William Spinel

La France a non seulement le droit mais le devoir de refuser l’actuel projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe

25 mai 2005

(pages 4 & 5)

Il convient simplement de s’interroger pour savoir si l’actuel projet de Constitution s’inscrit dans la ligne des grands principes qui prévalaient lors de la signature du Traité de Rome ?
La réponse est en réalité double : oui et non.
Oui, car il s’agit à l’évidence d’un pas supplémentaire vers la grande Europe économique dans la droite ligne du Marché commun, de l’Union Douanière, de l’Acte unique... C’est pourquoi les pays qui refusent toute supranationalité politique, comme la Suède par exemple (et qui, d’ailleurs, comme elle, ont logiquement refusé la monnaie unique), et pour qui l’Europe n’est finalement qu’un grand marché commercial, ne comprennent pas l’émoi que soulève dans notre pays le projet de traité soumis à référendum.
En clair, pour ces pays, il s’agit d’un Traité économique complétant le dispositif lancé en 1957 et rien d’autre.
En tout cas, malgré son intitulé, pour ces pays, ce n’est pas une Constitution au sens habituel, acte fondateur d’un État ou d’un régime, instituant des normes supérieures que doivent respecter les actes législatifs et réglementaires.
Cette analyse est malheureusement exacte.
Non, si l’on considère que l’objectif initial des Pères de l’Europe était, après avoir créé dans un premier temps une Europe économique (puisque apparemment, il est plus facile de s’entendre entre États sur le plan commercial, les intérêts réciproques finissant par devenir des intérêts communs), de passer à la création d’une Europe politique.
Or, le texte proposé est-il, au moins sur le plan formel, une Constitution ?
Non, au moins pour une raison juridique évidente.
Pour ceux qui n’ont pas encore lu le texte sur lequel ils sont amenés à se prononcer le 29 mai prochain, il convient de préciser que celui-ci comprend quatre parties : la partie I (60 articles) définit l’Union européenne et ses objectifs, les institutions et organes de l’Union, les compétences de l’Union et leur exercice, etc., la partie II (54 articles) reproduit la Charte des Droits fondamentaux de l’Union et la partie IV (11 articles) expose les dispositions générales et finales.
Tel quel, ce texte eut pu passer pour une Constitution acceptable ; une Constitution certes pas d’un haut niveau littéraire, manquant de lyrisme, déjà impossible à apprendre par les écoliers... mais enfin, acceptable.
Le malheur vient de l’initiative des gouvernements des États de l’Union qui ont voulu que toutes les règles adoptées par la construction européenne depuis 1957 (en particuliers tous les traités économiques et commerciaux) aient la même valeur constitutionnelle.
D’une part, cela a abouti à insérer dans le texte du projet de Constitution la partie III de 323 articles, ce qui transforme celle-ci en une monstruosité juridique illisible. Ce n’est plus une Constitution mais le Code de commerce européen.
D’autre part, en procédant ainsi, disparaît la hiérarchie des normes entre les principes vraiment constitutionnels et les autres : les gouvernements des États de l’Union auraient voulu plomber la future Constitution européenne qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement.
Peut-on, en effet, parler encore de Constitution si tous les actes juridiques d’un État ont la même valeur ?
Ainsi, un principe proclamé dans la partie I peut se retrouver complètement vidé de sa substance par différents articles éparpillés dans la partie III.
Non seulement aucun recours juridique ne sera possible (à un principe généreux il sera toujours possible d’opposer un principe économique de même valeur) mais cette manière de procéder relève d’une escroquerie caractérisée rappelant certains contrats dans lesquels ce qui est énoncé en gros dans le corps du texte, se retrouve annulé par des dispositions de bas de page inscrites en tout petits caractères.
Au total, il y a de l’abus de confiance dans l’air.
Miraculeusement, il a été demandé aux Français de se prononcer par voie référendaire. Il s’agit d’un privilège assez rare car offert à 9 seulement des 25 États de l’Union européenne.
Le peuple de France a donc une responsabilité écrasante.
Or, la France a été un des États fondateurs de ce qui est devenu l’Union européenne : signataire du Traité de Rome le 25 mars 1957, instituant la Communauté économique européenne, elle avait auparavant participé à la création du CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier) et de l’Euratom.
Cela ne lui donne bien-sûr aucun pouvoir particulier mais certainement une responsabilité plus grande dans le suivi de la grande aventure européenne.
D’ailleurs, personne n’est dupe : un refus par la France de l’actuel projet de Constitution serait d’un tout autre poids qu’un refus de Malte ou de Chypre.
o Parce que la France veut et a toujours voulu l’Europe (et pas seulement un vaste espace économique de libre-échange),
o Parce qu’après avoir réalisé pratiquement l’Europe économique, il est temps de commencer à réaliser l’Europe politique,
Elle doit voter massivement pour une Constitution européenne, mais une vraie Constitution, pas seulement un Code du commerce.
Elle ne peut donc que voter “non” au référendum du 29 mai 2005.

William Spinel,
signataire de l’Appel des 200 à La Réunion


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