Nos relations avec l’Europe

L’Union européenne et les R.U.P. : des perspectives préoccupantes

À la Région, comptes-rendus d’expertises et débats

23 décembre 2003

La Région a organisé hier une rencontre autour des rendus d’expertises de divers organismes et cabinets consultants auxquels elle avait demandé des études évaluant l’impact sur les RUP de l’élargissement de l’Union européenne.
Les trois experts (voir encadré) invités par la Région à débattre avec une assemblée d’entrepreneurs et de responsables des orientations données au développement socio-économique, ont abordé des aspects juridiques et économiques des évolutions à prévoir dans nos relations avec l’Union européenne.
Comme le président de la Région en a averti l’assemblée d’entrée de jeu, les différents exposés ou analyses « ont été menées en toute indépendance par rapport à la Région et n’engagent que leurs acteurs ou leurs institutions ».
La restitution a abordé deux grands chapitres :
a) le nouveau contexte européen, avec l’adhésion au 1er mai 2004 de dix pays supplémentaires (5 pays d’Europe de l’Est, 3 des Balkans et 2 méditérannéens) ;
b) la nouvelle organisation des échanges internationaux et les politiques régionales.
L’intérêt pour la Région est de pouvoir dégager, dans les transformations en cours, des perspectives lisibles où inscrire ses actions. Le président de la Région a terminé son introduction au débat en donnant pour perspectives de trouver « des opportunités de développement dans des accords régionaux de partenariat ».

Une présence à affirmer

Chacun des deux thèmes ci-dessus a donné lieu à deux exposés. Tout d’abord un état des lieux en matière de Constitution européenne par Jacques Ziller, juriste de l’Institut universitaire européen (IUE) de Florence, suivi d’un exposé, par le consultant en commerce et développement international Jean-Michel Salmon, sur l’impact de l’élargissement de l’Union dans les Régions Ultrapériphériques (RUP).
De l’exposé juridique, on retiendra que si la nouvelle Constitution européenne vise à une simplification des traités actuels, cette nouvelle donne ne simplifie en rien la situation des RUP au sein de l’Union, définie par les articles IV-4 et III-330 du futur Traité : le premier visant le champ d’application territoriale tandis que le second maintient la possibilité pour les RUP de bénéficier de dérogations et d’applications spécifiques, pourvu qu’elles soient approuvées par une majorité qualifiée des représentants du reste de l’Union. C’est un des premiers gros écueils pointé lors de la séance.
Mais les territoires d’outre-mer font aussi l’objet d’une annexe (IV-4, §7) leur donnant la possibillité d’une modification de statut à l’égard de l’Union.
Après l’échec du Sommet européen du 12 décembre dernier à Bruxelles sur le projet de Constitution, la perspective envisagée par le consultant de l’IUE est que la présidence irlandaise, du 1er janvier au 1er juillet, aura fort à faire pour ramener l’harmonie entre l’ensemble des membres actuels et futurs membres, et quelle pourrait être amenée à élargir ses consultations. Les RUP, dont les experts ont noté qu’elles avaient été très présentes auprès de la Convention, ont peut-être là encore une présence à affirmer.

Menaces sur les fonds européens

Sur le plan de l’impact économique, il est clair que l’entrée dans l’Union de pays en retard de développement, en faisant baisser la moyenne du PIB européen, va modifier les donnes dans la répartition entre fonds structurels (distribués aux régions) et fonds de cohésion (répartis entre les États). Mais les projections des progressions des PIB dans les RUP laissent la Réunion éligible à l’objectif 1 - ce qui au passage n’est guère encourageant quant aux fruits à attendre d’un "développement" de La Réunion dans le cadre actuel.
Ce deuxième exposé s’est terminé en constatant « des difficultés en perspectives » et en proposant trois axes sur lesquels déployer une stratégie défensive et offensive - le troisième étant notamment de pratiquer des ouvertures régionales.
Le débat qui s’est instauré avec la salle, en conclusion à cette première partie, a soulevé les questions de la diminution des fonds - ils seraient à diviser par 1,7 selon l’un des experts - et de la capacité de l’Europe à accepter la différenciation des insertions régionales des RUP, par rapport à ce qui pourrait être observé dans d’autres régions d’Europe.

Un horizon peu dégagé

La deuxième partie a fait place à des exposés sur ce qui doit changer dans les règles de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et les incidences sur les politiques régionales : d’où il ressort que les dangers et les menaces sont nombreux dans les négociations commerciales multilatérales (OMC) et que les RUP ’« ont un fort besoin de développer des clauses régionales », selon Jean-Michel Salmon.
Dans les négociations bi-latérales, l’horizon n’est guère plus dégagé - les accords de Cotonou s’avérant moins favorables que ceux de Lomé (I à 4) qui les avaient précédé - tandis que des décisions unilatérales de l’Union européenne ("Tout sauf les armes" ou le régime "Narcotrafic") viennent compliquer les accords dans les sous-ensembles régionaux.
La conclusion est qu’il faut se garder de l’angélisme et que les RUP doivent être vigilantes sur la défense de leurs intérêts si elles ne veulent pas à terme « doubler leur isolement géographique d’un isolement institutionnel ».

« Il faut être déterminés »

Quant à l’expert de l’OCDE, il a présenté des observations réunies sur La Réunion, prise comme cas d’école dans le cadre d’une présentation générale des programmes de l’OCDE. Il s’agit là d’une décision exceptionnelle au niveau de cette organisation internationale.
L’étude du cas de La Réunion envisage plusieurs solutions, selon les "doctrines". Celle privilégiée par l’OCDE est « d’étendre la base économique » par des ressources à la fois internes et externes et d’« attirer les investissements » par une ouverture du marché.
Parmi les obstacles identifiés, l’OCDE pointe les distorsions salariales et la « sur-rémunération », l’octroi de mer et les aides de l’État que l’OCDE propose d’utiliser pour un « Fonds de développement régional », dont le rôle serait de « cibler les goulots d’étranglement ».
La conclusion générale de cet expert a été qu’il fallait chercher à sortir du lien actuel « par décision politique plutôt que suite à un traumatisme ».
Au final, et sous l’avalanche des problèmes et difficultés évoqués au fil des rapports, les professionnels en auront peut-être gardé la conviction que les évolutions, tant au sein de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) que de l’UE, exigent un suivi rigoureux. Répondant à quelques inquiétudes manifestées dans le débat, un expert a rappelé cette maxime de l’Union selon laquelle « il n’y a pas lieu d’être pessimiste ou optimiste : il faut être déterminés ».
De la détermination, il en faudra en effet si, à l’instar de Guy Dupont, président du CPI (Comité de pilotage de l’industrie), l’ensemble des professionnels rassemblés hier sont ressortis des débats en se demandant « si l’U.E a une politique pour les RUP... ».

Les trois experts
La présentation de l’évolution des contextes du développement de La Réunion hier après-midi au Conseil régional a eu lieu avec la participation de trois experts :

• Mario Pezzini, chef de division à la Direction de la Gouvernance Publique et du Développement Territorial à l’OCDE.

L’organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) regroupe aujourd’hui 30 États sur la base de leurs attachements aux principes de l’économie de marché et de la démocratie pluraliste. Elle a en outre des conventions avec 70 autres États. Les pays membres travaillent au sein de différents Comités, dont celui des Politiques de Développement Territorial. Mario Pezzini est le responsable de l’examen de La Réunion dans le cadre de la réflexion menée par l’OCDE sur la compétitivité régionale.

• Jacques Ziller, chef du Département de Droit de l’Institut Universitaire Européen de Florence

L’Institut Universitaire Européen de Florence est une organisation internationale dont les membres sont les États de l’Union Européenne. Il gère le plus important programme doctoral en Sciences Sociales en Europe, d’où viennent ses professeurs et ses étudiants. Jacques Ziller est Professeur détaché de l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne) et spécialiste de Droit européen, Droit public comparé et Droit d’Outre-Mer. Il a assisté la Région Réunion dans le suivi des travaux de la Convention Européenne et de la CIG.

• Jean-Michel Salmon, Maître de Conférences à l’Université Antilles-Guyane

Consultant en commerce et développement international, Jean-Michel Salmon a réalisé avec la collaboration de M. Mario Fortuna, Professeur de l’Université des Açores, et de M. Carlos Alonso, consultant aux Canaries, l’étude d’impact de l’élargissement et des accords commerciaux internationaux sur les RUP. cette étude a été remise au Commissaire européen Michel Barnier lors de la 9° Conférence des Présidents des RUP (Régions ultrapériphériques de l’Union européenne) en Martinique le 31 octobre 2003.


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