
L’Amérique latine ulcérée par la politique d’immigration de l’Union européenne
24 juillet 2008

Au regard de l’Histoire, les dirigeants latino-américains jugent infamante la ’directive retour’. Leurs pays avaient accueilli 35 millions d’Européens entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale.
Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, des dizaines de millions d’Européens partirent aux Amériques pour coloniser, échapper aux famines, aux crises financières, aux guerres ou aux totalitarismes et à la persécution des minorités ethniques. À la veille de l’examen par le Parlement européen d’une nouvelle directive sur les conditions d’expulsion des clandestins, Evo Morales, le président de la Bolivie, en appelait solennellement à l’Histoire. Dans une lettre ouverte, il enjoignait les dirigeants de l’Union de ne pas voter cette loi. En pure perte : le 18 juin, l’Europe a adopté d’une courte majorité la "directive retour", qui ouvre la voie au placement en rétention pendant dix-huit mois des irréguliers récalcitrants au retour - y compris les mineurs - et l’interdiction de remettre pied sur le sol européen dans les cinq années suivant l’expulsion.
Directive de la honte
Immédiate, la réaction des dirigeants d’Amérique latine « a été à la fois globale et polyphonique », souligne Denis Rolland, professeur d’histoire des relations internationales à Strasbourg. « Injuste et peu chrétienne », vue du Pérou, la directive « constitue une violation des droits de l’homme », selon le Sénat uruguayen, et une mesure « xénophobe » pour le président brésilien Lula. Fidèle à son style, le Vénézuélien Hugo Chavez a joué de la provocation : dès le 19 juin, il menaçait de couper le robinet du pétrole (0,95% de l’approvisionnement européen) aux pays qui appliqueront la "directive de la honte". Evo Morales se veut pour sa part l’instigateur d’une campagne de mobilisation à laquelle se joindrait l’Afrique. Elle commence à avoir quelque écho en Algérie.
La semaine passée, ces responsables ont réaffirmé leur réprobation dans le communiqué commun qui clôturait le sommet du Mercosur (marché commun sud-américain). Ils rejettent « toute intention de criminalisation de la migration irrégulière et l’adoption de politiques migratoires restrictives ». Si Bruxelles les a depuis sommés de « ne pas caricaturer la directive », la crispation latino-américaine doit être envisagée comme « un élément clé du processus de dégradation des relations entre les deux continents », affirme Denis Rolland.
« Latinité » partagée
Fondées sur l’idée d’une « latinité » partagée de part et d’autre de l’Atlantique, ces dernières s’affaiblissent inexorablement depuis le début du XXe siècle. Et des signaux positifs, comme l’entrée massive d’investissements européens après la chute des dictatures, ne suffisent pas à masquer cette tendance, ajoute-t-il. « L’UE a commis une erreur diplomatique sérieuse, à l’heure où elle essaye de conclure des accords de libre-échange avec l’Amérique latine », renchérit Janette Habel, professeur à l’Institut des hautes études sur l’Amérique latine.
Selon ces spécialistes, Evo Morales et ses pairs sont fondés à appuyer leur colère sur l’Histoire. Des décennies durant, leurs pays ont accueilli des Européens en quête de meilleurs lendemains. Au total, ils sont 35 millions à s’y être déracinés entre la fin du XIXe siècle et la Seconde Guerre mondiale, rappelle la démographe Maria Eugenia Cosio. Il a fallu attendre les années 1990 pour que les flux s’inversent. Infime à ses débuts, l’immigration latino-américaine en Europe, d’abord le fait de riches familles puis de militants fuyant les régimes autoritaires, est « devenue strictement économique à partir de 1980 », rappelle Denis Rolland.
Mais ce n’est qu’au cours des toutes dernières années qu’elle s’est faite vraiment significative, « à mesure que durcissaient les conditions d’accueil aux Etats-Unis », relève Maria Eugenia Cosio. « L’Europe est apparue comme une solution de substitution. » La pauvreté généralisée, la crise en Argentine et ses répercussions chez ses voisins, les difficultés économiques du Brésil, le nouveau régime au Venezuela ou la guerre civile en Colombie ont encouragé les départs. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 220000 Latino-Américains d’origine, jeunes actifs pour la plupart, vivent actuellement en Italie, 67000 au Portugal ou 85000 en France. Et 725000 en Espagne - moins de 100000 en 1995 - terre d’exil privilégiée en raison de sa généreuse ouverture. La transposition de la directive « va forcément durcir la position espagnole et compliquer ses liens bilatéraux avec les pays latino-américains », souligne Maria Eugenia Cosio. « Avant, une lettre suffisait pour faire venir quelqu’un de Colombie. »
L’Amérique latine a d’autant plus de peine à se résoudre au verrouillage de l’Europe qu’elle a besoin des remisas, ces sommes d’argents envoyées au pays par les migrants. En Bolivie, cette manne pèse 10% du produit intérieur brut. Traitement infamant des sans-papiers, non-réciprocité historique... Pour le continent qui accueilli ses aïeux, la "directive retour" de l’Europe n’est rien moins qu’une gifle.
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