Mobilisation pour la défense de la laïcité

La Turquie démocratique remise en question

4 juin 2013, par Céline Tabou

Principal pays laïc du Proche et Moyen-Orient, la Turquie est aujourd’hui en proie à des mouvements de contestations contre le Premier ministre, Recip Tayyep Erdogan. Depuis six jours, la mobilisation ne faiblit ps pour la défense du modèle démocratique turc.

Depuis plusieurs jours, des milliers de Turcs sont rassemblés dans les principales places du pays, notamment à Ankara, Izmir et Istanbul, afin de dénoncer les dérives autoritaires et la volonté du Premier ministre de vouloir « islamiser » la Turquie laïque.

État de la situation

En réponse à la contestation et aux violences policières, le gouvernement a tenté d’apaiser la situation en présentant des « excuses » et en appelant les manifestants, soutenus dorénavant par des syndicats, à rentrer chez eux.

Le vice-Premier ministre, Bülent Arinç, a reconnu les « légitimes » revendications des écologistes à l’origine de la mobilisation.

« Je demande à tous les syndicats, à tous les partis politiques et à tous ceux qui aiment et pensent à la Turquie de le faire aujourd’hui », a indiqué de son côté le porte-parole du gouvernement.

Des actes qui n’ont pas convaincu les manifestants. « Cette excuse, c’est pour limiter la casse et parce qu’ils sont coincés » , a indiqué le porte-parole de la Confédération des syndicats du secteur public (KESK), Baki Cinar. Ce dernier a pointé du doigt la persistance du gouvernement à mener le projet de construction d’une mosquée sur un parc à Istanbul. Projet qui a déclenché le mouvement et la démission des responsables de la police.

Mobilisés, les Turcs dénoncent l’emprise du gouvernement islamo-conservateur de Recip Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2003. Depuis 2008-2009, la dérive autoritaire est devenue claire, avec un culte de la personnalité autour de Recip Tayyep Erdogan, qui provoquait les manifestants en annonçant lundi que la situation était « en train de revenir au calme » . Ou encore, « à mon retour de cette visite (au Maghreb, jeudi 6 juin - NDLR), les problèmes seront réglés ».

La démocratie turque

Modèle de développement économique et de démocratie pour le Proche et le Moyen-Orient, la Turquie est depuis 1923 une République. À cette époque, Mustafa Kemal devient le premier président de la République et met en place une Constitution en 1924. Deux ans plus tard, des Codes civil et pénal sont adoptés, la polygamie est interdite, le mariage civil est instauré. Signe de changement dans le pays, en 1928, l’alphabet latin est adopté au détriment de la calligraphie arabe. Et fait marquant de cette nouvelle République, la référence à l’Islam comme religion officielle dans la Constitution est supprimée.

Cette politique met ainsi en avant un nouveau modèle de développement économique, social et culturel pour le pays et surtout la séparation de la religion et de l’État, un fait que l’actuel Premier ministre souhaite rompre avec entre autres la construction d’une mosquée sur le parc Gezi et la place Taksim, symbole de la contestation turque.

Cette place est le « haut lieu de la République kémaliste et de la gauche à Istanbul », a indiqué le quotidien “Le Monde” qui cite les propos de Hamit Bozarslan, historien à l’EHESS. Ce dernier a d’ailleurs expliqué que les projets d’aménagement du parti islamiste au pouvoir sont considérés comme des moyens pour le Parti pour la justice et le développement (AKP) de Recip Tayyep Erdogan.

Plusieurs décisions ont soulevé le mécontentement, le projet islamiste de construction d’une grande mosquée, le baptême sunnite du troisième pont sur le Bosphore du nom de Selim Ier, la reproduction d’une caserne ottomane ou encore la construction d’un centre commercial, qualifié de « néo-libérale ». Tant de projets que la gauche dénonce. « Les manifestants pensent que si le pouvoir contrôle cette place, il aura bientôt le contrôle de “la zone libérée”, le quartier attenant de Beyoglu où se promènent encore librement les couples homosexuels, les femmes en minijupe et où l’alcool coule à flots », a expliqué Hamit Bozarslan au “Monde”.

Cependant, si le pouvoir en place parvient à mener à bout ses projets, le pays devrait être dirigé à l’instar de la Tunisie et de l’Égypte, gouvernés par les Frères Musulmans. Une islamisation de la Turquie remettrait en question l’histoire même du pays, mais aussi sa particularité dans la région, alors que l’État était pressenti pour entrer dans l’Union européenne. Aujourd’hui, des milliers de Turcs tentent de freiner le pouvoir en place, ce qui pourrait se traduire dans les urnes en 2014, date de l’élection présidentielle, convoitée par Recip Tayyep Erdogan.

Céline Tabou


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