Mondialisation ultra-libérale

Le risque d’une guerre commerciale perpétuelle

Dévaluation du dollar et mesures protectionnistes de Washington

25 novembre 2003

Les États-Unis lancent une double offensive sur les échanges et la monnaie contre l’Europe et l’Asie. L’U.E. hésite à affronter Washington sur la question de l’acier ou celle des subventions fiscales à l’export. Prête à utiliser la guerre pour faire triompher le ’libre échange’, la Maison-Blanche multiplie les mesures protectionnistes pour faire diminuer les importations. Par ailleurs, les industries européennes souffrent de la dévaluation du dollar par rapport à l’euro, qui remet en cause les exportations du Vieux Continent.

La double offensive commerciale et monétaire menée ces derniers jours par les États-Unis contre l’Asie et l’Europe montre que l’administration Bush ne s’estime pas concernée par les condamnations de l’OMC concernant l’acier ou les aides fiscales à l’export. Robert Zoellick, le représentant spécial du président pour le commerce, a rejeté les conclusions de l’Organisme de règlement des différents (ORD, le "tribunal" de l’OMC). Jusqu’à nouvel ordre, les surtaxes de 8% à 30% sur les importations d’acier imposées depuis mars 2002 pour une durée de trois ans à l’Europe, à l’Asie et au Brésil restent la règle.
Il faut dire que selon l’American Iron and Steel Institute (le syndicat patronal des sidérurgistes), 69% des électeurs des États producteurs (Michigan, Ohio, Pennsylvanie, Virginie) sont favorables aux mesures protectionnistes. À un an de la présidentielle, cela peut expliquer la détermination de George Bush, même si les projets de restructuration brutale de la "rust belt" (la ceinture de la rouille) sont bien dans les cartons de l’administration.
Face au refus américain d’appliquer la règle de l’OMC, la Commission de Bruxelles, qui décide des mesures de rétorsions, hésite. Elle pourrait surtaxer un certain nombre de produits américains sensibles - par exemple le jus d’orange de Floride, État politiquement difficile pour Bush. Mais les sanctions seraient financièrement très loin des compensations autorisées par l’OMC, soit 2,2 milliards de dollars.
Pas question non plus de mettre en place les compensations de 4 milliards de dollars autorisés par l’Organisation mondiale du commerce, pour répondre aux subventions à l’export camouflées que sont les "foreign sale corporations" (FSC). Les groupes américains sont, par ce biais, autorisés à "loger" leurs bénéfices à l’exportation dans des paradis fiscaux et échappent ainsi à l’impôt fédéral.

Attaques contre les travailleurs

L’Europe reste, jusqu’à présent, réticente à déclencher un affrontement commercial frontal avec les États-Unis. Pascal Lamy déclarait ainsi dans une interview à "l’Humanité" que les 4 milliards de dollars accordés pour les FSC, « c’était la bombe atomique ». La prudence de l’UE ne relève pas d’une quelconque volonté de désarmer les conflits commerciaux auxquels incite une OMC fondée sur l’ouverture contrainte des marchés. Les dirigeants des grands pays de la zone euro -France et Allemagne en tête- ont parié sur la reprise américaine pour sortir leurs propres économies de l’atonie. L’exportation serait le moteur de cette reprise, ce qui justifierait la pression constante sur le coût du travail et la remise à plat des protections sociales au nom de la compétitivité. En l’occurrence, il ne s’agirait pas de se lancer dans un conflit avec l’Amérique, ce qui pourrait avoir des retombées néfastes en matière d’export, mais de déclarer la guerre sociale au sein même de l’Union.

Conséquences de la dévaluation du dollar

L’annonce officielle mardi par l’administration américaine du contingentement autoritaire des importations d’un certain nombre de produits textiles chinois montre que l’espoir de relance par l’exportation de la zone euro est largement illusoire. Le durcissement des États-Unis en matière de commerce s’est en effet traduit par une dévaluation du dollar face au yen, le yuan chinois étant indexé mécaniquement à la devise américaine, mais surtout face l’euro. Les exportations européennes vont donc être plus chères.
Plus fondamentalement - même si l’administration Bush n’est pas mécontente de la baisse du billet vert - la chute de la devise américaine risque de provoquer de sérieuses difficultés, tant aux États-Unis qu’en Europe et en Asie. En Amérique, les gigantesques besoins de refinancement engendrés par les déficits jumeaux de la balance des paiements (350 milliards de dollars) et du budget (400 milliards de dollars, soit l’équivalent des crédits accordés aux militaires américains) risquent de n’être pas satisfaits, ce qui fragiliserait Wall Street.
Le Trésor américain a d’ailleurs annoncé hier une chute brutale des placements étrangers en bonds du trésor. Ils passent de plus 70 milliards de dollars en moyenne par mois depuis le début de l’année à 4,2 milliards en septembre, loin du milliard de dollars quotidiens nécessaires aux déficits américains. En Europe, une baisse de Wall Street pesant sur les rendements financiers susciterait une agressivité encore plus forte contre le monde du travail. D’autant plus qu’une guerre monétaire pour la conquête des capitaux baladeurs, notamment asiatiques, s’ensuivrait.
En Chine et au Japon, une guerre commerciale avec les États-Unis pourrait se traduire par une fragilisation d’un monde bancaire et financier croulant sous les créances douteuses, ce qui renforcerait la baisse des achats asiatiques de bons du Trésor américain renforçant par-là même le décrochage du dollar...

La violence de l’ultra-libéralisme

Les affrontements commerciaux et monétaires qui se profilent montrent que le résultat de la dernière conférence ministérielle de l’OMC à Cancun ne relevait pas d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. Les contradictions engendrées par la guerre économique entre les grandes zones développées mondiales ne peuvent être dépassées par un regain de férocité. Même l’hyper puissance américaine ne peut, selon les experts américains eux-mêmes, parier sur une reprise durable et surtout créatrice d’emplois. Rappelons que depuis l’arrivée de Bush aux affaires, les États-Unis ont détruit 2,5 millions d’emplois.
A fortiori, l’Europe, dont le "stock" de chômage est beaucoup plus important, ne pourra sortir de la nasse qu’en renonçant au modèle guerrier d’Europe puissance. Manifestement le modèle "européen de gouvernance mondiale en matière économique et commerciale" que proposait Francis Mer lors du G7 de Dubaï ne fonctionne pas dans la mesure où le principe des échanges repose d’abord sur la baisse permanente des coûts du travail au sens large, c’est-à-dire en incluant les dépenses de formation, de recherche et développement, de protection sociale. Il faudrait au contraire, par un renversement copernicien, privilégier l’emploi en lieu et place du commerce libéral comme facteur premier du développement.


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