Référendum révocatoire

Jour de vérité

16 août 2004

Dans un entretien paru dans “l’Humanité” de samedi, l’universitaire vénézuélienne, Carmen Teresa Navas Reyes, politologue et professeur à l’Université bolivarienne du Venezuela (UBV), donne son analyse des enjeux du scrutin d’hier et décrit les différentes forces politiques en présence.

À la veille du référendum révocatoire, quel est votre sentiment sur la situation du Venezuela ?

Carmen Teresa Navas Reyes : Je crois que les gens, massivement, se sont identifiés aux mesures promises par le président au début de son mandat, notamment en matière de justice et de programmes sociaux, et ces promesses ont été tenues. Tout indique que cette relation va être consolidée à l’occasion du référendum de dimanche. En cette période de tensions et de crise, beaucoup pensent que le problème c’est le président Chavez et qu’à un moment donné il n’est plus nécessaire. Les partis et les dirigeants de l’opposition, je dirai également les États-Unis, estiment qu’en le révoquant le problème prendra fin. Ils ont d’ailleurs tout fait pour s’en débarrasser, qu’il s’agisse du coup d’État d’avril 2002, de la déstabilisation économique du début 2003, et maintenant de la carte référendaire qui, je le rappelle, tourne autour de la figure exclusive du président Chavez.

L’opposition regroupée dans la Coordination démocratique peut-elle gagner ?

- J’en doute fort. Les partis politiques traditionnels, comme l’Action démocratique (sociaux-démocrates) et Copei (démocrates chrétiens) ne réussissent plus à mobiliser les opposants au gouvernement. Et la création de la Coordination démocratique est une tentative désespérée de répondre à ce problème. On assiste à un phénomène de dégénérescence de la nature de l’opposition elle-même, dans le sens où elle a cédé son champ d’intervention à des acteurs comme le patronat, les médias ou l’Église qui, eux, ont su tirer profit de l’affaiblissement des partis traditionnels. Quant au programme de la Coordination démocratique, "Consensus pour le pays", c’est une copie conforme de ce que Carmona a voulu mettre en oeuvre au moment du coup d’État raté de 2002 : privatisation du pétrole, ce qui pour Chavez n’est pas négociable, réduction des coûts sociaux et, le comble, suppression du référendum révocatoire !

Quelles sont les forces qui soutiennent Chavez ?

- À l’intérieur de ce courant, coexistent des forces très mûres avec des projets bien définis, et d’autres plus centrées sur l’image présidentielle. Le peuple, dont une partie de la classe moyenne (les fonctionnaires, particulièrement les enseignants), c’est indéniable, appuie le président car il a la conviction d’avoir trouvé en lui un allié. Le référendum va décanter ce soutien populaire. Il y aura aussi des ruptures, car on ne peut pas indéfiniment survivre sur la seule relation d’exploitation de l’image de Chavez, sans projet politique. Quant au MVR (mouvement pour la Vème République), qui comprend aussi des gens de droite et du centre, il est resté sous la forme d’un parti qui prend les gens par la main pour avancer. Mais ses membres ne se sont pas vraiment préoccupés de proposer une alternative claire et de former des militants. Chavez n’avait pas de parti, il lui fallait une machine.
Il y a ensuite Patria por Todos, plus petit mais plus cohérent dans sa vision et dans la formation des cadres. Il a fourni le plus gros contingent pour les ministères ou la haute administration. Il est minoritaire en voix, ne disposant que d’un seul député à l’Assemblée nationale. Je le rapprocherai du PT brésilien, avec une doctrine de gauche, voire une base syndicaliste, notamment dans la sidérurgie. À leurs côtés, il y a une collection de petits partis dont le Parti communiste vénézuélien (PCV) à la légitimité historique et dont est issu le vice-président Rangel. On trouve aussi Podemos, scission du MAS (Mouvement vers le socialisme) qui a un rôle de pivot à l’Assemblée.

Et les cercles bolivariens ?

- La première formation reste le MVR. Mais il n’a pas vraiment réussi à canaliser les forces populaires. C’est pour combler ce vide qu’ont été créés les cercles bolivariens. Avec plus d’un million d’adhérents, ils ont une grande capacité de mobilisation. Mais la faiblesse de ce mouvement serait de n’être qu’une étiquette, perdant de son énergie en luttes internes. J’ajouterai qu’en essayant d’institutionnaliser les cercles, on a affaibli le mouvement. Cela se vérifie chez les étudiants et au sein de la Fédération des travailleurs bolivariens. Toutefois si l’on prend l’ensemble de ces partis et mouvements que l’on trouve derrière Chavez, je voudrai souligner que tous veulent la justice sociale, ce qu’on appelle nous "l’inclusion". C’est le dénominateur commun. On ne peut pas parler de communisme.

Hugo Chavez est-il un populiste ?

- Le président revendique parfois haut et fort des concepts en total divorce avec les concepts qui dominent aujourd’hui : globalisation, flexibilisation, mise sous tutelle de la souveraineté nationale ou réduction des politiques sociales. Dans cette vision-là, l’État doit être faible. Chavez au contraire réaffirme la force de l’État pour impulser les grands choix politiques et économiques et pour en corriger éventuellement les erreurs. Je sais qu’en Europe on parle souvent de populisme à son endroit. Mais ici c’est la garantie d’inclure dans la société 80% de la population qui, ne l’oubliez pas, vit dans la pauvreté.

Où placez-vous l’armée dans cet échiquier ?

- C’est une force en totale rupture. Pendant longtemps le commandement militaire a été très distant de la réalité. Seuls les soldats et les militaires de rang avaient un lien avec la population. Le travail des militaires c’était le théâtre des opérations à la frontière et contre la guérilla. Dès l’arrivée de Chavez, il y a eu une véritable révolution. Le plan Bolivar 2000 marque le début de ces changements où l’armée et le peuple entrent véritablement en contact. Je crois que c’était une façon d’effacer le précédent de la répression de la révolte populaire de 1989, le "Caracazo", qui fit des centaines de morts. Le ressentiment a été très fort au sein de la population et même au sein de l’armée. Le président s’est présenté issu des forces armées mais au service de la population. Si l’on compare à la Colombie ou au Pérou, les officiers sont issus des milieux populaires, une minorité provient des classes moyennes ou supérieures. Le militaire subit les mêmes situations que le peuple, son salaire est toujours assez bas. Seuls quelques grands officiers, certains liés à l’oligarchie qui les pousse à agir, ont gardé leurs privilèges. Évidemment il y a eu beaucoup de résistances. Beaucoup de soldats ont voulu revenir dans les casernes tout en n’étant pas préparés à accomplir leurs tâches dans la rue au contact de la population. Il ne faut pas oublier non plus que la cible favorite des médias, c’est l’armée. L’armée et Chavez naturellement.


Hugo Chavez : "Une grande victoire pour le Venezuela"

14 millions d’électeurs étaient appelés à voter hier, les premiers résultats devaient tomber dans la nuit dernière.
Hier, dès minuit, les premiers électeurs faisaient la queue devant plusieurs bureaux de vote, signe avant-coureur d’une participation massive au scrutin qui doit décider si le mandat du président Chavez est confirmé. À trois heures du matin, des feux d’artifice ont réveillé les habitants de la capitale et à six heures du matin, les 16.662 bureaux ont ouvert leurs portes.
14 millions de Vénézuéliens sont appelés aux urnes suite à un référendum convoqué par l’opposition grâce à une opportunité offerte par la nouvelle constitution inspirée par le président Chavez. Et dès l’ouverture des bureaux, on a pu observer de longues files d’attente devant les écoles, alors que l’armée veillait pour éviter les affrontements.
"Êtes-vous d’accord pour laisser sans effet le mandat populaire accordé lors d’élections démocratiques légitimes au citoyen Hugo Rafael Chavez Frias en tant que président de la République bolivarienne du Venezuela pour la période actuelle ?", telle est la question posée aux électeurs.
Si plus de 3 millions 760.000 répondent par l’affirmative et si le oui arrive en tête, alors Hugo Chavez devra quitter la tête de l’État 2 ans avant le terme de son mandat et des présidentielles anticipées devront avoir lieu dans les trente jours.
Hugo Chavez a rendu hier matin hommage au civisme de ses compatriotes, "le peuple discipliné qui a entendu le son du clairon à trois heures du matin et s’est levé" pour voter. Il a appelé au calme, pour que le vote soit "une leçon de démocratie". "C’est un jour de gloire pour la démocratie participative", s’est-il écrié. Ce scrutin est observé attentivement car il se déroule dans un contexte de renchérissement du prix des hydrocarbures (46 dollars le baril). Le Venezuela est le 5ème producteur mondial de cette ressource et assure 15% des importations des États-Unis. D’ailleurs, Hugo Chavez a affirmé que si les libéraux l’emportait, le prix du baril risquerait de monter à 100 dollars.
À noter : la présence d’observateurs internationaux, et parmi ces derniers, l’ancien président des États-Unis, Jimmy Carter.


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