Pour M. Barroso, président de la Commission européenne

La directive Bolkestein s’appliquera

16 mars 2005

Depuis l’ouverture de la campagne sur le référendum, la directive Bolkestein est au centre des débats. Au nom de la liberté de circulation, elle stipule que la législation applicable dans une entreprise serait celle du pays où le siège social de la société est établi et non celle du pays où le service est rendu. Les partisans du “oui” ont demandé une remise à plat de la directive. Le président de la Commission de Bruxelles vient de rappeler que celle-ci s’appliquera avec quelques modifications.

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La directive sur les services, dite directive Bolkestein du nom de son auteur, est en débat. Destinée à doper le commerce des services dans les pays de l’Union, elle énonce, entre autres, le principe du pays d’origine : la législation applicable dans une entreprise serait celle du pays où le siège social de la société est établi et non celle du pays où le service est rendu. Elle permettrait une officialisation du pavillon de complaisance pour employeurs avides de dumping social.
Il s’agit plus largement d’une remise en cause sans précédent du modèle social européen, qui menace à terme, jusqu’à l’existence même d’un service public. Elle entend éliminer dans l’ensemble de l’Union européenne les "obstacles" à la libre concurrence dans le domaine des services. Elle s’inscrit de manière revendiquée dans la dynamique du programme de Lisbonne qui se fixait notamment pour objectif la réalisation en Europe de "l’économie la plus compétitive du monde".
La nouvelle Commission Barroso a fait de la réalisation de ce programme une mission prioritaire.

Polémique en France

En pleine campagne sur le référendum communautaire, l’existence de cette directive fait désordre. Elle démontre que la construction européenne se fera sur la base d’une casse sociale. Elle a suscité une polémique en France.
Les partisans du “oui” ont tenté de manœuvrer. Jacques Chirac est monté au créneau pour réclamer une "remise à plat" du projet de directive tandis que le PS a déposé mardi une proposition de résolution réclamant son retrait et demandant que la France s’y "oppose fermement".
Le 3 mars dernier, la Commission de Bruxelles donnait l’impression d’être prête à discuter. Son président, Jose-Manuel Barroso, assurait qu’il était prêt à "travailler de manière constructive" avec les États-membres sur la directive services "pour définir la bonne approche". Mais lundi, il a précisé que certains éléments de la "directive Bolkestein" pourraient être revus, mais qu’elle serait bien appliquée, pour augmenter la "compétitivité" de l’Europe.

"Dumping social à domicile"

Le président de la Commission a reproché à ses adversaires de refuser les conséquences de l’élargissement. Cette directive existe "pour protéger l’intérêt général de l’Europe", a-t-il déclaré. "Certaines personnes n’ont pas encore remplacé leur logiciel", a-t-il ajouté. "Ils n’ont pas encore compris que le rôle de la Commission n’était pas de protéger les intérêts des Quinze contre les dix autres nouveaux. Ils ont tort", a-t-il martelé.
M. Barroso a été très clair : "quand je dis que nous sommes prêts à répondre aux véritables préoccupations sur la manière de fonctionner du principe du pays d’origine, cela ne signifie pas que nous allons abandonner ce principe", a-t-il expliqué.
Les opposants à la “directive Bolkestein” ont multiplié, depuis lundi, les protestations. Partisan du “non”, Henri Emmanuelli souligne que "contrairement à ce qu’avait souhaité le président de la République en Conseil des ministres et malgré le fait que le gouvernement français ait demandé une “remise à plat” de la directive Bolkestein, M. Barroso persiste, signe et leur inflige un démenti cinglant". "C’est donc bel et bien le dumping social à domicile que l’on nous prépare pour l’après-29 mai (...) Le seul moyen d’éviter cette politique désastreuse est de voter “non”, pour donner un coup d’arrêt clair à cette politique irresponsable", conclut-il.


Le P.S. en porte-à-faux

Dans la polémique ouverte à propos de la directive Bolkestein, le PS a été parmi ceux qui ont protesté. Comme les syndicats européens, il y voit une porte ouverte pour le "dumping social". "c’est un nivellement par le bas, ce qui est inacceptable", s’est indigné mercredi le chef de file des députés socialistes, Jean-Marc Ayrault. "C’est un casus belli, c’est impossible, c’est insupportable, nous disons “non”", a-t-il ajouté.
Mais la direction du Parti socialiste n’en continue pas moins à appeler à voter “oui” au projet de Traité constitutionnel. Or, celui-ci comporte des articles proposant la libéralisation des services :

- l’article 4 : "Libertés fondamentales et non-discrimination. La libre circulation des personnes, des services, des marchandises et des capitaux, ainsi que la liberté d’établissement, sont garanties par l’Union...".

- Sous section 3, Liberté de prestation des services, article 144 : "Dans le cadre de la présente sous-section, les restrictions à la libre prestation des services sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation".

- article 147 : "La loi-cadre européenne établit les mesures pour réaliser la libéralisation d’un service déterminé".

- article 148 : "Les États membres s’efforcent de procéder à la libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire en vertu de la loi-cadre européenne...".

Privatiser les services partout dans le monde

La libéralisation des services, c’est-à-dire l’obligation de les soumettre aux lois de la concurrence, déjà imposée par l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), figure, sans contestation possible, au programme du Traité constitutionnel. La proposition Bolkestein est une mise en œuvre aggravée de l’AGCS et une anticipation de ce que va favoriser le Traité constitutionnel européen.
Or, l’Union européenne tente d’imposer la privatisation des services partout dans le monde. On sait les positions que le socialiste Pascal Lamy a défendues dans ce sens à l’Organisation mondiale du commerce, proposant à la table des négociations de l’OMC un texte qui annonce que la mise en œuvre de l’AGCS doit se faire, "aucun secteur de service n’étant exclu a priori".

Quelques rappels

Rappelons que le chef de file des députés européens socialistes français, M. Bernard Poignant, est un grand défenseur de l’AGCS (il a même publié une brochure à ce propos) et du Traité constitutionnel.
Rappelons aussi que plusieurs députés européens, membres du PS et partisans de la Constitution européenne, ont émis un vote favorable à une résolution du Parlement européen, demandant à la Commission de présenter une proposition de directive libéralisant les services et considérant le principe du pays d’origine comme "essentiel à l’achèvement du marché intérieur, des biens et des services".
Cette résolution du Parlement est d’ailleurs explicitement citée dans l’exposé des motifs de la proposition de directive.
Rappelons aussi que la direction du PS, qui justifie son soutien à la Constitution européenne notamment par l’appui de tous les autres partis socialistes et par la nécessité de "ne pas être socialiste tout seul", passe sous silence l’appui, beaucoup plus cohérent, des amis "socialistes" allemands et des amis "socialistes" britanniques à la fois à la Constitution et à la proposition Bolkestein.


Des conséquences pour La Réunion

Dernièrement, deux importants marchés ont été annulés à La Réunion. Celui de la construction d’un viaduc de la route des Tamarins et celui concernant l’extension du port-Est. Dans les deux cas, c’est le non-respect d’une réglementation émanant de Bruxelles et imposant l’ouverture de ces marchés à la concurrence non-seulement européenne, mais internationale qui a été à l’origine des annulations.
De plus en plus donc, les appels d’offres réunionnais devront être ouverts aux entreprises internationales. Ces dernières pourront obtenir les marchés en question. Elles pourront les réaliser en emmenant avec elles à La Réunion leurs travailleurs et, au nom de la directive Bolkestein, elles pourront appliquer à leurs travailleurs les normes de travail qui sont celles de leur pays d’origine.


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