Le gouvernement veut avancer la date du référendum

La tentation du déni démocratique

18 février 2005

Pour réduire les possibilités d’expression du “non” antilibéral qui prend de l’ampleur, Jean-Pierre Raffarin veut gagner 2 ou 3 semaines sur la date du scrutin.

(Pages 3 et 5)

Un spectre hante les promoteurs, de tous bords, du projet Giscard. Ce spectre est celui d’un “non” antilibéral qui monte au fil des semaines. Les yeux rivés sur les sondages, les spécialistes des études de l’opinion publique partagent la même inquiétude à l’Élysée, à Matignon et rue de Solferino. Encore très largement en tête en novembre dernier avec plus que 65%, les intentions de vote positif n’ont cessé de baisser au fur et à mesure que se réduisait le nombre de personnes ne manifestant encore aucune opinion. Le dernier sondage en date, celui de l’IFOP, dimanche dernier, donnait le “oui” à 58%, alors que les “sans opinion” se situaient à 35%, taux toujours élevé. Si la courbe continue son ascension au rythme actuel, les résultats du référendum sur le Traité constitutionnel peuvent très bien ne pas se révéler conformes aux vœux des propagandistes du “oui”.
D’où la tentation d’accélérer le processus référendaire. Jean-Pierre Raffarin l’a répété à plusieurs reprises mardi soir au Sénat, à l’ouverture du débat sur la révision constitutionnelle : il faut aller vite... Sous-entendu : avant que le débat sur le texte lui-même, mené sur le terrain exclusivement par les partisans du “non” de gauche, n’ait eu le temps d’éclairer un nombre suffisant d’électeurs pour constituer une majorité. Au lieu d’impulser le débat, de garantir une campagne pluraliste, la droite cherche à engager une course de vitesse contre le “non”. Initialement envisagé pour le milieu ou la fin du mois de juin, le référendum sera-t-il avancé ?
Dans son édition de mercredi, “Libération” évoquait, sur la base d’informations en sa possession, les dates des 15, 22 ou 29 mai. Deux ou trois semaines gagnées sur la campagne, telles seraient les hypothèses sur lesquelles travaillerait le Ministère de l’Intérieur. Mais pour tenir le calendrier, il serait nécessaire de presser le pas de la révision constitutionnelle ouvrant la voix au référendum. Les deux Chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat, doivent avoir voté dans les mêmes termes les articles modificateurs, avant que le Congrès, qui réunit tous les parlementaires, ne les adopte in fine, peut-être le 7 mars. Les débats au sein de la Haute assemblée semblent indiquer que l’on s’achemine vers un vote express et sans encombre. Les sénateurs socialistes favorables au projet Giscard, tout comme les élus de l’UDF, ont préféré renoncer à afficher des différences avec leurs collègues de l’UMP, plutôt que de prendre le risque d’allonger la discussion parlementaire en provoquant une “navette”, un retour à l’Assemblée nationale. C’est le choix de la “sprint attitude” contre le débat démocratique.
Dans ce climat de mobilisation générale, la droite ne s’embarrasse pas de scrupules. Quitte à employer des méthodes cousues de fil blanc.

Manœuvre grossière

Ainsi en est-il de l’invitation faite au chef du gouvernement espagnol, le socialiste José-Luis Zapatero, à venir faire un discours devant l’Assemblée nationale le 1er mars, soit dix jours après le référendum en Espagne, où le “oui” est assuré de l’emporter.... Une manœuvre grossière que n’a pas manqué de dénoncer Marie-George Buffet, ironisant, "va-t-on inscrire l’obligation de voter “oui” sur le fronton de l’Assemblée nationale ?"
Par ailleurs, un journal d’outre-Rhin croit savoir que les autorités allemandes ont prévu de faire adopter la Constitution par les députés (il n’y aura pas de référendum en Allemagne) en juin, avant la consultation populaire française afin d’apporter une aide “psychologique” aux partisans du “oui”. On ignore si un éventuel avancement des échéances en France bousculerait le calendrier du Bundestag.
Réduire au minimum la campagne serait à coup sûr "un déni de démocratie", a souligné le député communiste Jacques Bruhnes, dénonçant au passage "la discrimination inacceptable" qui frappe dans les médias "les partisans du “non” progressiste et populaire". Lui répondant, Michel Barnier s’est voulu rassurant en invoquant "l’impartialité de l’État", mais en ne pipant mot des dix millions d’euros que son Ministère a prévus, rien que pour les clips télévisés. La campagne militante du “non” de gauche et le mécontentement social vis-à-vis des politiques libérales de Bruxelles et de Paris ont-t-ils déjà semé la frayeur chez les défenseurs du projet Giscard, au point que ceux-ci veuillent tenter de passer en force ? Ce serait grave, et risqué.


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