L’Union européenne et les États-Unis veulent faire jouer leurs spécificités

La ’concurrence libre et non faussée’ : pas pour tout le monde !

8 avril 2005

Devant la hausse importante des importations de textile chinois depuis le 1er janvier, la Commission européenne a annoncé mercredi avoir défini les conditions sous lesquelles elle pourrait imposer des obstacles à cette libre concurrence pour protéger les producteurs européens. Un projet dénoncé par le gouvernement chinois et par l’ONG Oxfam et qui est loin de réunir également l’unanimité des États-membres de l’Union européenne. On peut constater que c’est une remise en cause du principe de ’la concurrence libre et non faussée’, cité 174 fois dans le projet de Traité constitutionnel soumis à référendum le 29 mai prochain. Les défenseurs de l’ultra-libéralisme sont bel et bien piégés par les règles qu’ils ont dictées aux autres afin de dominer le marché mais qu’ils se refusent à eux-mêmes lorsqu’elles les gênent.

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Depuis la levée des quotas sur le textile chinois le 1er janvier, 4 ans après l’adhésion de ce pays à l’Organisation mondiale du commerce, les articles “made in China” s’exportent beaucoup plus facilement. Une situation qui s’explique car cela fait déjà de longues années que l’industrie chinoise se prépare à cette ouverture des frontières.
Dans la perspective de l’adhésion à l’OMC (Organisation mondiale du commerce), puis dans celle de l’ouverture des marchés, les décideurs chinois ont anticipé ces changements dans les relations commerciales mondiales. Ils ont donc favorisé les investissements dans le textile avec la construction d’usines et la création de millions d’emplois.
Ce bouleversement très rapide provoque des inquiétudes en Europe et aux États-Unis, car dans ces pays, rares étaient les décideurs à imaginer que les Chinois puissent être près à tirer parti des règles que les ultra-libéraux ont dictées en aussi peu de temps.
D’où des craintes des producteurs européens, relayées au plus haut niveau à Bruxelles. "Il y a des craintes sérieuses sur l’impact de la hausse des importations chinoises sur les industries textiles de l’UE", a affirmé Peter Mandelson, successeur de Pascal Lamy au poste de commissaire européen au Commerce.
Quant aux États-Unis, ils ont annoncé lundi qu’ils ouvrent une enquête. Cette procédure pourrait aboutir à un retour aux quotas dans le but de protéger les producteurs américains des conséquences d’une “concurrence libre et non faussée”.

Les libéraux refusent de s’appliquer leurs propres règles

Le gouvernement chinois n’a pas tardé à réagir à cette remise en cause d’un marché à “la concurrence libre et non-faussée” par justement ceux qui tentent de persuader l’opinion que le “libéralisme” ou son synonyme d’“économie sociale de marché” sont la seule issue.
À l’attention de Bruxelles, il précise que la décision prise par l’Union européenne "aura d’énormes conséquences négatives non seulement sur le commerce bilatéral de produits textiles, mais également sur le commerce mondial de ces produits".
En Europe, des règles définies par la Commission affirment qu’une hausse de 10% à 100% des importations chinoises par rapport au niveau de 2004 peut déclencher une enquête de l’Union européenne et des discussions informelles avec Pékin sur l’éventuelle adoption de mesures protectionnistes. Or, pour de nombreux produits, il s’avère que ce seuil est largement dépassé. Rappelons que dans l’accord d’adhésion de la Chine à l’OMC figure une clause de sauvegarde. Cette dernière autorise des mesures de protection sur le textile en cas de hausse soutenue des importations chinoises jusqu’en 2008.
À terme, cette procédure pourrait aboutir à un retour aux quotas, pour sauvegarder l’industrie textile européenne et ses milliers d’emplois. C’est pourtant en totale contradiction avec l’esprit du projet de Traité constitutionnel européen.
On peut relever que les 25 États-membres de l’Union européenne sont loin de partager le point de vue des industriels du textile et de leurs soutiens. Il y a en effet une marge entre des pays producteurs de textile comme le Portugal, la France ou l’Italie et d’autres qui n’en ont pas comme la Suède. Cette dernière redoute l’impact de restrictions aux importations sur les consommateurs.
Également concernés par cette nouvelle donne dans le commerce mondial du textile, les États-Unis ont annoncé lundi une enquête pour déterminer si des quotas devaient être rétablis afin de protéger les producteurs américains. Contrairement à ce que prétendent les idéologues de Washington, on ne peut pas toujours laisser faire “la main invisible” du marché. À travers cette mesure, le gouvernement américain montre une nouvelle fois au monde l’ampleur du fossé qui sépare ses actes de ses intentions affichées.

Quel rôle pour l’OMC ?

Dans ce dossier révélateur des contradictions de l’ultra-libéralisme, la Chine a le soutien de l’organisation humanitaire Oxfam. Cette dernière dénonce les restrictions aux importations. Elle estime que revenir aux quotas, c’est condamner des millions de travailleurs chinois à la pauvreté. Si l’on se fie aux déclarations des dirigeants de l’OMC, du gouvernement américain ou de Bruxelles, diminuer les barrières aux échanges commerciaux, c’est favoriser le développement des peuples. Quand la Chine tire profit de la fin des restrictions au commerce du textile, aussitôt, Union européenne et les États-Unis tentent de relever les barrières.
Cela amène à s’interroger sur le véritable objectif d’organisations telles que l’OMC : contribuer au progrès de l’humanité ou mettre tout en œuvre pour que les inégalités entre riches et pauvres se reproduisent durablement voire s’accroissent, révélant ainsi un visage de l’ultra-libéralisme : le conservatisme.

Manuel Marchal


Pékin "vigoureusement opposé" aux mesures de Bruxelles

Selon “les Échos”, la Chine s’est déclarée hier "vigoureusement opposée" aux mesures annoncées mercredi par la Commission européenne afin de limiter les exportations de textiles chinois.
"Les zones d’alerte fixées contreviennent aux réglementations légales sur l’entrée de la Chine à l’OMC", a déclaré le porte-parole du Ministère chinois du Commerce, Chong Quan, cité par “les Échos”. La décision européenne "aura d’énormes conséquences négatives non seulement sur le commerce bilatéral de produits textiles, mais également sur le commerce mondial de ces produits", selon le texte publié par le Ministère et repris par “les Échos”.


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