Monde : manifestations en Turquie

La police reprend la place Taksim

12 juin 2013, par Céline Tabou

Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a envoyé les forces de l’ordre contre les manifestants, réunit sur la place Taksim d’Istanbul. Depuis douze jours, les manifestants demandent sa démission, en raison de l’islamisation de la société turque.

Pour Recep Tayyip Erdogan, son gouvernement ne montrera « plus aucune tolérance » envers les protestataires. En effet, le Premier ministre a annoncé le décès d’une quatrième personne depuis le début de la crise. Un manifestant blessé à Ankara, après avoir reçu plusieurs coups de feu tirés par un policier, a indiqué l’Agence France Presse.

Intervention musclée de la police

La police est intervenu dans sur la place Taksim, centre de la fronde, afin de repousser les centaines de protestataires avec des grenades lacrymogènes ou des billes de plastique et en utilisant des canons à eau. Les protestataires ont répliqué par des jets de pierre et des cocktails Molotov. «  Nous allons nous battre, nous voulons la liberté. Nous sommes des combattants de la liberté  », a déclaré un jeune homme à l’AFP. Les forces de l’ordre sont parvenues à éloigner, lundi 10 juin, les contestataires du centre de la place, dont la plupart détenaient des drapeaux et des banderoles qui ont été rapidement enlevées et des pelleteuses ont démantelé les barricades mises en place dans les rues avoisinantes à la place.

De son côté, le gouverneur d’Istanbul, Hüseyin Avni Mutlu, a affirmé que l’évacuation de Taksim est dû à l’image ternie « du pays aux yeux du monde ».

«  Nous n’abandonnerons pas »

L’attaque des forces de l’ordre a surpris les manifestants, qui ont indiqué : « Est-ce que vous pouvez croire ça ? Ils attaquent Taksim et nous gazent ce matin alors qu’ils ont proposé hier soir de discuter avec nous ? », a expliqué Yulmiz, un manifestant de 23 ans à l’AFP. Ce dernier a ajouté «  Nous n’abandonnerons pas le parc. Ils peuvent envoyer des milliers de policiers s’ils veulent  ». Une rencontre est prévue mercredi 12 juin, entre Recep Erdogan et des représentants de la contestation. « Notre Premier ministre a donné rendez-vous à certains des groupes qui organisent ces manifestations", a déclaré lundi soir le vice-Premier ministre Bülent Arinç à l’issue du conseil des ministres, « notre Premier ministre écoutera ce qu’ils ont à dire ». Bien que ce dernier a qualifié de « pillard » et d’« extrémistes » les manifestants.

Céline Tabou

Un article du CNRS

Le rôle traditionnel de l’armée en Turquie

En Turquie, l’armée s’est donnée comme mission d’être un rempart de la laïcité. C’est ce qu’explique le CNRS dans cet article ci-après. Or depuis le début des affrontements entre manifestants et policiers, l’armée ne s’est pas manifestée. Conséquence de son affaiblissement face au gouvernement ?

« À partir de 1924, Mustafa Kemal a fait de la laïcité le principe fondateur de la nouvelle Turquie républicaine née sur les ruines de l’Empire ottoman. Cet événement a-t-il mis ce pays sur la voie d’un rapprochement inéluctable avec une Europe de plus en plus sécularisée ? Ou bien, au contraire, la Turquie n’a-t-elle pas manifesté, depuis, une configuration qui la rattache bien davantage aux autres pays musulmans, où les élites laïques ou laïcisantes, qu’elles soient confessionnelles et/ou militaires, ont toujours été autoritaires ? Les exemples de la Tunisie de Bourguiba, du Baas en Irak et en Syrie, ou de l’Iran du chah l’illustrent bien.

Avant Mustafa Kemal, la laïcité était venue aux Jeunes-Turcs au début du XXe siècle par le canal des francs-maçons du Grand-Orient de France. Mais, en s’acclimatant à des contextes radicalement différents, les idées sont souvent modifiées en profondeur. Pour Mustafa Kemal, il s’agissait de faire que la Turquie échappe au sort réservé à l’ensemble d’un monde musulman alors colonisé par les puissances européennes : en adoptant les valeurs des vainqueurs, il sauva son pays de la domination européenne et s’imposa comme interlocuteur incontournable. Si le traumatisme des réformes laïques d’Atatürk fut malgré tout accepté par la population, c’est aussi parce qu’une nouvelle identité ethnique, turque, était promue, en remplacement de l’ancienne, musulmane.

Cependant, la laïcité turque n’est pas une laïcité de séparation : l’État garde un contrôle tatillon sur l’islam officiel et il a intégré l’essentiel du corpus de l’islam réformiste, né en réaction à la domination européenne et devenu l’idéologie dominante dans le monde musulman. La société civile a éclaté en sphères contrastées : des élites et des classes moyennes citadines de culture laïque de plus en plus européanisées d’un côté, et la masse de la population rurale ou d’origine rurale, attachée à un islam populaire et/ou réformiste de l’autre. De nouvelles élites musulmanes, intellectuelles et économiques, sont apparues.

La Turquie semble juxtaposer des dynamiques contradictoires, sans qu’il soit possible d’affirmer laquelle l’emportera sur l’autre. L’armée turque se considère le garant du dogme kémaliste laïc et c’est à ce titre qu’elle est directement intervenue pour empêcher des partis religieux, puis ouvertement islamistes, de gagner les élections. En renvoyant l’armée turque dans ses casernes, l’intégration dans l’Europe pourrait bien avoir l’effet paradoxal de mettre en danger une laïcité qui a peu de rapport avec celle que nous connaissons en France. Finalement parvenus au pouvoir, les islamistes de l’AKP jouent aujourd’hui à fond la carte européenne, quelles que soient leurs arrière-pensées. »

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