Des incidents du golfe du Tonkin en 1964 à ceux du golfe d’Ormuz de 2008...

La même stratégie du mensonge et du défi guerrier ?

10 janvier 2008, par Alain Dreneau

Depuis le week-end dernier et à la veille de la tournée de Bush au Proche-Orient, les porte-parole du Pentagone sont entrés en action. Les dépêches d’agence et les articles pleuvent, faisant état de « graves incidents dans les eaux du golfe d’Ormuz ». Les titres ne font pas dans la nuance : « Tension guerrière entre les Etats-Unis et l’Iran », « L’Iran défie la marine américaine »...
Qu’on lise par exemple ce que rapporte le journal “Libération” du 8 janvier dernier : « Le Pentagone a révélé que cinq navires iraniens, qui appartiendraient aux Gardiens de la révolution, avaient « provoqué » trois bâtiments de la marine américaine dimanche dans le détroit d’Ormuz. La Maison-Blanche, qui prend l’incident très au sérieux, a mis en garde Téhéran hier contre toute nouvelle opération de ce genre. “Nous invitons les Iraniens à s’abstenir de tels actes provocateurs, susceptibles de dégénérer en un incident dangereux à l’avenir”. Parlant d’actes “irréfléchis, téméraires et potentiellement hostiles”, un porte-parole du Pentagone a affirmé que cinq vedettes iraniennes ont “tourné autour” des vaisseaux américains, dans les eaux internationales, et que les Iraniens ont menacé de faire sauter l’un des navires américains ».

Mensonges et falsifications

Ces « incidents » entre Iraniens et Américains font irrésistiblement penser à d’autres incidents, et pas n’importe lesquels. Ceux que l’histoire a retenus comme « les incidents du golfe du Tonkin ». En août 1964, ils ont fourni aux Etats-Unis le motif - basé sur une pure affabulation - pour se lancer en grand dans la guerre du Vietnam. Voici le récit qu’en a fait Ignacio Ramonet, l’éditorialiste du “Monde Diplomatique”, en juillet 2003 : « En 1964, deux destroyers déclarent avoir été attaqués dans le golfe du Tonkin par des torpilles nord-vietnamiennes. Aussitôt, la télévision, la presse américaine en font une affaire nationale. Crient à l’humiliation. Réclament des représailles. Le président Lyndon B. Johnson prend prétexte de ces attaques pour lancer des bombardements de représailles contre le Nord-Vietnam. Il réclame du Congrès une résolution qui va lui permettre, dans les faits, d’engager l’armée américaine. La guerre du Vietnam commençait ainsi, qui ne devait s’achever - par une défaite - qu’en 1975. On apprendra plus tard, de la bouche même des équipages des deux destroyers, que l’attaque dans le golfe du Tonkin était une pure invention ».

De son côté, le grand scientifique Noam Chomsky, père de la pensée contestatrice américaine sur une durée de plus d’un demi-siècle, revient sur cette gigantesque manipulation de l’opinion dans l’ouvrage “La fabrique de l’opinion publique” (1) : « Les 30 et 31 juillet, la marine de Saigon (2) attaque des îles côtières, provoquant aussitôt une protestation officielle de la RDV (3) auprès de la Commission internationale de Contrôle. Lors d’une mission d’espionnage électronique, le destroyer américain Maddox pénètre le 2 août dans la zone des douze milles que le Viêt-nam du Nord considère comme ses eaux territoriales. Immédiatement contré par des patrouilleurs, il tire des “coups de semonce”. Dans la bataille qui s’ensuit, le Maddox reçoit une seule balle et les patrouilleurs nord-vietnamiens sont endommagés ou détruits par l’aviation » (...)
(...) « Le 5 août, le président Johnson dénonce publiquement cette “agression ouverte en haute mer contre les États-Unis d’Amérique” alors que la RDV et la Chine affirment que le “soi-disant incident du Golfe du Tonkin n’a jamais eu lieu”. Le 5 août, des avions américains bombardent des installations nord-vietnamiennes et détruisent des patrouilleurs. À la suite du témoignage de Robert McNamara, ministre de la Défense, qui déclare que “le Maddox effectuait une patrouille de routine dans les eaux internationales comme nous en faisons constamment en tous points du globe”, le Congrès de Washington vote, le 7 août, une résolution autorisant le président à “prendre toutes les mesures nécessaires pour repousser toute attaque contre les forces américaines et mettre fin à toute autre agression”. La résolution est adoptée par 416 voix contre 0 à la Chambre des représentants, et à la majorité absolue moins deux voix au Sénat (...) C’est ce texte qui a servi de base pour l’escalade américaine contre le Vietnam ».

Garder la mémoire

(...) « L’incident du Golfe du Tonkin représente un exemple classique de management de l’information pendant la Guerre froide... En gros ou en détail, tous les reportages de l’incident ont été trompeurs ou falsifiés ».
Et Noam Chomsky conclut : « Voilà comment les États-Unis ont entamé une longue et terrible guerre pour atteindre leurs objectifs en détruisant une grande partie de l’Indochine et en laissant un héritage qui ne sera peut-être jamais effacé ». Un héritage fait de mort, de mutilations et d’empoisonnement de la nature, dû à « la plus grande guerre écologique de l’histoire de l’humanité » (4).
Alors, il faut garder en mémoire les actes de guerre inscrits au sinistre “palmarès” de l’impérialisme U.S., quand on relit ces lignes lourdes de menaces : « La Maison Blanche a haussé le ton lundi en mettant fermement en garde l‘Iran contre tout “agissement provocateur qui pourrait conduire à un incident dangereux à l’avenir” ».
Jusqu’à quelle nouvelle agression tragique Bush et les Docteur Folamour de son entourage vont-ils entraîner le monde ?
L’opinion progressiste mondiale a un rôle à jouer.

Alain Dreneau

(1) Editions “le Serpent à Plumes”, 2003 (avec Edward S. Herman)
(2) Régime fantoche mis en place par les Etats-Unis au Sud du 17ème parallèle.
(3) République démocratique du Vietnam, avec à sa tête Ho Chi Minh.
(4) Shofield Corryel in “Le Monde Diplomatique” de mars 2002.


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus