Quelle mondialisation ?

Des « déceptions » et des « avancées » pour les pays du Sud

L’Afrique du Sud tire les enseignements de Cancun

17 septembre 2003

La conférence ministérielle de l’OMC s’est conclue dimanche sans permettre la signature d’un accord qui convienne aux 146 États membres. Tout au long des négociations, les pays du Sud ont tenté d’amender un texte qui reprenait avant tout des propositions des Européens et des Nord-Américains. Alors que la plupart des médias titrent sur un échec et reprennent les points de vue des délégations occidentales qui considèrent que tout le monde est perdant, il est intéressant de connaître comment le résultat de Cancun est perçu dans notre région, notamment en Afrique du Sud, première puissance économique de l’Afrique australe.

Le ministre sud-africain du Commerce et de l’Industrie, Alec Erwin, s’est déclaré préoccupé et déçu par l’incapacité des États membres de l’OMC à passer un accord mutuel concret et définitif lors de la cinquième Conférence ministérielle de Cancun, au Mexique. Au vu du résultat de ces négociations, Alec Erwin, qui conduisait la délégation sud-africaine à la conférence de l’OMC, a déclaré que les pays devaient travailler de façon urgente et avec détermination à conforter les décisions prises afin d’avancer au-delà de Cancun. Dans un communiqué rendu public après la clôture du sommet, le ministre sud-africain souligne que la complexité de l’agenda nécessitait une certaine compréhension et une appréciation du fait que les pays en développement ont fait de leur mieux pour instaurer l’égalité des chances et un environnement commercial qui élargirait les opportunités de leur développement économique.
Si les pays du Sud ont insisté sur la suppression des subventions qui dénaturent le commerce, a-t-il expliqué, c’est parce qu’ils souhaitaient une égalité qui permette leur intégration significative dans le système commercial multilatéral. « Il est malheureux que le projet de document qui est sorti des consultations ne reflète pas pleinement les préoccupations légitimes et détaillées des pays en développement. L’Afrique a fait des propositions détaillées en ce sens, mais le souci d’équilibre fait qu’il était difficile de progresser en si peu de temps », a souligné Alec Erwin.

Union pour le développement

Il s’est cependant déclaré satisfait que le Groupe des 21 (G21), qui comprend le Brésil, l’Argentine, l’Afrique du Sud, l’Inde, la Chine et le Nigeria, ait pu faire une proposition équilibrée sur ce qu’il leur fallait pour avancer. « Le Groupe a indiqué qu’il existe une possibilité que les négociations aient des résultats significatifs pour les pays en développement dans les domaines de l’accès au marché, du soutien interne et de la concurrence à l’exportation des produits agricoles, tout en tenant compte des préoccupations en matière de sécurité alimentaire et de développement rural et de celles des pays les moins avancés », a-t-il affirmé.
Il a expliqué que les efforts concertés des pays en développement dirigés par le G21 avaient pour but d’obtenir certains changements positifs de la part de l’Union européenne (UE) et des États-Unis dans les domaines clés de l’agriculture. « C’est notre opinion qu’un travail excellent a été fait durant cette semaine à Cancun sur lequel nous pourrons compter à Genève au siège de l’OMC. Nous avons aussi tiré la leçon que dans ces organisations multilatérales, les membres doivent écouter les besoins de tous, particulièrement de ceux qui représentent la majorité des pauvres du monde », a-t-il ajouté.

Un changement historique

Sur la question complexe et critique de l’agriculture, Alec Erwin a noté qu’il y a eu certaines avancées importantes qui vont former la base des travaux futurs et qui seront promues. Il a souligné qu’il est essentiel d’assurer une égalité des chances qui permettra aux agriculteurs des pays en développement de produire et d’exporter vers les marchés mondiaux de manière à promouvoir une croissance économique et un développement soutenus.
« Notre déception de ne pas avoir obtenu de résultats concrets à Cancun est tempérée par les avancées qui ont été réalisées. Pour la première fois dans l’histoire de l’OMC, le monde en développement, uni non sur des bases idéologiques, mais sur des intérêts essentiels et bien exprimés, a agi de concert pour faire avancer son programme de développement », a-t-il souligné. Alec Erwin a qualifié ce changement d’historique en déclarant qu’il marque un nouveau chapitre et une nouvelle dynamique dans les négociations de l’OMC, qui pourraient être décisifs dans la promotion des négociations pour résoudre les défaillances structurelles de base de l’économie mondiale qui s’opposent au développement et à la croissance.

Corriger les déséquilibres

Par ailleurs, la ministre sud-africaine de l’Agriculture, Thoko Didiza, qui a aussi participé aux négociations de Cancun, a déclaré que les déséquilibres du système commercial mondial devaient être redressés. Une analyse de l’Union européenne du commerce de plusieurs produits agricoles montre que les pays de l’UE importent beaucoup moins que ce qu’ils exportent, et que ces exportations sont rendues possibles par le versement de subventions à l’exportation à leurs agriculteurs.
« C’est pour ces raisons que l’Afrique du Sud s’est jointe au Groupe des 21, une alliance de 21 pays en développement qui demandent que le problème des déséquilibres du système commercial mondial soit résolu de manière effective », a déclaré Thoko Didiza. « Le développement équitable des pays en développement sera dans l’intérêt de tous, y compris des pays industrialisés », a ajouté la ministre sud-africaine.

Autres réactions : l’O.M.C. ne doit pas être une chambre d’enregistrement
• Cancun est « une réussite » pour l’Algérie
Le ministre algérien du Commerce, Noureddine Boukrouh, a estimé que la 5ème conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui vient de clore ses travaux à Cancun (Mexique) est « une réussite pour l’OMC et non un échec ».
« La conférence n’a pas pu obtenir un consensus qui aurait donné lieu à une déclaration ministérielle comme c’est l’usage, mais il serait erroné de conclure à un échec de l’OMC. C’est un échec de cette session mais une réussite pour l’OMC », a déclaré le ministre algérien à l’issue de la conférence. Noureddine Boukrouh a estimé que « ce résultat vient de démontrer que cette organisation n’est pas une chambre d’enregistrement des décisions des pays riches ».
« Il n’y a pas eu de déclaration ministérielle consensuelle parce que les avis divergeaient et les intérêts des uns et des autres ne se recoupaient pas et surtout parce que des propositions ciblées bien présentées ont été accueillies avec un certain mépris par les pays auxquels elles s’adressaient, notamment l’initiative sectorielle du coton », a-t-il ajouté. Selon le ministre algérien du Commerce, il ne s’agit pas « de l’échec du système multilatéral, mais plutôt d’un échec d’une session qui n’était pas assez multilatérale, car on a voulu confiner les revendications des petits dans des promesses vagues et indéterminées ». Noureddine Boukrouh a encore ajouté que « les pays en développement ne se sont pas laissés faire [et] ont voulu obtenir des engagements précis et concrets ».
• « Un coup d’arrêt », selon le C.A.D.T.M.
« Le mouvement altermondialiste se réjouit que Cancun soit un échec » car « c’est un coup d’arrêt » au cycle de négociations commerciales entamé à Doha en 2001, a estimé lundi le Comité français pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM). Interrogé par la presse, le secrétaire général du CADTM, Damien Millet a affirmé que « les pays du Sud peuvent quand même s’estimer heureux. Ils ont montré leur force, ils ont réussi à créer des liens entre eux », même si « le G21, ce sont les plus puissants des pays pauvres », a-t-il encore estimé. « L’échec est imputable aux États-Unis qui n’ont pas voulu céder, mais il y a quand même l’émergence de ce G21, même s’il ne regroupe pas tous les pays du Tiers-Monde », a constaté Daniel Millet.
• Les agriculteurs français satisfaits
[« Cet échec est pour nous salutaire. Il représente le point de départ d’une nouvelle réflexion sur les relations internationales », a estimé le porte-parole de la Confédération paysanne, José Bové. L’ONG Greenpeace s’est elle emparé de l’occasion pour demander « aux gouvernements de réunir au plus vite une conférence internationale ayant pour mandat d’établir les bases pour la création d’un système commercial différent ».

Au rang des satisfaits, on trouve également les agriculteurs européens et notamment français qui estiment que « mieux vaut pas d’accord qu’un mauvais accord ». Ces derniers avaient effectivement beaucoup à perdre. L’agriculture et surtout les subventions accordées aux agriculteurs européens et américains étaient au cœur des débats. Les États-Unis et l’Europe s’étaient engagés à supprimer une partie de ces aides et à réduire les autres. Aujourd’hui, plus rien ne presse.

Rien ne change pour Washington ?
Malgré le désaccord de Cancun, il n’est pas certain que les États-Unis soient catastrophés par la résistance des pays du Sud. D’une part, ils n’ont rien lâché sur les gigantesques crédits exports qu’ils consentent à leurs agriculteurs, c’est un atout pour George Bush en campagne électorale. D’autre part, ils ont obtenu de l’Union européenne que les soutiens internes à l’agriculture soit remis en cause même s’ils n’affectent pas la concurrence.
Enfin, ils ont fait passer par profits et pertes toutes demandes africaines tant sur le coton que sur l’accès en franchise de droits et de quota des produits des pays les moins avancés. Au total, comme le déclarait dans les couloirs de Cancun le Sénateur Chuck Grassley, président de la commission des Finances : « heureusement les États-Unis ont beaucoup d’options. Nous pouvons poursuivre notre politique d’ouverture des marchés sur tous les fronts multilatéral, plurilatéral et bilatéral ».

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