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par le Dr Raymond Vergès

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L’Europe sous la menace d’une capitulation agricole

vendredi 25 juillet 2008


OMC. La baisse des droits de douane agricoles, au coeur des discussions de Genève, menace la souveraineté alimentaire des peuples et le développement durable dont la planète a besoin.


Pascal Lamy a pris l’initiative de réunir les ministres d’une trentaine de pays à partir d’aujourd’hui à Genève pour tenter de trouver un accord sur la libéralisation du commerce international. Pour lui, boucler avant la fin de cette année le cycle de négociation entamé en 2001 à Doha est devenu un objectif en soi, indépendamment du contenu de l’accord. Ancien commissaire européen en charge du Commerce, le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) fait le forcing depuis des mois pour parvenir à ses fins dans un style peu démocratique. Alors que l’OMC compte 152 pays membres, seulement une demi-douzaine de négociateurs représentants les États-Unis, l’Union européenne, le Brésil, l’Australie, le Japon et le Canada discutent depuis des mois du contenu d’un texte qui serait finalement soumis à la signature de 152 pays après avoir été retouché et validé par un groupe de trente. Or, ces six (dont un groupe de pays pour l’Union européenne) sont ceux qui estiment avoir le plus à gagner avec une baisse sensible et simultanée des tarifs douaniers sur les produits alimentaires, les produits industriels et les services. Dans cette partie de poker menteur, les États-Unis veulent gagner sur tous les tableaux. Ils ont maintenu par plusieurs votes récents du Congrès leurs subventions aux "farmers" états-uniens, tout en exigeant une baisse sensible des tarifs douaniers des pays émergents comme des pays pauvres pour leur vendre de la haute technologie et des services. Le Brésil, soutenu par l’Australie, l’Argentine et les autres pays du groupe de Cairns, veut inonder le monde entier de ses exportations de viande, de soja et d’éthanol issu de la canne à sucre. Ces grands pays agricoles peu peuplés au regard de leur superficie entendent ainsi profiter de leurs avantages comparatifs en agriculture pour faire rentrer plus de devises via l’agrobusiness. Le Japon a tout à gagner d’une baisse des tarifs douaniers sur les technologies de pointe et les services. Mais il veut aussi protéger ses producteurs de riz, au nom d’une souveraineté alimentaire au demeurant fort légitime.

Une économie de comptoirs

Parce qu’ils sont tous représentés par le commissaire britannique Peter Mandelson, adepte d’une économie de comptoirs, les 27 pays de l’Union européenne constituent le maillon faible dans ce premier cercle des négociateurs. Sans que les chiffres exacts ne soient jamais portés à la connaissance du grand public, il apparaît que Mandelson a pratiquement tout lâché sur l’agriculture avec des baisses de tarifs douaniers pouvant atteindre 70 à 75% sur plusieurs produits sensibles dont les viandes de bovins, de porcs et de volailles. À cela s’ajoute l’engagement de réduire dans des proportions identiques les soutiens internes connus désormais sous le nom de droits à paiement unique (DPU). L’argument de Mandelson, des commentateurs libéraux et des responsables politiques qui le soutiennent consiste à dire qu’un accord qui affaiblit l’agriculture européenne demeure un bon accord pour l’Europe dès lors que ses firmes vendeuses d’Airbus, de centrales nucléaires, de TGV et de services bancaires accèdent plus facilement aux marchés des pays émergents. Ce qui reste à démontrer. Surtout que Mandelson n’a encore pas marqué un seul point sur ce terrain-là.

Les pays les moins avancés perdraient

Mais il y a plus grave. Présenter comme un "accord équilibré" le troc de la souveraineté alimentaire et le sacrifice des paysans contre une meilleure santé des banques, des compagnies d’assurances et de l’industrie de pointe relève d’une folle irresponsabilité. Ce qui se passe sous nos yeux depuis l’été 2007 avec la flambée des prix des produits alimentaires de base en raison de la faiblesse des stocks mondiaux devrait alerter les décideurs politiques. Cette flambée des cours sur certaines denrées de base permet d’imaginer ce qui se passera le jour où une fragilisation irréversible de la paysannerie européenne aura encore accru la dépendance alimentaire de l’UE qui doit nourrir 500 millions de consommateurs. Surtout que l’Europe est déjà globalement déficitaire en céréales, en oléagineux, en protéagineux, en viande bovine, en viande ovine, en fruits et légumes et pourrait l’être bientôt en vins alors qu’elle demeure le berceau de la viticulture mondiale. Dans ce grand marchandage mondial, les pays les moins avancés perdraient sur tous les tableaux en cas d’accord à Genève, victimes de celle des pays riches et de celle des pays émergents. Leur agriculture aussi d’autant que l’accès privilégié au marché européen dont bénéficient aujourd’hui la plupart de leurs produits agricoles serait remise en cause du fait de la plus grande compétitivité de pays comme le Brésil, l’Argentine, l’Australie et la Nouvelle- Zélande après un nouveau rabotage des tarifs douaniers. Pascal Lamy et Peter Mandelson soutiennent que la libéralisation des marchés et la croissance des échanges induits par cette libéralisation apporteront quelques dixièmes de point de croissance à l’économie mondiale, à défaut de l’abondance pour tous au meilleur prix. Et que la libéralisation du commerce agricole permettra au marché de répondre aux besoins. Ce genre de pronostic ne vaut rien pour l’agriculture dont la production peut varier d’une année à l’autre pour différentes raisons, climatiques en premier lieu.

L’ambiguïté du discours de Sarkozy

Le directeur général de l’OMC, le négociateur européen et même le directeur du FMI tiennent des raisonnements de technocrates déconnectés des réalités en voulant traiter l’agriculture comme l’industrie et les services dans le grand bazar mondial. Cela devrait faire réfléchir nos décideurs politiques. Alors que Mandelson va négocier au nom de l’Europe, Michel Barnier, le ministre français de l’Agriculture, ne pourra être que dans les coulisses avec sa collègue Anne-Marie Idrac, tandis que le principal dirigeant et quelques experts de la FNSEA seront à leurs côtés. Jeudi dernier, Peter Mandelson avait ironisé sur cette présence de Michel Barnier dans les coulisses de la négociation de Genève, affirmant qu’il verrait bien le ministre français de l’Agriculture « apporter le pique-nique » aux trente ministres négociateurs venus de différentes régions du monde. Car, a-t-il ajouté, « nous aurons besoin de moyens de subsistance pendant cette longue semaine ». Une façon sans doute de répondre à Nicolas Sarkozy qui l’accusait récemment d’avoir bradé l’agriculture sans contrepartie. Une accusation fondée mais qui révèle aussi l’ambiguïté du discours tenu par le président de la République. Car Nicolas Sarkozy continue de parler d’accord « équilibré ». Lequel pourrait toujours impliquer de sacrifier le secteur agricole si d’autres secteurs s’en sortent mieux. C’est justement l’erreur à ne pas commettre au regard de la situation alimentaire mondiale plus tendue que jamais.

Gérard Le Puill


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