CADTM :« Où est allé l’argent des prêts à la Grèce » ? »

L’essentiel des prêts à la Grèce parti dans la poche des créanciers et des banques

15 mai 2016

Le CADTM publie un article dans lequel il confirme bien que l’essentiel des sommes prêtées à la Grèce ont servi à rembourser les créanciers étrangers et à renflouer les banques détenues en partie par des capitaux extérieurs. C’est donc une opération de transformation de fonds publics en profits privés qui devra être payée par le contribuable.

Trois programmes d’ajustement (Memorandum of Understanding, MoU) se sont succédés depuis 2010. Ils ont consisté à accorder de nouveaux prêts à la Grèce, sous condition d’une austérité drastique. Le premier programme date de mai 2010. Il devait s’achever en juin 2013 mais l’approfondissement de la crise a conduit à la mise en œuvre d’un deuxième programme en mars 2012. Ce dernier, dont le terme initial était fixé à décembre 2014, a été prolongé jusqu’en juin 2015. Le troisième programme prend le relais en juillet 2015, et il devrait se poursuivre jusqu’en 2018.

Certains n’hésitent pas à soutenir que cette « générosité » n’a fait qu’encourager la gabegie budgétaire propre à la Grèce et que les nouveaux prêts ont allés en grande partie au financement des déficits budgétaires courants. C’est la thèse soutenue notamment par l’ultra-libéral Hans-Werner Sinn, qui propose le décompte suivant : « contrairement aux affirmations, la population grecque a également bénéficié de ces crédits. Depuis le début de la crise, en termes nets, un tiers du crédit public a été consacré au financement du déficit du compte courant, un tiers au remboursement de la dette extérieure privée, et un tiers à la fuite des capitaux ». C’est aussi le point de vue de Jeremy Bulow et Kenneth Rogoff qui prétendent que « la Grèce a été en réalité un bénéficiaire net des fonds de la troïka de 2010 à mi-2014, avec un flux inverse modeste puisque la Grèce a esquivé les réformes ».

Il est significatif que ces coups de poignard dans le dos ont été portés en juin 2015, au maximum de la tension entre le gouvernement Tsipras et la Troïka. On sait que Rogoff ne maîtrise pas toujours ses fichiers Excel, mais comment peut-on soutenir une thèse aussi opposée aux faits ? Il est facile de démontrer que ces évaluations reposent sur des erreurs conceptuelles, comme l’a fait Pablo Bortz, un universitaire argentin, qui conclut ainsi son étude : « Un décompte réaliste montre que 54 % de l’aide financière fournie à la Grèce a été utilisé pour rembourser la dette (étrangère), et 21 % pour recapitaliser les banques grecques (dont certaines détenues par des banques étrangères) ».

Le point essentiel est que ce qui est resté disponible pour le financement du déficit budgétaire, autrement dit des dépenses publiques, reste marginal. Plus de la moitié est allée aux créanciers (remboursement + intérêts), mais il faut y ajouter la recapitalisation des banques et les opérations de PSI (Private Sector Involvement) destinées à « adoucir » (sweeten) les pertes des créanciers lors de la restructuration de 2012 (y compris les intérêts supplémentaires). Autrement dit, l’essentiel des fonds entrés en Grèce sont repartis vers les créanciers ou ont bénéficié aux banques, mais à peu près pas au peuple grec, ce qu’avait déjà montré le rapport de la Commission pour la vérité sur la dette grecque.

Tableau 1. Deux évaluations de l’utilisation des fonds

Mouzakis Bortz
Remboursement de la dette 115.7 45.5 % 89.3 39.4 %
Paiements d’intérêt 40.6 16.0 % 39.1 17.2 %
Recapitalisation des banques 48.2 18.9 % 48.2 21.3 %
Private Sector Involvement 34.6 13.6 % 34.6 15.3 %
Financement du déficit 15.3 6.0 % 15.5 6.8 %
Total 254.4 100.0 % 226.7 100.0 %

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