan, le pouvoir en place à Washington a manipulé les analystes qui interviennent dans les grands medias pour « expliquer » ces guerres. En fait, pour les justifier, les légitimer aux yeux d’une opinion américaine qu’on vise à décerveler et à manipuler.

Les « experts » en question sont en réalité des pions au service du Pentagone (1). Anciens hauts gradés de l’armée pour la plupart, ils restent sous l’influence de l’idéologie des “faucons” de Washington. Mais ce n’est pas tout. Ils travaillent en réalité pour des entreprises qui bénéficient des gigantesques contrats d’armements passés avec... le Pentagone. D’un côté, ils sont les conseillers, les “lobbyistes” de ces industries militaires, qui “pompent” les centaines de milliards de dollars de la « guerre contre le terrorisme ». De l’autre, ce sont eux qui monopolisent les grandes chaînes de radio et de télévision pour, sous couvert d’expertise et d’analyse, façonner le jugement des citoyens américains, démultiplier la formidable entreprise de conditionnement qui s’abat sur l’opinion américaine.

La guerre menée par les Etats-Unis en Irak a été ourdie à partir de mensonges absolus - depuis les armes de destruction massive jusqu’au sanctuaire du terrorisme international en territoire irakien - diffusés jusqu’à écoeurement par des soi-disant journalistes et des soi-disant spécialistes. Ces mensonges appartiennent aujourd’hui à l’Histoire. Ils ont ouvert la voie au crime inouï d’une agression qui a déjà provoqué la mort de plus de 650.000 Irakiens (2), et de plus de 4.000 Américains. Tous ces massacres pour quoi ? Pour s’accaparer le pétrole, pour gonfler toujours plus les super-profits des grandes firmes supra-nationales, pour creuser toujours plus la misère de milliards d’humains sur la planète.

Alors... et la haine dans tout ça ? Qui sont ceux dont le pape explique qu’ils ont « le cœur et l’esprit consumés par la haine » ? Ceux qui osent dire non à l’impérialisme américain ? Ou ceux qui détruisent les peuples du monde, du Moyen Orient à l’Afghanistan, en passant - s’il faut remonter un peu dans le temps - par le Nicaragua, le Chili, Saint-Domingue...? Le pape a béni Ground Zero. Lourd symbole. Au-delà de la compassion, sentiment en vogue chez les va-t-en-guerre de Bush et consorts, cette bénédiction ne sonne-t-elle pas comme un soutien de fait à une politique aberrante et monstrueuse ?

La haine, elle doit être dénoncée par toutes les femmes et tous les hommes qui veulent changer le monde. Elle est enfouie au cœur d’un système qui nous écrase, celui de l’accumulation délirante des richesses pour une infime minorité.

Cette haine envers l’humain fait d’ailleurs bon ménage avec l’amour. L’amour du profit à tout prix, quels que soient les crimes qui vont avec.

Alain Dreneau

(1) le département de la défense des Etats-Unis, autrement dit le ministère de la guerre.
(2) “Le Monde” du 12 avril 2008, selon une enquête publiée par le magazine médical “The Lancet”


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