Le docteur Jean-François Reverzy

Le crépuscule des dieux (européens)

26 mai 2005

Le débat en cours aura traversé la société française autour de ses enjeux. Loin d’être insignifiant, il a suscité et suscitera même après le 29 juin, des affrontements passionnés dépassant les bipolarités coutumières. J’ai assisté autour de moi, à des brouilles, des pugilats chez des électeurs bcbg, style rive gauche ou rive droite bien pensante...

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"La France schizophrène ?", énonçait un éditorialiste du “New York Times” après le discours de début d’année de Chirac : schizo, soit coupée en deux en sa volonté paradoxale, son double discours ou sa duplicité : affirmation à la fois d’innovation et de libéralisme (aux yeux de cet auteur) et attachement aux formes du fonctionnariat bureaucratique et des pseudos solidarités (SS/ARTT et le reste). Serait-ce le même débat que suscite le référendum sur la Constitution européenne ? Entre les tenants d’une Europe marchande et libérale supposée porter tous les péchés du monde et les fidèles des valeurs républicaines et sociales et leurs acquis tricolores. J’en doute pour ma part, estimant qu’il ne s’agit là que d’une rhétorique politique traduisant par contre l’étrange vieillissement et le manque de créativité qui traverse - de la gauche extrême à la droite ultra - la classe politique française. On peut être libéral et communautariste, communiste et ultra capitaliste... On en a vu des vertes et des pas mûres ces derniers temps en Chine et ailleurs.

Un texte incompréhensible pour la majorité des électeurs

J’ai lu avec attention la Constitution européenne et les analyses qui en ont été faites. Pour ma part, au niveau où est posé le débat, je ne trouve globalement rien à redire à ce texte : des juristes et des technocrates, dans le style de Giscard d’Estaing, ont pondu une copie conforme à leurs idéaux face aux objectifs de l’Union européenne dans sa philosophie fondatrice et actuelle : le marché. Poussant le raisonnement plus loin, j’ajouterai que le débat électoral a ici peu de sens et qu’un tel sujet n’aurait dû être porté que devant l’opinion de grands électeurs et des directeurs financiers : les seuls supposés ou se prétendant techniquement et culturellement compétents pour effectuer une lecture critique du texte et l’amender. Le citoyen basique n’est pas à même, malgré la distribution des copies de le comprendre, de l’analyser et de le critiquer. Dans ce scénario pseudo démocratique les élus pédagogues agissent là comme des instituteurs ou des manipulateurs patentés de l’influence hypnotique et audiovisuelle sur des masses dociles et quelquefois illettrées...
La critique doit porter ailleurs : sur la forme de ce référendum, son amalgame choquant qui utilise les vieilles ficelles et la manipulation de la mémoire historique : du “oui” et du “non” qui fonda la 5ème république et l’ère gaullienne : mais le Général aimé ou haï n’est plus qu’un spectre ou un fétiche et à la tête du pays ne figurent plus que des clones vieillis ou des avatars médiocres : roquets fascisants dans le style sarkosien, ou figures troubles et séniles comme le Président. Que dire de plus d’un vote cherchant l’approbation d’une politique gouvernementale au bilan exécrable sur tous les plans : économie, éducation, santé, hôpitaux, Outre-mer, droit au travail. C’est un lieu commun de dire : la France s’enfonce, et à vue d’œil et ses citoyens vivent de plus en plus mal. La première faute “au nom” de l’Europe - si on y est attaché, est d’avoir ainsi mélangé les enjeux et les genres. À ce titre on ne peut que dire “non”, comme à cette profanation du droit au jour férié du Lundi de Pentecôte alors que l’aide à la santé et aux personnes âgées est un devoir d’État...

Le sacré et la culture sont manquants

Mais c’est sur l’Europe même que doit porter la critique de fond. Le projet actuel manque de deux axes fondamentaux : le sacré et la culture. Oublierait-on que l’Europe s’est construite autour du mythe impérial et le sacré qu’il véhiculait, anthropocentrique puis théocratique : à la Rome des Césars divinisés et surtout à Constantinople que fonda Constantin en 337 à l’ère de la révolution chrétienne et qui devint Byzance (avant que les barbares sanguinaires vomis par les steppes et massacreurs d’arméniens ou syriaques ne défigurent cette ville). Les deux empires, celui d’Orient sous Justinien et d’Occident sous Charlemagne quelques siècles plus tard, ont laissé le modèle de ce que pouvait être une société à la fois impériale et démocratique construisant un homme européen qui n’est retrouvé qu’avec “l’âge d’or” de Charles Quint en Occident à La Renaissance. La modernité laïcisée n’a eu cesse de rêver vainement à de nouveaux empires : celui de Bonaparte et celui d’Adolf Hitler, ces “grands ” Européens, dont le rêve nécrophile s’est concrétisé par les millions de morts des guerres et des génocides, sans parler de ces empires coloniaux républicains qui se sont construits sur le même mode. L’Europe des monarchies constitutionnelles et des républiques bancaires ignore le sacré et méprise la culture. Elle ne connaît que la loi des bourses et des marchés et sa démocratie hautement proclamée n’est qu’un simulacre frelaté pour racoler le chaland.
C’est dire que la copie est à revoir, autrement au-delà des gauches et des droites, à partir de la construction de nouvelles valeurs et d’un grand mouvement des peuples vers leurs sources et vers leurs horizons partagés : une nouvelle fondation politique et celle-ci passe par la restauration des symboles fondateurs, l’éclairement et le partage et surtout l’ouverture vers l’Est du continent : Ce n’est qu’à partir de l’Eurasie que peut se concevoir une véritable Europe. Une Europe de Vladivostok à Dublin, pour paraphraser un auteur célèbre évoqué plus haut...

Jean-François Reverzy


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