Droits humains

L’esclavage : un crime toujours actuel

Lancement de l’Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition

9 janvier 2004

Le directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, lancera officiellement demain l’Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition, à Cape Coast, au Ghana.
Cape Coast, aujourd’hui classée site du Patrimoine mondial, a été une des plaques tournantes de la traite négrière. Aujourd’hui, dans le monde, des humains sont encore vendus à d’autres humains. Ce fléau frappe plusieurs millions de personnes. Chaque année, on estime que 700.000 humains sont victimes de la traite.

L’Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition sera officiellement lancée demain par le directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, à Cape Coast (Ghana), une des plaques tournantes de la traite négrière, aujourd’hui site du Patrimoine mondial. Cette année est donc consacrée à une tragédie sans précédent, reconnue en 2001 comme crime contre l’humanité à la Conférence mondiale de Durban contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Elle devra permettre à l’humanité de se livrer à son devoir de mémoire, mais aussi à renforcer la lutte contre toutes les formes d’esclavage et de racisme dans le monde d’aujourd’hui.
Proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies "Année de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition", 2004 marque le bicentenaire de la proclamation du premier État noir, Haïti.
« Institutionnaliser la mémoire, empêcher l’oubli, rappeler le souvenir d’une tragédie longtemps occultée ou méconnue et lui restituer la place qui doit être la sienne dans la conscience des hommes, c’est en effet répondre à notre devoir de mémoire », dit le directeur général de l’UNESCO dans son message à l’occasion de l’Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition.
Dans son message, le directeur général de l’UNESCO insiste sur la nécessité que la traite négrière, « cet épisode majeur de l’Histoire de l’humanité, dont les conséquences sont à jamais scellées dans la géographie et l’économie mondiales, prenne toute sa place dans les manuels scolaires et les curriculums de tous les pays du monde ».

Reconnaître l’apport africain au monde

Pour le directeur général de l’UNESCO, un des objectifs de l’Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition est de « connaître et reconnaître l’empreinte majeure des cultures africaines sur la formation des cultures et civilisations du monde ». Des études ont été réalisées à ce sujet montrant que les millions d’esclaves africains, arrachés à leurs foyers, déportés vers le continent américain et vendus, ont véhiculé non seulement des idées et des valeurs spirituelles et culturelles, mais également tout un savoir-faire traditionnel, comme le montre une série d’ouvrages publiés par l’UNESCO.
Dans le cadre de l’Année, l’UNESCO prévoit une série d’activités, en coopération avec ses États membres, les commissions nationales, les organisations gouvernementales et non gouvernementales, les Clubs UNESCO, la communauté scientifique internationale, des lauréats du Prix Nobel, les Artistes pour la paix et les Ambassadeurs de bonne volonté de l’UNESCO.
Ces activités auront pour objectif d’approfondir les connaissances sur la traite négrière et l’esclavage dans le monde entier, en mettant en relief les interactions qu’ils ont générées, ainsi que les dimensions philosophiques, politiques et juridiques du processus d’abolition de l’esclavage. La promotion des sites historiques, la célébration des événements et les hommages aux personnalités, liés à l’esclavage et à son abolition, sont également au programme.

Lutter contre le racisme

« Universaliser la prise de conscience de la tragédie de la traite négrière et de l’esclavage est donc une exigence qui concerne non seulement le passé, mais aussi le présent et l’avenir », dit Koïchiro Matsuura. Pour lui, l’Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition « devrait pouvoir aménager un cadre propice à la promotion d’un dialogue équitable entre les peuples dans le respect de l’universalité des droits humains et sceller l’engagement de lutter contre toutes les formes contemporaines de l’esclavage et du racisme ».
Aboli d’abord à Saint-Domingue (1793), et en dernier lieu à Cuba (1886) et au Brésil (1888), l’esclavage est interdit par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et par la Convention supplémentaire de l’ONU relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage de 1956. Il continue cependant d’exister de nos jours, sous diverses formes : servitude pour dettes, travail forcé d’adultes et d’enfants, exploitation sexuelle des enfants, commerce et déplacement d’êtres humains, mariage forcé.
Selon l’ONG Anti-Slavery, la servitude pour dettes touche au moins 20 millions de personnes dans le monde, alors que l’Office des Nations Unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime (ODCCP) estime à 700.000 le nombre de personnes faisant l’objet d’une traite entre pays chaque année.

La route de l’esclave
Afin de retracer les itinéraires de la traite négrière, le projet "La Route de l’esclave" a lancé, en 1995, avec l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), un programme de tourisme culturel sur la "Route de l’esclave" pour l’Afrique, dont la mission est d’identifier, réhabiliter, restaurer et promouvoir les sites, bâtiments et lieux de mémoire de la traite négrière. Cette conception économique, historique et éthique du tourisme est en même temps un enjeu de mémoire.

Une dizaine de sites significatifs faisant partie de la Route de l’esclave sont déjà inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO : l’île de Gorée au Sénégal, les forts et châteaux de Volga et d’Accra au Ghana, l’île de Mozambique, les ruines de Kilwa Kisiwani et de Songo Mnara en Tanzanie, les palais royaux d’Abomey au Bénin, la citadelle Sans Souci en Haïti et plusieurs centres et villes historiques au Brésil, à Cuba, en République dominicaine et au Panama. Robben Island en Afrique du Sud, sans être directement lié à la traite, reste l’emblème le plus fort de ses conséquences durables, à savoir la diffusion de la mentalité raciste, systématisée par le régime de l’Apartheid.

C’est sur un de ces lieux de mémoire, le fort de Cape Coast, situé à 170 kilomètres d’Accra, la capitale ghanéenne, que l’Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition sera lancée demain par le directeur général de l’UNESCO, en présence d’Isaac Adumadzie, Ministre régional de la région centrale (Cape Coast), ainsi que des ministres responsables de la culture du Bénin, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Nigeria et du Togo et avec pour la première fois la participation de 20 chefs traditionnels africains.

Des humains sont encore vendus à d’autres humains
Le nombre d’esclaves n’a jamais été aussi imposant qu’actuellement. Si l’on en croit le Bureau international du travail (BIT), pas moins de 120 millions d’enfants sont condamnés au travail forcé sept jours sur sept. Lorsqu’on ajoute ceux et celles qui sont exploités sous diverses formes, on frôle les 300 millions.

Il ne se passe plus une semaine sans qu’une dépêche n’annonce que des policiers ont emprisonné des esclavagistes dans tel pays ou que la compagnie minière X employait des gamins de moins de quatorze ans dans tel autre. En 2003, la palme de la plus importante libération d’esclaves en un coup revient à des inspecteurs de la province de Bahia, au Brésil. Au mois d’août dernier, ces policiers ont libéré 850 personnes assujetties au travail forcé par un planteur de café de la région. Qualifier celui-ci de producteur véreux serait un pléonasme. Passons. La plupart d’entre eux étaient des Indiens d’Amazonie, des adultes.

On évoque cela, leur qualité d’adulte, pour mieux souligner qu’ils faisaient partie de ce contingent de 20 millions de personnes de par le monde qui sont victimes du système esclavagiste traditionnel, soit celui qui a eu cours du XVIème au XIXème siècle. D’après le long exposé de Nelly Schmidt (chercheuse au CNRS à Paris) paru dans le numéro spécial que la revue "L’Histoire" a consacré à ce phénomène, ces personnes ont perdu leur liberté à la suite d’un prêt. « Le remboursement entraîne la mise à la disposition du créancier d’une personne » à qui on alloue le strict minimum vital afin que la dette puisse courir « sur plusieurs générations et impliquer l’ensemble d’une famille ».

Ce mécanisme est répandu plus particulièrement en Amérique du Sud, en Asie du Sud et en Afrique. Le pire, c’est que, faute d’actions énergiques de la part de la communauté internationale, cet emploi du prêt comme moteur de l’asservissement est promis à un avenir florissant pour les uns et tragique pour les autres.

À preuve, la politique arrêtée en Inde. Alors qu’elle dirigeait ce pays, Indira Gandhi s’attela à l’abolition de ce fléau en élaborant un règlement qui consistait à racheter la liberté de la personne. L’application de cette mesure fut et demeure si chaotique que l’inventaire d’esclaves indiens est plus important que jamais. Il s’agit d’ailleurs et surtout d’enfants de moins de quinze ans. Actuellement, la plus grande démocratie du monde compte 60 millions de jeunes exploités dans tous les secteurs de l’économie.

Au Soudan, le marché de Khartoum proposait des enfants à vendre pour quelques dollars. En règle générale, les gamins achetés sont envoyés en Thaïlande où ils sont transformés en objets sexuels. Récemment, le gouvernement thaïlandais a indiqué que pas moins de 40.000 jeunes de quinze ans et moins étaient les prisonniers de proxénètes. Lorsqu’ils ne sont pas prostitués en Thaïlande, mineurs au Brésil ou tailleurs de briques en Inde, ces enfants sont esclaves-soldats.

En effet, l’augmentation de conflits constatée au cours des dix dernières années a favorisé cette nouvelle forme d’asservissement. Selon la Coalition to Stop the Use of Child Soldiers, il y aurait 300.000 esclaves-soldats actuellement.


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