46 ans après Saïgon, Washington vaincu par des Talibans et pas par une armée de libération soutenue par un peuple de plusieurs dizaines de millions d’habitants

La débâcle de l’OTAN à Kaboul montre l’ampleur du déclin des États-Unis

17 août 2021, par Manuel Marchal

Le 30 avril 1975, l’entrée de l’armée de la République populaire du Vietnam à Saïgon marquait la fin d’une guerre meurtrière sanctionnant la défaite des États-Unis. Les images d’hélicoptères militaires évacuant en catastrophe des personnes depuis le toit de l’ambassade des États-Unis ont fait le tour du monde. 46 ans plus tard, ce sont les mêmes images, avec le balai des hélicoptères entre le toit de l’ambassade des États-Unis à Kaboul et la base militaire de l’aéroport, dernier réduit contrôlé par l’armée américaine. Les conditions de la débâcle sont pourtant bien différentes et illustrent le déclin considérable des États-Unis : ce sont les pays de l’OTAN et pas seulement les USA qui évacuent le pays en catastrophe au bout d’une guerre de 20 ans perdue contre les Talibans, qui n’étaient soutenus officiellement par aucune grande puissance. Qui peut encore croire aujourd’hui au modèle « America first » ?

Saigon en 1975, Kaboul en 2021 : évacuations par hélicoptère depuis une ambassade des Etats-Unis.

En 1975, les États-Unis étaient face à une armée de libération nationale soutenue par tout un peuple qui expulsa d’abord le colonisateur français en 1954 avant de résister à la puissance de feu des armées US pendant plusieurs années. Le Vietnam était un lieu d’affrontement des deux blocs de la Guerre froide, les Vietnamiens étaient donc soutenus par les communistes dans le monde, ainsi que par des États. Conscient que la guerre était perdue en 1973, Washington s’est retiré et moins de deux ans plus tard, le pouvoir soutenu par les Occidentaux était vaincu par une offensive militaire de l’armée de libération.
En 2021, la situation est toute autre. L’armée américaine n’était pas seule à envahir et occuper l’Afghanistan. Elle a été suivie par les pays de l’OTAN dont la France au motif que les États-Unis, membre de l’OTAN, était agressés. Les attaques du 11 septembre 2001 n’avaient pourtant pas été revendiqués par l’État afghan, mais par une organisation terroriste créée par les États-Unis pour faire la guerre à l’Afghanistan laïc qui promouvait l’enseignement pour les filles et l’autonomie des femmes. Après la destruction de l’État afghan et son remplacement par un émirat dirigé par des Talibans, cette organisation s’était retournée contre son créateur.
Washington a alors de fait déclaré la guerre à l’Afghanistan dirigés par les Talibans, accusés de ne pas livrer les coupables désignés par les USA et donc de soutenir les terroristes. L’OTAN a emboîté le pas, et des dizaines de milliers de ses soldats ont alors occupé l’Afghanistan pendant 20 ans.

Une guerre de 20 ans

Pendant ces 20 années, les armées occidentales n’ont pas réussi à vaincre les Talibans. Pourtant ces derniers ne pouvaient revendiquer un large soutien de la population et de l’opinion internationale, compte tenu des exactions qu’ils avaient commises durant les 5 années où ils avaient dirigé l’Afghanistan, entre 1996 et 2001. Les femmes étaient la principale cible des Talibans. Durant cette période, leurs droits ont considérablement régressé : d’égales des hommes sous le régime laïc, les Afghanes étaient traitées comme le sont les femmes en Arabie Saoudite sous celui des Talibans. Ceci explique pourquoi ces derniers ne bénéficiaient donc pas du soutien d’État bien établis et de conseillers militaires d’armées étrangères.
Pourtant, au cours de ces 20 dernières années, l’objectif d’annihiler les organisations terroristes en Afghanistan n’a pas été rempli par l’OTAN. Hier au Conseil de Sécurité de l’ONU, le représentant de la Chine a justement rappelé qu’au contraire, ces groupes violents y ont prospéré, avec en particulier l’émergence de l’État islamique, Daesh.

Les Talibans humilient l’OTAN

La rapidité avec laquelle les Talibans ont pris le contrôle du pays au fur et à mesure du retrait de l’OTAN a stupéfait l’Occident. L’armée américaine était encore à Kaboul que l’avant-garde des Talibans investissait la ville dimanche. Le gouvernement soutenu par les États-Unis prenait la fuite reconnaissant la victoire des Talibans. Cela signifie que leur puissance de feu était restée intacte au bout de 20 années de guerre contre l’OTAN, et elle s’est même renforcée de tout l’équipement laissé par les armées en retraite.
Cette défaite militaire bien plus grave qu’au Vietnam fait perdre la face à l’Occident, car les États-Unis ont entraîné les pays de l’OTAN dont la France dans cette guerre qui a pour résultat le retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan.
Elle est totale car l’OTAN a décidé d’évacuer l’Afghanistan à commencer par les ambassades de ces États-membre. Reste en suspend le sort de milliers d’Afghan qui furent employés par les armées de l’OTAN durant ces 20 dernières années, ainsi que celui de journalistes et de militants des droits humains qui craignent d’être la cible de représailles de la part des Talibans.

La communauté internationale reste à Kaboul

Ils s’entassent aux grilles de l’aéroport militaire dans la quête d’un vol leur permettant de rejoindre le paradis capitaliste que les dirigeants occidentaux leur ont promis. Le Royaume-Uni a déjà annoncé que tous ne pourront pas prendre l’avion et certains resteront sur le tarmac de l’aéroport.
Fort heureusement, la communauté internationale n’a pas choisi de fuir le pays comme le font Washington et ses alliés. L’ONU restera présente aux côtés du peuple afghan tandis que la Russie et la Chine espèrent que le changement de régime à Kaboul marquera la fin de 40 ans de guerre en Afghanistan. C’est une guerre de 40 ans dont les dirigeants occidentaux portent une lourde responsabilité : d’abord en formant et armant de futurs terroristes pour faire tomber en 1996 l’État de la région qui accordait le plus de droits aux femmes, ensuite en intervenant militairement en Afghanistan pour y placer un pouvoir favorable aux intérêts d’importants groupes capitalistes occidentaux venus faire des profits dans le sillage des armées de l’OTAN. Qui peut encore croire aujourd’hui au modèle « America first » ?

M.M.

A la Une de l’actuAfghanistan

Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?

Messages

  • Si vis Pacem para belum : si tu veux la paix prépare la guerre . Ce retrait généralisé des forces armées occidentales des pays du moyen orient occupés depuis près de 20 ans dans un but officiellement humanitaire ne serait -il pas une manoeuvre stratégique pour permettre une vraie guerre non plus d’occupation humanitaire mais de conquête pour la prise de possession de leurs richesses et notamment de leurs réserves de pétrole et de gaz qui demeureront encore pendant longtemps une source de profits considérables pour l’occident capitaliste , mais aussi par la possession d’un emplacement stratégique pour intervenir un peu plus loin en Chine ou en Russie en cas conflit avec armé avec ces pays .

    Lorsque des pays se font la guerre , la défaite des uns et la victoire des autres passent d’abord par la signature d’un armistice , puis par la signature d’un traité de paix qui impose au perdant un lourd dédommagement au vainqueur . Mais dans ce cas précis de l’Afghanistan , il n’y a rien de tel , mais seulement un retrait des forces d’occupation avec une mise en garde très claire du président américain contre toute agression de ses ressortissants et de ses intérêts sous peine d’une riposte dévastatrice , probablement aussi dévastatrice que celle de Hiroshima et Nagasaki sans pour autant être nucléaire car il y a eu d’énormes progrès . dans la puissance de destruction des armes conventionnelles .

    Les USA sont toujours le pays le plus puissant du monde et ils ont les moyens de détruire totalement leur ennemi s’ils le veulent . Ce serait une erreur de considérer qu’ils sont en train de s’enfuir des pays arabes et qu’ils ne sont en réalité qu’un tigre en papier qui s’en va la queue basse .. S’ils s’en vont maintenant de l’Afghanistan c’est peut être pour se positionner à un meilleur endroit dans le moyen orient( par exemple en Jordanie ) ou peut être pour se donner de meilleures raisons de revenir lorsque le monde entier pourra voir comment les soit disant vainqueurs vont gérer leur pays .

    Le droit international commence à reconnaître un droit d’ingérence dans les affaires des pays ou les droits universels sont bafoués et foulés aux pieds par leur dirigeants . Ce droit pourrait être de nouveau appliqué par ceux qui ont la réputation d’être depuis longtemps les gendarmes du monde .

    Les Américains et leurs alliés se retirent aujourd’hui de l’Afghanistan suivant une décision prise et programmée depuis longtemps et non pas parce qu’ils sont refoulés par les talibans . Ils pourraient revenir si cela est absolument nécessaire . Attention aux conclusions tirées trop hâtivement . Mais on peut être très pessimistes sur le sort qui sera réservés aux afghans par les talibans et il est probable que les USA ou l’ONU reviennent rapidement leur rappeler à l’ordre d’une manière ou d’une autre .


Témoignages - 80e année


+ Lus