Les ACP refusent d’aller à l’abattoir

20 octobre 2008

A l’issue de sa 6e conférence des chefs d’Etat et de gouvernement tenue les 2 et 3 octobre 2008 à Accra, le groupe des 79 pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) a appelé, en pleine tempête boursière planétaire, la Communauté internationale à stabiliser les marchés financiers ainsi que les prix du pétrole et des produits alimentaires.

Il a aussi été question des Accords de partenariat économique (APE) signés par une vingtaine d’Etats membres, mais qui devraient être renégociés devant les réticences de nombreuses nations qui refusent d’aller à l’abattoir. Nous étions de la délégation burkinabè conduite par le Premier ministre, Tertius Zongo, qui y a représenté le Président du Faso.
Ce n’était peut-être pas le meilleur moment pour tenir un sommet. D’abord le Ghana est depuis quelques semaines en pleine campagne pour la présidentielle du 7 décembre prochain et sur les affiches, les candidats rivalisent de sourires et de slogans pour avoir la faveur des urnes. Ensuite le pays hôte vient d’être endeuillé avec le décès de son ministre des Finances.
Enfin, beaucoup de chefs d’Etat ou de gouvernement venaient tout juste de rentrer de leur pèlerinage annuel à New York pour l’Assemblée générale de l’ONU et avec des agendas surbookés comme les leurs, nombre d’entre eux dont le Président du Faso, se sont fait représenter. A moins qu’il ne se soit agi, pour certains, d’un boycott ou d’un désintérêt qui ne disait pas son nom, puisque quelques-uns ont préféré aller à Conakry pour le 50e anniversaire de l’indépendance guinéenne où ils se sont d’ailleurs fait plaquer par Lansana Conté.

Au finish donc, une petite poignée de présidents sur les 79 Etats membres (1) que compte que le cartel ACP (2) est venu faire la causerie à John Kofi Agyekum Kufuor dont ce devrait être le dernier rendez-vous international puisqu’il boucle son deuxième et dernier mandat. « Comme le veut la Constitution ghanéenne, en janvier, je devrais être en train de partir », a-t-il notamment lâché dans son allocution d’ouverture arrachant les rires de son auditoire.

Parmi les rares présents, le Béninois Yayi Boni, mais sitôt venu sitôt reparti. Omar Hassan el-Béchir aussi. ll faut dire que lui, était bien obligé d’être là puisque président en exercice sortant du conglomérat, il devait passer la main à son homologue ghanéen. Et malmené comme il l’est depuis quelque temps par Luis Moreno-Ocampo, le procureur de la Cour pénale internationale, qui rêve de brandir son scalp pour cause de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité au Darfour, aucune tribune n’est jamais de trop pour faire son plaidoyer pro domo. Et le maître de Karthoum ne s’en est pas privé, se faisant le défenseur des Etats pauvres, victimes de la part des puissants du monde de subversions, de chantage, de diktat et de pressions multiformes ; et dénonçant les actes politiques sous prétexte de justice et d’action humanitaire.

Une sécurité parfois approximative

On aura en fait assisté à un petit sommet de 48 heures au Centre de conférences international d’Accra où les mesures de sécurité étaient parfois approximatives. Certains ont ainsi pu pénétrer dans le saint des saints avec une arme et d’autres, qui ne devaient pas être dans la salle du huis clos, à l’image des journalistes, ont pu y accéder avant d’être gentiment priés de vider les lieux.
Un peu de désordre donc ou de timing comme ce technicien qui vient pour faire des réglages du poste téléviseur bien après que le Premier ministre s’est installé dans sa résidence. Ou ce monsieur qui vient approvisionner le pied-à-terre de Tertius en spiritueux quelques minutes après que le locataire eut installé ses pénates, alors que la sécurité devait les contrôler auparavant. « Vous auriez dû faire tout ça avant que l’autorité arrive », leur a sèchement fait remarquer le lieutenant Evrard Somda, le chef de la Sécurité Tertius. Ambiance...

On notera cependant la courtoisie à toute épreuve des hôtes ghanéens même quand il vous refuse le café et les en-cas à la pause parce que ce privilège serait réservé aux délégués. C’est dans cet environnement, qui ne donnait pas toujours l’impression d’être très studieux, que les chefs de délégations sont venus vitupérer du haut de la prestigieuse tribune sur des sujets récurrents ou d’actualité tels que la hausse du prix de pétrole et de celui des denrées alimentaires qui, ajouté à la crise financière internationale dont on en n’a pas encore fini de mesurer les dégâts, sont venus plomber des économies ACP déjà mal au point.

A cette rencontre dont le thème officiel portait sur la "promotion de la sécurité humaine et du développement", il a aussi été question de changements climatiques, de sécurité, des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et d’avenir du groupe ACP. Ce dernier point a notamment fait l’objet d’une note introductive du Premier ministre Tertius Zongo. « Devant les mutations intervenues dans l’environnement africain, européen et international, l’on est en droit de se demander si après 33 ans d’existence, le groupe ACP répond encore au contexte actuel de l’évolution du monde ». Une question d’autant plus centrale que l’Accord de Cotonou expire en 2020 et que les pays ACP, liés à l’UE par différents accords d’échanges préférentiels (3), s’ils sont couchés sur la même natte, ils n’ont manifestement pas les mêmes rêves.
Les Accords de partenariat économique (APE), discutés depuis 7 longues années et qui devaient entrer en vigueur à partir de janvier 2008, en sont la parfaite illustration. Qu’y a-t-il par exemple de commun entre un pays pauvre très endetté comme le Burkina, des nations exportatrices de café-cacao, de banane ou autres tels le Ghana, la Côte d’Ivoire et de petits Etats insulaires des Caraïbes et du Pacifique à l’image de la Papouasie- Nouvelle-Guinée, de Palau, de Tuvalu, des îles Fidji, de Kiribati de Saint Kit & Nevis qu’on a même du mal à situer sur une mappemonde ? Pas grand-chose sinon rien, à moins qu’ils s’enrichissent mutuellement de leur... pauvreté ou de leurs différences si vous préférez.
C’est sachant cette divergence d’intérêts que l’Union européenne (UE) a joué, tout au long de 2007, la carte de la division face, il est vrai, à nos responsables qui ont semblé surpris par l’échéance. Résultat des courses : une seule région ACP, les Caraïbes, a paraphé un APE complet et de nombreux Etats, dont le pays hôte du 6e sommet, se sont engagés pour un accord intérimaire. Mais beaucoup, c’est le cas du Burkina, émettent de sérieuses réserves dans la mesure où il faut remplir certaines conditions préalables avant de se jeter à l’eau. Pour le chef du gouvernement burkinabè, elles sont au nombre de trois.

Primo, doter nos Etats d’une capacité de produire et d’être sur le marché, car on n’y va pas si on n’a pas quelque chose à proposer. Deuxio : Nos pays pris individuellement ne pesant pas grand-chose, en quoi les APE peuvent aider à la construction d’espaces économiques sous-régionaux où les efforts seront unis pour faire face au marché. Tertio : En quoi les APE vont accroître la compétitivité des économies ACP ? Autant dire que des APE qui fédéreront tout le monde ne sont pas pour demain puisque les différents protagonistes ne sont d’accord que sur leurs désaccords. Accra aura une fois de plus constaté cela.

Dans ce panier à crabes où chacun fait à peu près ce qu’il veut, qu’il s’agisse de préoccupations économiques ou de questions liées à la démocratie et au respect des droits de l’homme, une vingtaine de pays ont donc, à ce jour, conclu des APE complets ou intérimaires d’ailleurs dénoncés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui les juge illégaux.
Pour comprendre les réticences du gros de la troupe, il faut savoir que ces APE veulent instituer l’accès libre de la majorité des produits ACP au marché européen, en contrepartie d’une ouverture progressive d’au moins 80% des marchés ACP aux produits européens. On le voit, cette version européenne du trade not aid américain est, en réalité, un contrat léonin puisque les deux ne boxent pas dans la même catégorie. C’est un peu comme si on mettait sur le même ring un poids coq et un super lourd. Autant dire aller à l’abattoir, ce que les moutons du sacrifice se refusent à faire. Il faut donc, de l’avis de nombreux participants, revoir la copie de ces APE de la discorde. Tertius Zongo : « Nous allons encore rencontrer l’UE pour voir comment nous pouvons avancer sur les différents points de blocage et nous acheminer, peut-être, vers une renégociation ou un réajustement du contenu des APE... c’est une négociation où personne n’a envie de voir le fil se rompre. »

(1) Sur les 79 Etats membres, 48 sont africains, 16 viennent des Caraïbeet 15 du Pacifique. Ils regroupent au total plus de 730 millions d’habitants.
(2) Porté sur les fonts baptismaux en 1975 par l’Accord de Georgetown (Guyana).
(3) Accords de Yaoundé, puis de Lomé et maintenant de Cotonou.

Ousséni Ilboudo pour L’Observateur Paalga (Burkina Faso)

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