La demande de pardon de l’Australie aux Aborigènes

14 février 2008

« Pour la douleur et les souffrances subies par ces générations volées, leurs descendants et leurs familles, nous disons pardon ».

Le discours est historique, mais quelle en sera la portée ? Le Premier ministre Kevin Ruud a présenté mercredi les excuses de l’Australie aux Aborigènes, premiers habitants du pays, pour les injustices qu’ils ont subies pendant 2 siècles. « Nous présentons nos excuses pour les lois et les politiques des Parlements et gouvernements successifs qui ont infligé une peine, une douleur et une perte profondes à nos compatriotes australiens », a-t-il déclaré lors d’un discours devant le Parlement.
Cela fait 10 ans que le gouvernement conservateur de John Howard refuse de présenter des excuses officielles au nom de la nation pour les mauvais traitements infligés aux Aborigènes depuis le début de la colonisation de l’Australie. Notamment, la question des enfants aborigènes, ceux de la "génération volée", qui ont été retirés de force à leurs familles entre 1910 et 1970.
Durant sa campagne électorale, Kevin Rudd avait promis de promouvoir la réconciliation, et de présenter ses excuses aux premiers habitants d’Australie, dans le but de favoriser le processus de guérison et de réconciliation nationale.
« Pour la douleur et les souffrances subies par ces générations volées, leurs descendants et leurs familles, nous disons pardon. Aux mères et pères, aux frères et sœurs, pour avoir séparé des familles et des communautés, nous disons pardon », a-t-il poursuivi avant d’ajouter : « Et pour l’atteinte à la dignité et l’humiliation infligées à un peuple fier de lui-même et de sa culture, nous disons pardon ».
Un mea culpa vécu comme un tournant en Australie où la communauté aborigène compte 455.000 personnes, soit 2% de la population australienne totale. Les grandes chaînes de télévision l’ont transmises en direct, et des foules se sont massées devant les écrans géants qui avaient été installés dans les grandes villes afin de suivre l’événement. Un millier d’Aborigènes venus de toute l’Australie se sont rassemblés près du Parlement pour y assister. Reste à savoir quelle portée aura ce geste de réconciliation : marginalisés et défavorisés, les Aborigènes ont actuellement une espérance de vie inférieure de 17 ans à celle d’un Australien non-aborigène.
Légende 9a
La communauté aborigène compte 455.000 personnes, soit 2% de la population australienne totale.


• Pourquoi l’Australie a demandé pardon aux Aborigènes ?

« Pardon ». Un seul mot prononcé par le Premier ministre Kevin Ruud. Un pardon pour les tentatives d’assimilation, les mises à l’écart, le racisme ordinaire. Pour les représentants des Aborigènes, cet acte est vécu « comme la chute du Mur de Berlin ».

• Qui sont les Aborigènes ?

Les Aborigènes sont les premiers habitants de l’Australie qui s’y seraient installés il y a plus de 40.000 ans. Les colons anglais ne remarquent leur présence que dans les années 1820, près de 40 ans après la découverte de l’île. S’ensuivent de longues décennies de déni de l’existence du peuple aborigène. Avant 1967, ils n’étaient pas reconnus par l’Etat comme citoyens australiens et n’avaient donc aucune existence légale.
Ils forment aujourd’hui la communauté la plus défavorisée d’Australie, qui compte quelque 470.000 individus, soit moins de 2% de la population nationale.
L’espérance de vie des Aborigènes est inférieure de 17 ans à celle de la moyenne des Australiens blancs. Victime d’une forme d’apartheid social, la minorité est confrontée à des taux de chômage, des taux d’alcoolisme, de suicides et de violences bien supérieures à la moyenne nationale.

• Quels sont les mauvais traitements subis par les Aborigènes ?

Un rapport d’enquête révélait en 1997 les mauvais traitements, les sévices et les atteintes physiques subis par les Aborigènes. Il accusait le pouvoir australien d’avoir pratiqué à l’encontre des premiers habitants de l’île une politique de « génocide » et condamnait les tentatives d’assimilation forcée, notamment celles pratiquées sur les « générations volées ».
L’expression désigne plusieurs milliers d’enfants autochtones retirés de force à leurs familles entre les années 1910 et 1970 pour être élevés dans des foyers et institutions à des fins d’assimilation. C’est à ces « générations volées » et à leurs descendants qu’étaient adressées, en premier lieu, les excuses officielles.

• Pourquoi les excuses ont-elles été si tardives ?

Le prédécesseur de Kevin Ruud, le conservateur John Howard, s’était contenté de formuler des excuses à titre personnel. Une manière de contourner la question du dédommagement des victimes et de leurs familles, qui pourrait coûter très cher à l’Etat australien, s’il décidait de s’y soumettre.

• Quelles seront les conséquences politiques de ces excuses ?

Depuis plusieurs années, de nombreuses protestations s’élevaient, non seulement parmi la communauté aborigène mais aussi parmi la population blanche, pour demander une reconnaissance officielle des souffrances subies.
En 2000, lors de l’inauguration des Jeux Olympiques de Sidney, c’est l’athlète aborigène Cathy Freeman qui avait allumé la flamme olympique. Un geste symbolique, qui avait suscité l’émotion et mis sous le feu des projecteurs internationaux la cause aborigène.
Après le pardon, pourrait s’ouvrir une nouvelle ère : celle de la réconciliation de la nation australienne.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus