Après la décision de l’O.M.C.

Le sucre européen placé sous le régime du libre-échange

30 avril 2005

La décision prise avant-hier par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) lance un processus qui va obliger le système sucrier européen à appliquer les règles du libre-échange. Quand on voit à quel point l’industrie textile européenne a du mal à résister à la loi du libre-échange mondial, on peut être inquiet de l’avenir de la production sucrière européenne. Il est donc prématuré de dire que La Réunion sera protégée. D’autant plus que Bruxelles ne rendra public définitivement son projet de réforme qu’en juillet prochain. Notre île pourra-t-elle échapper à tous les effets de la mondialisation ?

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C’est sans doute un effet du nombrilisme réunionnais qui fait dire que la décision de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur le système sucrier européen est un "non-événement". Quand on pense que cette décision était attendue par les trois pays plaignants dont le Brésil, par les pays ACP comme Maurice, fournisseurs de sucre à l’Europe et par la Commission de Bruxelles, on peut effectivement parler d’un “non-événement”.

L’Union contrainte

Ceci étant, la principale leçon à tirer de la décision d’hier est que l’Union se voit contrainte désormais d’adapter le mode de fonctionnement de son organisation communautaire du marché du sucre (OCM) aux règles de l’OMC. La décision d’hier, comme le fait remarquer le communiqué du PCR, fait entrer l’OCM-Sucre sous le régime du libre-échange, de la "concurrence libre et non faussée", comme l’écrit le Traité constitutionnel. Structure fermée, ayant défini ses propres règles, le système communautaire sucrier doit désormais obéir aux principes du libre-échange.
Cette décision intervient au moment où l’OMC a repris ses travaux dans le cadre du cycle de Doha, afin de trouver un accord lors de la prochaine Conférence de Hong-Kong en décembre 2005.

Des expériences malheureuses

Or, l’Europe a connu des expériences malheureuses du libre-échangisme : elle a vu disparaître complètement son industrie minière, et son textile connaît de sérieuses difficultés face aux importations chinoises. Quand on sait que l’UE avait 10 ans pour se préparer à la fin de la période des quotas textiles et qu’elle ne l’a pas fait, on peut être inquiet quant à l’évolution de son système sucrier désormais placé sous les contraintes de l’OMC.
L’avenir de l’organisation communautaire du sucre est donc encore en pointillé.
Outre le contenu exact de la réforme qui sera présentée vraisemblablement en juillet, l’Union doit encore peser l’impact d’un certain nombre de facteurs :
1) le développement de sa propre production sucrière avec l’entrée de nouveaux pays producteurs ;
2) les moyens dont elle disposera pour contrôler les règles d’origine des sucres. L’expérience a prouvé que des fraudes sont possibles.
3) l’accès sur le marché européen, à partir de 2007, du sucre des pays les moins avancés (PMA) par la mise en application de la directive “Tous sauf les armes” avec une baisse progressive des droits douaniers ;
4) la poursuite de négociation au sein de l’OMC. La réunion ministérielle de décembre de cette année pourrait se révéler importante ; "Je crois que nous devons faire savoir à nos partenaires au sein de l’OMC avant la conférence de décembre de cette année, quels sont les éléments importants de cette réforme, si nous voulons éviter que cette question du sucre ne gâche la réunion de Hong-Kong" , a déclaré Mme Fischer Boel, commissaire européen à l’Agriculture, à Strasbourg.
Le projet définitif de réforme qu’a élaboré la Commission tiendra certainement compte des réponses à apporter à ces questions. L’UE ne pourra pas ne pas tenir compte d’un facteur essentiel qui est le Brésil, le pays qui "fait" les cours mondiaux du sucre et qui dispose d’un énorme potentiel pour augmenter encore sa production et ses exportations. De nombreux experts n’écartent pas la possibilité de voir le Brésil être en mesure d’approvisionner en sucre, tout seul, la majeure partie du monde. Pour ces mêmes observateurs, la libéralisation du secteur sucre de l’UE profiterait avant tout au Brésil. Or, c’est une amorce de libéralisation que traduit la décision de l’OMC d’avant-hier. Comme nous l’avions déjà écrit, l’avenir du système sucrier européen va se jouer dans le marchandage qui aura lieu entre l’UE et le Brésil. La Réunion pourra-t-elle tirer son épingle du jeu ?

J. M.


Tout ne fait que commencer

La Commission de Bruxelles a désormais tous les éléments pour construire son projet de réforme de son organisation communautaire du marché du sucre (OCM-Sucre). Comme elle l’avait déclaré le 12 mars dernier devant le Parlement européen, Mme Marian Fischer-Boel, commissaire européen à l’Agriculture attendait la décision de l’OMC pour présenter une version définitive du projet de réforme. Elle le fera vraisemblablement en juillet.
On aura alors une idée exacte de ce que souhaite et propose Bruxelles.
Toujours le 12 mars dernier, Mme Marian Fischer-Boel rappelait que les bases de la réforme restaient la baisse progressive d’un tiers des prix européens garantis et la diminution des quotas de production ramenés de 17,4 millions de tonnes par an à 14,6 millions au bout de la réforme. "Je suis convaincue qu’il s’agit d’un minimum nécessaire pour parvenir à une réforme efficace, équilibrer le marché et respecter nos obligations internationales", avait-elle déclaré en insistant sur la nécessité d’aller le plus loin possible : "Moins nous irons loin maintenant, plus il est probable que nous devrons encore procéder à une réforme dans un avenir proche, avec l’incertitude qui ira de pair pour le secteur", faisait-elle valoir.

Un long processus débute

Un long processus débute donc, qui comprendra plusieurs étapes. Après l’élaboration de son projet de réforme, Mme Fischer-Boel devra le soumettre ensuite à l’avis du Parlement européen avant d’obtenir l’aval du Conseil. Cependant, de nouvelles négociations seront sans doute nécessaires. Et ce n’est qu’à l’occasion du sommet interministériel de l’OMC du 13 au 18 décembre à Hong-Kong, que la réforme pourrait être définitivement bouclée.
Il est donc prématuré d’affirmer - comme l’écrivait hier “Le Quotidien” - que "La Réunion est protégée d’éventuelles conséquences" de la décision rendue hier. Disons que le cas de La Réunion n’était pas soumis à l’OMC. Il est tout aussi hasardeux d’affirmer qu’avec l’adoption par le Parlement européen d’un rapport de sa Commission de l’agriculture, les RUP ont obtenu l’engagement d’une compensation intégrale. Comme nous l’avions écrit, le vote de ce rapport relève malheureusement du vœu pieux. C’est le texte que présentera en juillet la Commission de Bruxelles et l’évolution qu’il subira qui comptent. Pour l’heure, même si le principe d’un traitement spécifique pour les RUP est acquis, tout reste incertain. On ne sait pas sur quelle période durera la réforme : 4 ans comme l’a proposé l’ancien commissaire, Frantz Fischler, 8 comme le demande la Commission de l’agriculture du Parlement européen ? On ne sait pas comment se fera la répartition entre producteurs et usiniers de la compensation dont le montant a déjà été fixé (elle sera de 27 millions pour augmenter et passer à 39 millions d’euros). Plus précisément encore, on ne sait pas sur quels financements sera abondée l’aide versée aux usiniers pour le transport du sucre de La Réunion vers les raffineries européennes.
Tout ne fait que commencer.


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