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par le Dr Raymond Vergès

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Espagne 1937, l’espoir trahi

lundi 30 juillet 2007


1937-2007. La Guerre d’Espagne reste dans les mémoires collectives comme la tragédie du 20ème siècle où la trahison de l’espoir d’un peuple par les démocraties occidentales a été la plus évidente.
Un an après, le soulèvement fasciste de juillet 1936 avait partiellement échoué, mais l’Espagne s’installait dans la guerre...


« La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l’ennemi ! », déclara Picasso, sous l’Occupation allemande, à propos de Guernica.

Pour plusieurs raisons, 1937 est décrit comme un “tournant” dans la guerre d’Espagne. En particulier, un tournant militaire : la chute de Bilbao, la riposte de Brunete, l’offensive de Teruel...
L’armée républicaine a réussi à contenir l’attaque de Madrid, lancée par Franco l’année précédente, mais elle ne pourra pas garder l’avantage : l’immense déséquilibre de l’armement, les déchirements du camp républicain - surtout en Catalogne - auront raison de l’enthousiasme, du courage, de la furieuse résistance du peuple espagnol et des Républicains. Il en reste à jamais le formidable témoignage de colère muette, de peur et de larmes laissées par Picasso : “Guernica”, la toile réalisée pour le pavillon de l’Espagne dans l’Exposition universelle de juillet 1937, à Paris.

En janvier 1937, la jeune République espagnole commande à Picasso une peinture qui devait orner le pavillon de l’Espagne à l’exposition universelle de cette même année. Picasso accepte : dès 1936, il avait pris le parti de la République, depuis Paris. En juillet 1936, il avait même été nommé directeur d’un musée vide, le Prado, dont les toiles avaient été mises à l’abri dans des caves.
Pablo Picasso, qui alors “flottait” entre 3 femmes - Olga, Marie-Thérèse et Dora... - aurait d’abord pensé à un sujet comme “le peintre et son modèle”. Sujet bien faible, quand tous les jours parviennent, de l’autre côté des Pyrénées, des nouvelles tragiques, certes pas toujours vérifiables... une rumeur effrayante d’où se détachent des faits avérés pas moins affligeants, rapportés par les quelques Républicains que le peintre accueille dans son atelier de la rue des Grands-Augustins, à Paris : le poète Federico García Lorca avait été assassiné près de Grenade. Saint-Exupéry revient avec ce témoignage : « Là-bas, on fusille comme on déboise ! ».
Survient le 26 avril 1937, la légion Condor - créée par Hitler 8 jours après le soulèvement franquiste de juillet 36 et commandée par Hugo Sperrle (connu en Espagne sous le nom de Sander) - lâche plus de 3.000 bombes incendiaires sur Guernica, petite ville de la baie de Biscaye - 6.000 habitants, 3.000 réfugiés - un jour de marché... L’aviation allemande pilonne la petite ville pendant plus de 3 heures. Entre deux vagues de bombes explosives et incendiaires, des appareils plus légers mitraillent la population en fuite. Le bilan officiel est de 1.654 morts.
Le 30 avril 1937, le quotidien communiste “Ce soir”, que dirigeait Louis Aragon, publie des photos de la ville anéantie. Cette vision est un choc ! Ce sont les libertés basques et la toute nouvelle Autonomie qu’on a voulu détruire !
Pour cette toile monumentale, Picasso fera pendant 3 mois près de 100 dessins.
Après l’exposition, l’œuvre de Picasso porta l’idéal républicain en Scandinavie, à Londres, à Liverpool et jusqu’aux Etats-Unis, où elle se trouvait lors de la chute de Madrid (mars 1939). Elle resta près de 50 ans au Museum of Modern Art de New-York.
Des manifestants de 1968 mirent en cause sa présence dans le pays auteur des massacres du Vietnam. L’œuvre n’entra en Espagne qu’en 1981, l’année du centenaire de la naissance de son auteur : mort 8 ans plus tôt, Pablo Picasso n’était plus là pour se demander « ce que Goya penserait de Guernica ».
La toile monumentale est aujourd’hui accrochée au centre d’Art de la reine Sophie, à Madrid.

P. David


Attaque aérienne sur Guernica

« Le spectacle était terrifiant »

George L. Steer, correspondant du “Times” de Londres, est le premier journaliste à arriver à Guernica après les bombardements du 26 avril 1927. « A minuit, quand j’entrais dans la ville, le spectacle était terrifiant », écrivit-il. Accouru de Bilbao, il câbla la nuit même à son journal un long article qui fit le tour du monde et servit, entre autres témoignages, à anéantir la thèse mensongère avancée par le “Generalisimo”, selon laquelle la ville aurait été détruite par des dinamiteros rojos (les incendiaires rouges). Son article s’intitulait : « La tragédie de Guernica, une ville détruite par une attaque aérienne. Récit d’un témoin oculaire ».
« Des maisons s’écroulaient des deux côtés de la grand-rue. Il était tout à fait impossible, même pour les pompiers, de pénétrer dans le centre [...]. Le lendemain, lorsque je visitais à nouveau Guernica, la plus grande partie de la ville brûlait encore »,
écrit le journaliste dans l’ouvrage qu’il publia à Londres en 1938, “L’arbre de Guernica” - allusion aux deux chênes centenaires de la place de la Casa de Juntas qui, très aléatoirement, échappèrent aux bombes, de même que le siège du pouvoir d’Euzkadi.
Parmi les autres témoignages qui servirent à contrecarrer les mensonges fascistes, il faut noter celui du chanoine de la cathédrale de Valladolid, le R.P Alberto Onaindia, qui vécut l’horreur de la ville en flammes et fut cité lors de la publication, par la revue “Esprit” d’Emmanuel Mounier, du Manifeste de mai 1937 “Guernica ou la technique du mensonge”.
Cité par Georges Soria dans “Guerre et Révolution en Espagne, t.3”.


Correspondants de guerre

Le 27 juillet 2007, l’Institut Cervantes de Bordeaux a fermé les portes de l’exposition “Correspondant de la guerre d’Espagne”, inaugurée au début du mois de juin de cette année et dont le contenu scientifique a été préparé avec l’historien Paul Preston, dont le dernier ouvrage “Idéalistes sous les balles. Correspondants étrangers durant la guerre civile” vient d’être traduit en espagnol.
L’argument de l’exposition - 17 panneaux et 30 chroniques - situe ainsi l’événement :
« De toutes les guerres qui ont ébranlé le monde, il en est une qui a eu une résonance particulière et qui a rassemblé un grand nombre de journalistes, d’écrivains, d’intellectuels et d’artistes. La guerre civile espagnole fut le laboratoire de la conflagration mondiale et le dernier affrontement pour lequel des milliers de volontaires du monde entier sont venus lutter pour défendre leurs idéaux. Il n’y a pas d’autre guerre des temps modernes qui ait provoqué une émotion aussi intense, un engagement si profond. Intellectuels, penseurs, artistes de tous bords et de différentes tendances idéologiques ont répondu à l’appel de l’Espagne pour effectuer un travail d’information. Les plus grands journaux et revues du monde envoyèrent leurs meilleurs correspondants pour couvrir la guerre dans laquelle s’affrontait l’équilibre des forces qui définiront le 20ème siècle. Les 30 meilleures chroniques sont des descriptions des lieux et des personnes sur le champ de bataille ».

On trouve parmi ces chroniqueurs Ernest Hemingway, John Dos Passos, Mijail Koltsov, Felix Correia, Mario Neves, Geoffrey Cox, Barbro Alving (Bang), William P. Carney, G. L. Steer, Marta Gelhorn, Langston Hughes, Pierre Van Passen, Ksawery Pruszynski, Antoine Saint-Exupéry...
On n’y trouve pas George Orwell dont le livre “Hommage à la Catalogne” a été l’un des plus lus sur la guerre civile. Il a beaucoup contribué à donner une vision romantique des anarcho-syndicalistes du P.O.U.M (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste - réputé proche de Trotski, mais non affilié à la 4ème Internationale), dont le dirigeant Andrès Nin est assassiné après les émeutes de mai 1937 à Barcelone.
Membre des milices du P.O.U.M de 1936 à 1937, George Orwell donne, dans son “Hommage...”, sa version des émeutes de Barcelone, en mai 1937. Une version que l’Histoire ne retiendra pas.


Écrivains et photographes

En 1937, Ernest Hemingway est à Madrid. Il y était correspondant de plusieurs grands journaux nord-américains, auxquels il envoya des chroniques qui eurent un retentissement certain. Il tira aussi de cette expérience son roman “Pour qui sonne le glas”, paru en 1940, des nouvelles et une pièce de théâtre, “La Cinquième Colonne”.
Gerda Taró était l’envoyée spéciale de “Ce soir ”et de “Regards”. Photographe de talent, elle forçait par son audace l’admiration des combattants républicains. Elle fut écrasée par un char républicain qu’elle précédait en première ligne, pendant la bataille de Brunete, le 25 juillet 1937. Elle avait 26 ans. Le magazine “Life” salua « la première femme photographe tuée en action ». Elle faisait équipe avec Robert Capa, célèbre photographe américain d’origine hongroise, son mari, qui trouva la mort au Vietnam 27 ans plus tard.
Ils s’étaient rencontrés à Paris en septembre 1934. Capa a laissé les plus étonnantes photographies de la guerre d’Espagne et deux livres ont été consacrés à Gerda Taró, en 2006.


Confessions d’un transfuge... ou l’art d’enfoncer les portes ouvertes

Le P.O.U.M a toujours accusé les Soviétiques de l’assassinat de leur leader, Andrès Nin. Cette accusation aurait trouvé un fondement ténu, après l’ouverture en 1992 des Archives de Moscou. On y aurait trouvé une lettre de juillet 1937 signée d’Alexander Orlov, membre du N.K.V.D (service d’espionnage soviétique) selon laquelle le meurtre aurait été commis par « deux membres du NKVD » (dont lui-même) « aidés de trois communistes espagnols ». C’est du moins ce que dit “Le Monde”, qui ne donne ni citation, ni reproduction de cette lettre.
Une autre lettre de mai 37 (signataire inconnu) expliquerait comment les services de Staline comptaient « fabriquer des preuves » qualifiant Andrès Nin et d’autres membres du POUM « d’agents du fascisme ».
D’une part, il faut observer que l’espion Alexander Orlov, passé aux Etats-Unis dès 1938, a publié des confessions - “L’histoire secrète des crimes de Staline” - parues à New-York en 1952... Quarante ans plus tôt ! Il n’avait pas tout dit ?
D’autre part, un service secret qui « fabrique des preuves »... En voilà un scoop !
Et enfin, le Service d’Information Militaire (SIM) créé en août 1937 par Indalecio Prieto, leader du Parti socialiste (PSOE) pour lutter contre l’espionnage franquiste, servit aussi à éliminer « les ennemis de la République ».
Il faut replacer ces guerres intestines dans leur contexte et constater que les historiens, aujourd’hui, loin de faire le procès de la présence soviétique en Espagne, en soulignent le rôle éminemment positif, tandis que les démocraties occidentales assistaient sans broncher au soutien que Mussolini et Hitler ont apporté à Franco et aux fascistes espagnols dans ce qui a été décrit plus tard comme le premier acte de la Seconde guerre mondiale.


Paul Preston, historien

« Une vision fausse »

Depuis la mort de Franco, la recherche historique a fait de grandes avancées sur la politique interne de la République espagnole, le rôle de l’Eglise, la férocité de la répression franquiste. Dans la lignée d’un Hugh Thomas, Paul Preston est l’un des grands historiens britanniques de la guerre civile espagnole : il lui a consacré une dizaine de livres, dont pas un n’a été traduit en français !
Dans une interview donnée ce mois-ci au “Monde”, il fait le point sur le débat historique né de la guerre civile :
« Les travaux des historiens ont (...) remis à l’honneur le rôle du Premier ministre Negrín dans le maintien de l’Etat en pleine guerre. On a aussi mis en cause le rôle des anarchistes et du POUM, en sortant de l’influence de Georges Orwell. Son Hommage à la Catalogne est la vision de quelqu’un qui a séjourné peu de temps en Espagne et qui ne comprend pas très bien ce qui se passait. (...)
Sur la “vision romantique” donnée de l’action du P.O.U.M, l’historien n’hésite pas à dire aujourd’hui que ce n’est pas une vision romantique, mais une vision « fausse ». « En gros, il [G.O] explique que la guerre a été perdue parce que Staline a écrasé la révolution et qu’il est donc coupable de la défaite. C’est oublier qu’il y avait en face Hitler et Mussolini et que sans les armes soviétiques, la République aurait été balayée en novembre 1936. Sans les Brigades internationales et les avions russes, l’affaire était perdue ».

De part et d’autres, il y eut des assassinats. C’était la guerre ! En contrepoint de la vision “romancée” du camp républicain, il y eut la « légende noire » sur « la République qui assassine les bourgeois, viole les nonnes, brûle les églises, collectivise par la force ».
Paul Preston poursuit : « Les recherches historiques nuancent ce tableau : la répression républicaine a provoqué 55.000 morts en 3 ans. Très vite, l’Etat se reconstruit et les meurtres s’arrêtent. Alors qu’en zone franquiste, les assassinats sont des instruments de la politique des militaires, de la Phalange, justifiés par l’Eglise. Dans les 37 provinces pour lesquelles on a des études, on possède les noms de 100.000 personnes assassinées. (...)
« Les événements de mai 1937 à Barcelone [affrontements entre communistes et anarchistes alliés du POUM] qui, selon la littérature, sont l’œuvre des Russes, sont provoqués par des luttes internes dues à la crise de ravitaillement dans une ville envahie par les réfugiés. Il fallait alimenter la population. Les anarchistes de la CNT envoyaient des patrouilles à la campagne pour approvisionner la ville, et les paysans cachaient leurs récoltes. Le gouvernement de Catalogne a alors tenté de restaurer le marché libre. Cette lutte est à la base de ces événements. Les Russes ont vu l’occasion de liquider leurs ennemis du POUM, en particulier son chef, Andrès Nin. Mais la question fondamentale a été le contrôle de l’Etat en temps de guerre ».
Cité dans le “Monde 2”, juillet 2007.


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