Alon rant dann ron filozofik !

Le manque de dialogue : bien que sûr que oui, mais...

23 mai 2008, par Alain Dreneau

Dans son billet philosophique du 16 mai 2008, Roger Orlu revient sur un concept qui lui tient à cœur : le dialogue. Il « insiste » (c’est lui-même qui le dit) sur ce qui lui apparaît comme une cause à la racine des maux dont souffrent les humains en société : le manque de dialogue. « Il y a un manque de dialogue sur la Terre pour résoudre les problèmes de l’humanité ». Et sa conclusion en découle : « Alors développons le dialogue pour voir comment arrêter tous ces processus qui menacent l’humanité ».

Il cite « d’abord » le manque de dialogue entre « partisans et adversaires du système économique dominant », et « par ailleurs » le manque de « dialogue fraternel entre militants ».

1- Qui pourrait nier - sur un plan généraliste et un peu abstrait - les vertus “oxygénatoires” du dialogue ? Le dialogue implique l’écoute, et le respect mutuel. Il entre en scène en en chassant la violence. Il est synonyme de “non-rupture” : « tant qu’il y a du dialogue, il y a de l’espoir ». Il est en quelque sorte une déclinaison d’un autre idéal : l’amour. Il faut du dialogue, il faut de l’amour. « Dialoguez ! », écho à peine assourdi de « Aimez-vous les uns les autres ! »... Et il est difficilement contestable qu’une montée en flèche du dialogue dans les habitudes des humains ferait un bien considérable à l’humanité.

2- Mais là où le bât (philosophique) blesse, c’est de faire apparaître le dialogue - ou son envers le manque de dialogue - comme la pierre d’achoppement d’un mouvement de transformation de la société. Comme un élément en soi décisif du devenir de la lutte des classes. Comme le concept “ouvre-boîte” du changement social. Or, un “billet philosophique” a pour fonction première de fournir des concepts qui puissent être traduits dans la réalité des luttes pour changer : tel n’est pas le cas, me semble-t-il, avec cette notion de “dialogue”.

3- Certes, dans la sphère du privé, de l’intime, le dialogue est une recette de bon sens. Que va dire le conseiller conjugal face au couple en difficulté ? « Parlez-vous, dialoguez plus... ». Que va préconiser le psychothérapeute devant des parents déstabilisés par leurs enfants adolescents, les uns et les autres emmurés dans une incompréhension mutuelle ? « Soyez à l’écoute, dialoguez mieux... ».

Inversement, qui pourrait concevoir qu’une situation de conflit - dans cette sphère des relations personnelles - ait une chance d’être résolue grâce au silence et au repli sur soi ? Le dialogue, en tant que concept, n’échappe donc pas facilement au risque de solution un peu formelle. Il n’y a en vérité aucune difficulté à l’accepter, toute la difficulté est dans la suite : dans le “comment” le faire vivre.

4- Si l’on passe maintenant à ce que Roger Orlu désigne par « manque de dialogue fraternel entre militants », « entre combattants altermondialistes », la préconisation est là aussi pleine de bon sens. La parole et l’écoute doivent effectivement contribuer à une meilleure organisation militante, à une meilleure entente relationnelle entre personnes tournées vers des idéaux proches, mais toutes diverses. Au-delà, le dialogue « fraternel » doit mobiliser les réflexions de chacun pour élaborer un projet de “nouvel ordre social”. Toute organisation à vocation démocratique se doit de suivre ces préceptes, d’en faire même une de ses orientations majeures. Le volontarisme aura à faire reculer des réticences. Tout à fait d’accord avec Roger Orlu là-dessus.

5- Mais on ne peut le suivre quand il veut nous convaincre que le dialogue « peut être une arme à mettre en avant dans le cadre de la lutte des classes pour obtenir que les plus riches et les plus forts écoutent les plus pauvres et les plus faibles ». Le « manque de dialogue » dans les rapports de classes est une évidence, mais c’est faire preuve d’un certain angélisme que de voir là la SOURCE des inégalités et des injustices. Les ressorts profonds de l’exploitation de l’Homme par l’Homme ne résident pas en premier lieu dans le manque de dialogue, mais dans la soif du profit. Si les fonds de pension qui activent la machinerie financière du néo-libéralisme saignent à blanc les producteurs, ce n’est pas, en premier lieu, faute d’un niveau suffisant d’écoute envers les travailleurs, mais cela provient bel et bien de la pulsion d’accumulation et d’accaparement des richesses tapie au cœur du capitalisme. Si le Président Bush refuse de suivre le Protocole de Kyoto régissant la réduction de l’émission des gaz à effet de serre, ce n’est pas, en premier lieu, parce qu’il refuse d’écouter les défenseurs de la planète, c’est parce qu’il veut perpétuer le pillage du monde par les plus riches.

Le manque de dialogue est une conséquence obligatoire des rapports de domination. Le pouvoir de l’argent est monologue, la force brutale du dominant est monologue (1).
« L’arme à mettre en avant dans le cadre de la lutte des classes » ? C’est l’arme des luttes collectives, qui accouchent d’un rapport de forces modifié. La “table ronde” suit l’action, qui a réussi à l’imposer. La “surdité” des pouvoirs n’est pas une déficience qui peut se corriger d’elle-même. Il faut frapper fort pour arracher l’écoute. Le « dialogue » prend alors le relais de l’affrontement, pour fixer - jusqu’à la prochaine avancée - l’état des forces en présence.

D’où mon interrogation : quand on a parlé de dialogue, a-t-on en fait commencé à dire quelque chose ? Quelque chose qui entre “dans le vif des contradictions”. Le dialogue ressortirait du vœu pieux, si on le plaçait trop au pinacle...

Alain Dreneau

(1)... ou souvent de nos jours, « dialogue » en trompe-l’œil. C’est le « cause toujours, tu m’intéresses ! » analysé entre autres par le Père Jean Cardonnel.


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