Le monde a commémoré le 80e anniversaire de la victoire contre l’extrême droite européenne

La Réunion ne doit pas regarder passer le train d’un monde en mutation qui renoue avec le développement après 500 ans d’hégémonie occidentale

10 mai, par Manuel Marchal

Ce 9 mai, Moscou a accueilli les commémorations du 80ᵉ anniversaire de la victoire sur l’extrême droite en Europe, en l’absence des dirigeants occidentaux. Un symbole fort pour un événement rappelant le rôle central de l’URSS, qui libéra la moitié du continent et prit Berlin en 1945. En France, l’armée de la Libération, majoritairement composée de soldats africains, mit fin au régime de Vichy dirigé par l’extrême droite. Pourtant, aujourd’hui, l’extrême droite resurgit en Europe, ciblant les populations qui contribuèrent à sa défaite en France. La victoire de 1945 permit aussi l’émergence d’un modèle social très avancé (Sécurité sociale, nationalisations, statut de la fonction publique), étendu à La Réunion après l’abolition de son statut colonial en 1946. Alors que Moscou rassemblait les leaders des nouvelles puissances mondiales, l’Occident, en crise et miné par la montée de l’extrême droite favorisé par la complaisance envers les racistes, semble isolé. Pour La Réunion, ce rendez-vous historique souligne l’urgence de se tourner vers un Sud global en plein essor, sous peine de rester engluée dans le sous-développement.

La cérémonie du 9 mai à Moscou, marquant les 80 ans de la capitulation nazie, a pris des allures de manifeste anti-hégémonique. En l’absence des dirigeants occidentaux, les représentants de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de l’Afrique du Sud et de plusieurs États arabes et africains ont illustré un monde en mutation.

Pour le monde en développement, cet événement a servi à rappeler que la victoire de 1945 fut avant tout soviétique : l’URSS paya le prix le plus lourd (27 millions de morts) et libéra treize pays européens, de la Pologne à la Bulgarie. « Sans Stalingrad, il n’y aurait eu ni Paris libéré, ni procès de Nuremberg », a insisté Vladimir Poutine, saluant aussi « les combattants venus d’Afrique, d’Asie et des Antilles, oubliés par l’histoire officielle ».

La France libérée de l’extrême droite par une armée africaine

Un rappel qui résonne en France, où l’on célèbre chaque année le rôle de la Résistance intérieure et des anglo-américains… en minorant celui des tirailleurs sénégalais, algériens, malgaches, ou marocains. Pourtant, en 1944, deux tiers des soldats de la France libre étaient issus des colonies. Ces hommes, souvent enrôlés de force, ont joué un rôle clé dans la Libération, notamment lors du débarquement de Provence. « Une amnésie qui prend un relief particulier à l’heure où l’extrême droite française, en tête des sondages, fustige les immigrés africains ».

1945-1946 : la naissance d’une République sociale en France et à La Réunion

La victoire contre le racisme permit aussi des avancées sociales majeures. Porté par un Parti communiste au plus haut, le Conseil national de la Résistance instaura la Sécurité sociale, le statut de la fonction publique et les nationalisations (énergie, transports). « Ces mesures visaient à tourner la page du capitalisme sauvage qui avait nourri la crise des années 1930 », explique l’économiste Thomas Piketty. À La Réunion, l’abolition du statut colonial (19 mars 1946) permit d’étendre ces droits. Un progrès rendu possible par le CRADS (Comité réunionnais d’action démocratique et sociale), front réunionnais de libération.

L’Occident absent : un symbole lourd de sens

L’absence des dirigeants occidentaux à Moscou n’est pas anodine. Elle acte la fracture entre un « vieux monde » en crise et un Sud global dynamique. Les États-Unis et l’UE, englués dans des difficultés économiques et des tensions sociales, voient l’extrême droite progresser : au pouvoir en Italie et en Hongrie, favorite en France, influente en Allemagne. Aux États-Unis, le parti républicain, sous l’influence de Donald Trump, prône un racisme au service des ultra-riches.

La Réunion à la croisée des chemins

Dans ce contexte, La Réunion, département français de l’océan Indien, fait face à un dilemme stratégique. Son isolement géographique et sa dépendance à l’égard de l’ancienne métropole (80% des importations viennent d’Europe) freinent son développement. Pourtant, ses voisins – Madagascar, Maurice, les Comores – multiplient les partenariats avec la Chine, les Émirats ou la Russie. « La France utilise l’île comme une base militaire, mais investit peu dans les infrastructures ou l’éducation ». Résultat : un chômage de masse ( et des inégalités criantes.

Le Sud global, horizon incontournable

Les commémorations de Moscou ont mis en lumière l’émergence d’un monde multipolaire. La Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique, investit massivement dans les énergies renouvelables les nouvelles mobilités (train et véhicules électriques. L’Inde et le Brésil défendent un modèle de développement moins prédateur. Pour La Réunion, s’ouvrir à ces acteurs serait vital. Une nécessité, car l’UE, confrontée au vieillissement et à la stagnation, ne peut plus être un relais de croissance.

1945-2025, même combat ?

Huit décennies après la chute du IIIᵉ Reich, le monde est à nouveau confronté à la montée des racistes. Mais si, en 1945, l’ennemi était clairement identifié, aujourd’hui, il se dissimule sous les discours sécuritaires et les promesses de « grandeur retrouvée ». La commémoration de Moscou, bien au-delà de l’hommage aux vétérans, aura eu le mérite de poser une question cruciale : dans cette nouvelle lutte contre l’extrême droite, qui seront les alliés ? Pour La Réunion, comme pour bien des territoires postcoloniaux, la réponse passera par une décolonisation économique et culturelle. À défaut, le risque est de voir se perpétuer un sous-développement dont profite surtout l’oligarchie occidentale.

M.M.


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Témoignages - 80e année


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