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Il y a deuil et deuil

vendredi 12 juin 2009, par Roger Orlu

Un ami de "Témoignages" nous a envoyé la semaine dernière ce petit message après la catastrophe aérienne qui a tué 228 personnes sur un vol d’Air France entre le Brésil et Paris : « Pendant la mondialisation du deuil aérien, la faim tue 17.000 enfants par jour. Qui s’en émeut ? Qui s’en endeuille ? ».
Effectivement, la différence entre les places consacrées par les médias d’une part à la tragédie à bord d’un avion Airbus dans le Sud de l’océan Atlantique et d’autre part au crime quotidien commis par les plus riches de la planète qui affament les plus pauvres pose des questions. Qu’est-ce qui explique cette différence de traitement ? Est-elle justifiée ?
Il y a deuil et deuil… Mais cette comparaison a-t-elle un sens et faut-il opposer la douleur que l’on peut ressentir devant l’une ou l’autre tragédie ?
On peut dire que ce sont deux types d’événements dramatiques qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre et qu’il n’y a donc pas lieu de comparer la place qu’accorde à chacun le monde médiatique dominant. D’ailleurs, l’opinion est davantage émue lorsqu’elle apprend qu’un avion est tombé en mer, tuant plus de 200 passagers et membres de l’équipage, que si on lui parle des dégâts de la famine sur la Terre.
Mais est-ce l’émotion qui doit servir de référent au traitement de l’information quotidien ? Et y a-t-il une égalité à respecter entre un enfant pauvre qui meurt de faim et un usager du transport aérien ?

Prostitution médiatique

Lorsqu’on voit ce qui se passe tous les jours dans le monde de l’information et les priorités des différents responsables de ce domaine d’activités par rapport à un système socio-économique, culturel et politique injuste, on constate que les uns et les autres ont un comportement de classe. Soit, ils sont au service des classes dominantes qui les financent et cela ressemble alors à de la corruption ou à de la prostitution médiatique. Soit ils sont solidaires des classes exploitées et dominées, en soutenant leurs luttes de libération.
Afin d’éclairer son questionnement, notre ami nous a transmis un entretien avec Éric Toussaint et Damien Millet, responsables du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) sous le titre : « Pourquoi une faim galopante au 21ème siècle et comment l’éradiquer ? »

La famine progresse

Pendant que les pays riches s’inquiètent des conséquences de la crise financière, la faim continue de tuer dans les pays pauvres. Le programme du millénaire, mis en place par l’ONU devait la vaincre, mais en réalité, la famine progresse. Les causes de ce drame sont à rechercher dans les politiques publiques inspirées par le FMI et la Banque mondiale, dans la spéculation et bien sûr dans le phénomène de la dette, observent Damien Millet et Éric Toussaint, Voici un bref extrait de cet entretien :

Comment expliquer qu’on soit toujours confronté à la faim au 21ème siècle ? Un habitant de la planète sur sept souffre de la faim en permanence…

- Les causes sont connues : une injustice profonde dans la distribution des richesses, un accaparement des terres par une minorité réduite de très grands propriétaires. Selon la FAO [1], 963 millions de personnes souffraient de la faim en 2008. Structurellement, ces personnes appartiennent paradoxalement à la population rurale. Ce sont en majorité des producteurs agricoles qui ne possèdent pas de propriétés ou pas assez de terres, ni de moyens pour les mettre en valeur.

Qu’est ce qui a provoqué la crise alimentaire de 2007-2008 ?

- Il faut souligner qu’en 2007 2008, le nombre de personnes souffrant de la faim a augmenté de 140 millions. Cette nette augmentation est due à l’explosion du prix des produits alimentaires [2]. Dans de nombreux pays, cette augmentation des prix de vente des aliments au détail tourne autour de 50%, parfois plus.
Pourquoi une telle augmentation ? Il est important de comprendre ce qui s’est passé depuis trois ans pour répondre à cette question et, ensuite, mettre en place des politiques alternatives adéquates.
D’une part, les pouvoirs publics du Nord ont augmenté leurs aides et leurs subventions pour les agro-carburants (appelés à tort « biocarburants » alors qu’ils n’ont pourtant rien de bio).
Du coup, il est devenu rentable de remplacer les cultures vivrières par des cultures fourragères et d’oléagineux, ou de dévier une partie de la production de grains (maïs, blé...) vers la production d’agro carburants.
D’autre part, après l’éclatement de la bulle de l’immobilier aux États Unis, puis dans le reste du monde par ricochets, la spéculation des grands investisseurs (fonds de pension, banques d’investissement, hedge funds...) s’est déplacée vers les marchés boursiers où se négocient les contrats sur les denrées alimentaires (principalement trois Bourses des États Unis spécialisées dans les marchés à terme de grains : Chicago, Kansas City et Minneapolis). Il est donc urgent pour les citoyens d’agir pour interdire par voie légale la spéculation sur les aliments... Bien que la spéculation à la hausse ait pris fin au milieu de l’année 2008 et que les prix sur les marchés à terme soient ensuite retombés en flèche, les prix au détail n’ont pas suivi le même mouvement. L’écrasante majorité de la population mondiale dispose de revenus très bas et subit encore aujourd’hui les conséquences dramatiques de l’augmentation des prix des aliments de 2007 2008. Les dizaines de millions de perte d’emplois annoncées pour 2009 2010 à l’échelle mondiale vont aggraver la situation. Pour contrer cela, il faut que les autorités publiques exercent un contrôle sur les prix alimentaires afin de les faire baisser.

Roger Orlu

* Envoyez vos critiques, remarques et contributions afin que nous philosophions ensemble… ! temoignages@wanadoo.fr

(1) Organisme des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.
(2) "Retour sur les causes de la crise alimentaire mondiale", par Damien Millet et Eric Toussaint, Réseau Voltaire, 7 septembre 2008.


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