Politique - à propos des expulsions à Mayotte - parole d’artiste

Les îles de l’Archipel des Comores se donnent la main sous l’eau

3 juillet 2007

Papajan est un peintre de Mayotte qui partage ses origines entre la Hollande et le Zimbabwe. Humaniste, ce peintre revient sur la crise identitaire de l’Archipel des Comores, où il a grandi, et appelle à une meilleure acceptation des clandestins comoriens, ses frères des îles Lunes.

Papajan. « À Mayotte, on a des étrangers pas étrangers ; et des pas étrangers, étrangers »
(photo Bbj)

Art Sénik est une terre de rencontre. C’est dans cette galerie que l’on pouvait rencontrer Papajan, peintre d’exception. De passage dans l’île, il posait ses quelques affaires à Art Sénik et retrouvait d’ailleurs un lieu de création. En 2003, lors de l’exposition “Péi-Là” de Francky Lauret et de Babou B’Jalah, cet artiste avait participé à une installation pour symboliser la fraternité entre les îles de l’Océan Indien, et du Canal du Mozambique. Quatre ans plus tard, c’est sur un sujet grave qu’il travaille : Comment sont traités les “clandestins” à Mayotte ? « Il faut bien s’entendre sur ce terme "clandestin", parce que l’on veut nous faire croire que ceux qui sont chez eux sont étrangers. A Mayotte, on a des étrangers pas étrangers ; et des pas étrangers, étrangers », déclare l’artiste qui peint au même moment un tableau intitulé “Clandestin”. Qui donc est étranger sur ce bout de terre devenu français ? Pourquoi expulse-t-on aussi bruyamment des sans-papiers autrefois frères ? Comment s’organisent les rafles de présumés clandestins sur une terre des droits de l’Homme ? L’artiste se pose ces questions. Son travail artistique ravive nos plus intimes émotions, même si le sujet abordé est grave et malheureux. Il n’éprouve aucune colère, seulement une sévère incompréhension de la nouvelle notion de clandestinité. « Mayotte fait partie de l’Archipel des Comores », revendique l’artiste.

Au nom de quel privilège ?

C’est un sujet grave, que l’artiste partage... avec des pincettes. Doit-on s’inquiéter de l’étouffement de la liberté d’expression à Mayotte ? Papajan préfère faire des clins d’œil sur une réalité criante, sans oser provoquer l’autorité en place.
Pour ce fils du métissage, qui partage son histoire de la Hollande au Zimbabwe, il serait grotesque que Mayotte, l’île où il a grandi, perde son identité qui est, qu’on le veuille ou non, comorienne. Aujourd’hui, c’est un silence qui s’installe, comme si on ne voyait pas les rafles, les contrôles intempestifs d’identité, les intrusions chez les marchands de sommeil. L’île de Mayotte connaît une transition historique, ce qui est d’abord perceptible par les nouvelles constructions pour des enseignes françaises. Cette évolution ne doit pas cacher la réalité. Les îles de l’Archipel des Comores ne se développent pas de la même façon, ne profitent pas de la même attention. « Pourquoi les clandestins, nos frères de l’Archipel des Comores, ne pourraient-ils pas chercher eux aussi une meilleure existence ? », demande Papajan. Pour l’artiste, les 4 îles de l’Archipel des Comores, à savoir la Grande Comores, Anjouan, Mohéli et Mayotte, se donnent la main sous l’eau. Alors, comment distinguer une seule parmi les autres ? Pourquoi brimer ceux qui autrefois avaient légitimement le droit de se mouvoir paisiblement sur Mayotte, leur île ? Et de poursuivre : « Ces clandestins, ce sont eux les vrais locaux, les gens du pays. Ils connaissent l’histoire, ils font l’histoire des Comores. Et même s’il est vrai qu’Anjouan est différente de Mohéli, que Mohéli est différente de la Grande Comores qui est elle-même différente de Mayotte, c’est la même histoire, c’est la même famille ».

À voir à La Réunion ...

Malheureusement, Papajan n’est pas resté longtemps parmi nous. Il aurait pu, par exemple, - et cela aurait été possible - exposer à l’Ile de La Réunion. Il aura quand même eu le temps de peindre dont le maintenant célèbre tableau nommé “Clandestin” qui, se voulant apolitique, montre quand même aisément les frontières injustes dessinées par l’Homme avide. Le discours n’est pas politique, il est profondément humaniste, ouvert sur les autres, conscient. Mais, on ose espérer qu’il sera bientôt parmi nous, et sûrement à Art Sénik pour une exposition collective d’artistes “Comoriens”. Avec papiers, ou sans papiers ? Peu importe. Reste que nous ne pouvons rester ainsi démobilisés, alors que l’on attaque vilement les valeurs fondamentales de la République. « Poètes, vos papiers », crierait Léo Ferré. Que tous les artistes se mobilisent autour du thème de la clandestinité, par des créations aussi diverses que des installations, des sculptures, des chansons, des tableaux, des vidéos, des pièces de théâtre, des fonnkèr, à installer devant une belle bâtisse du Barachois. Et puis, pourquoi seulement solliciter les artistes ? Il faudrait voir tous les Réunionnais réclamer que cessent ces expulsions injustes à Mayotte. Serait-ce une utopie ?

Babou B’Jalah


Signaler un contenu

Un message, un commentaire ?


Témoignages - 80e année


+ Lus