Face à une opinion réunionnaise plus que sceptique

Des arguments peu adaptés

13 avril 2005

Entre “l’argument” de Fruteau - ’i donne pas in coup pied dans son zasiette manzé’ - et les grandes envolées sur une Europe élargie que les Réunionnais connaissent mal, les partisans du “oui” ne savent plus comment argumenter.

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Contrairement à ce que laissait entendre le titre de “Témoignages” de lundi - les "Européens ne croient pas en l’Europe qui se prépare" -, en fait ils ne croient pas tout simplement en l’Europe, celle d’aujourd’hui comme celle de demain. 43% seraient indifférents à un abandon de l’Union et 13% s’en satisferaient. 56% des Européens “s’en foutent”, dira-t-on en usant d’un langage populaire.
Selon l’enquête de “l’Eurobaromètre” dont sont extraites les données ci-dessus, une majorité d’Européens ne sait même pas comment est fait le drapeau de l’Union. La tendance est à "l’indifférence et l’apathie". Même l’idée centrale des pères fondateurs de l’Europe, celle d’une construction au service de la paix, ne suffit pas à vaincre le scepticisme.
Cela nous donne une image assez paradoxale de l’opinion européenne vis-à-vis de l’Union.
L’Europe concentre les plus vieux États du monde. Elle cherche depuis longtemps à construire son unité. Elle veut le faire sur la base de valeurs communes mais n’a pu éviter guerres et affrontements. Toujours est-il qu’entre Français, Italiens, Belges, Hollandais, Polonais, Estoniens, on sait qui est qui. Malgré cela, l’idée d’une Europe unie, rassemblée, a du mal à passer.

Des préoccupations éloignées des Réunionnais

Dans la campagne qui se déroule actuellement chez nous, les plus Européens que les Européens, se recrutent parmi les partisans du “oui”, à commencer par les socialistes si l’on en croit un tract diffusé samedi par leur section de Saint-Pierre. Celui-ci débute par un développement sur l’élargissement et se termine par un appel à voter pour une "Europe forte face aux USA". Autant de préoccupations qui apparaissent éloignées de celles des Réunionnais.
Le Traité constitutionnel a pour objectif essentiel de permettre un meilleur fonctionnement d’une Union passant de 15 à 25. On pourrait faire un jeu et demander aux Réunionnais, qui sont les 10 nouveaux États-membres ? Nous aurions des surprises.
Nous pouvons penser que nos compatriotes connaissent la Pologne. Mais savent-ils où se trouvent l’Estonie, la Lithuanie, la Slovénie, Chypre ? Si les Français partagent avec les Autrichiens, les Lithuaniens, les Estoniens le christianisme, des valeurs, une histoire commune, des guerres et même un championnat d’Europe de football, pour les Réunionnais, ce sont avant tout des étrangers. Nous n’y pouvons rien. C’est le résultat de la Géographie et de l’Histoire.

Absence de proximité entre les Réunionnais et l’Europe

Jean-Claude Fruteau traduit cette mise à distance à sa manière, c’est-à-dire avec cynisme, en répétant qu’il faut être avec l’Europe pour gagner son "zasiette manzé". L’élu socialiste constate une évidence : l’absence de proximité entre les Réunionnais et l’Europe, et la manifestation d’une indifférence et une apathie à l’égard de l’Union plus grandes que celles des Européens eux-mêmes. Alors il juge que la quintessence de l’Europe aux yeux de nos compatriotes, ce qui la résume ou ce qui en constitue le meilleur de ce qu’elle offre c’est une "assiette de manger".
C’est une manière inélégante sinon vulgaire de voir les choses. Elle s’accomode mal des grandes envolées sur la construction d’une Europe plus sociale, plus démocratique et acculée à réaliser au mieux son élargissement. Autrement dit, entre l’injure facile et les thèmes passant au-dessus de la tête des Réunionnais, les socialistes ne savent pas quel argument utiliser en faveur du “oui”.

J. M.


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