« L’aventure philosophique réunionnaise continue »

11 avril 2008, par Roger Orlu

Intéressant, l’exposé de Jean Lombard, le 2 avril dernier à Saint-Denis, dans le cadre des conférences organisées par Athéna. Le thème choisi cette année par l’association présidée par Henri Chane-Tune étant “la rupture”, l’ancien inspecteur d’académie de La Réunion nous a invité à réfléchir aux contradictions qui animent une continuité comme la filiation intellectuelle. Celle qui va du maître au disciple. Une dialectique qui voit par exemple, à l’inverse, le disciple créer le maître et « qui forme, depuis ses origines, l’aventure philosophique », selon Jean Lombard.
Le conférencier a montré toute la richesse de cette transmission du savoir à travers les filiations et les ruptures dans la philosophie grecque, de Socrate à Aristote en passant par Platon. Je voudrais ici témoigner de cette richesse, mais en évoquant un exemple concret de ce « processus d’entrecroisement » dans la philosophie réunionnaise contemporaine.
Il y a une quarantaine d’années, un jeune professeur de philosophie est arrivé de France à La Réunion. Sa sortie du ventre de l’avion fut vécue par lui comme une seconde naissance car il entrait dans un autre monde, un autre peuple, une autre culture. Peu de temps après, il fit la connaissance d’un homme, qui devint son second père par la pensée, car très vite il adhéra à sa philosophie et devint un de ses disciples. Cet homme s’appelle Paul Vergès.
Une objection vient aussitôt : comment peut-on parler de filiation et de continuité philosophique à partir d’une personne qui n’est pas connue comme “philosophe” mais plutôt comme responsable politique ? C’est une question que l’on peut effectivement se poser.
Mais voici en substance ce qu’en pense ce disciple : toutes les personnes qui connaissent un peu le fondateur du Parti communiste réunionnais savent à quel point il passe son temps à réfléchir sur le sens profond de ce qui se passe à La Réunion et dans le monde, à analyser les évolutions de la réalité et les perspectives à long terme de ces évolutions. Elles connaissent aussi son esprit critique et novateur, sa sérénité face aux difficultés de la vie, son écoute de l’autre et son sens du dialogue, son goût de l’utopie mais aussi sa détermination à passer “du rêve à l’action” (1). Ceci n’est-il pas une pratique philosophique ?
Paul Vergès est un militant politique mais il n’a jamais eu comme préoccupation d’être candidat à tel ou tel poste pour “faire carrière”. Son souci quotidien est double :

- c’est d’une part, voir comment élever le niveau de conscience de chaque citoyen pour qu’il soit un acteur libre et responsable de l’Histoire ;

- d’autre part, anticiper sur l’avenir afin de pouvoir répondre le mieux possible, collectivement et de façon démocratique, aux besoins de la population pour vivre correctement et en harmonie.
Ce souci repose sur des principes humanistes fondamentaux et sur la nécessité de toujours se remettre en question. Il se situe aussi dans la continuité de penseurs comme Karl Marx.
D’ailleurs, dans un entretien publié le 6 avril par le journal mauricien “Week-End”, Paul Vergès rappelle que « le PCR a eu une adhésion aux thèses marxistes. Nous avons considéré que Karl Marx avait, à un moment de son histoire au 19è siècle, fait une analyse juste des relations de domination de classes (...) ».
Mais lorsque certains soi-disant communistes ont par la suite dogmatisé le marxisme, ils ont trahi les valeurs de ce mouvement. Exactement comme des soi-disant chrétiens ont tué les valeurs portées par Jésus lorsqu’ils ont soutenu l’esclavage, la colonisation, l’inquisition, le nazisme ou encore aujourd’hui le système capitaliste. C’est pourquoi, dit Paul Vergès, « essayons d’être fidèles au mouvement de la pensée marxiste et non pas de la figer ».
Lorsqu’on se considère comme le disciple d’un tel transmetteur de savoir et de sagesse, que fait-on ? Selon le prof de philo cité plus haut, « on cherche à faire connaître sa pensée et son action, à la transmettre aux générations futures pour qu’elles s’en emparent et poursuivent son combat pour transformer la société. C’est ainsi que l’aventure philosophique réunionnaise continue ».

Roger Orlu

(1) “Du rêve à l’action”, titre du récent ouvrage de Brigitte Croisier à partir de plusieurs discours de Paul Vergès et d’un entretien avec le président du Conseil régional de La Réunion.

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