Les sales “bijoux” de la CIA - 2 -

10 août 2007

Des archives, “Les bijoux de famille”, ont été rendues publiques il y a quelques semaines par la célèbre agence. Vingt ans d’histoire d’activités illégales et de coups tordus. Ce n’est pas de la fiction... Voici la seconde partie de ce dossier entamé hier.

La cible de la mission : Fidel Castro

En 1960, la CIA contacte un ancien agent du FBI, homme de main du milliardaire Howard Hughes, qui, à son tour, se met en relation avec la mafia pour faire assassiner Fidel...
La commission d’enquête sénatoriale états-unienne chargée d’analyser « les opérations gouvernementales en relation avec les activités de renseignement », constituée en septembre 1975 et présidée par le Sénateur démocrate de l’Idaho Frank Church, avait rédigé un document de 347 pages portant sur des complots d’assassinat ou de renversement de 8 dirigeants étrangers : pêle-mêle, on y trouve cités Fidel Castro, le héros de l’indépendance du Congo ex-belge Patrice Lumumba, le Président Salvador Allende et le général Schneider du Chili, le premier Président indonésien Sukarno (fondateur du mouvement des non-alignés), mais aussi des personnages devenus encombrants par leurs compromissions avec Washington, le “président” fantoche sud-vietnamien Ngo Dinh Diem, les dictateurs Trujillo de la République dominicaine et “Papa Doc” Duvalier de Haïti.
Dès le début de 1960, sous la présidence finissante de Dwight Eisenhower, Fidel Castro a été la cible de mauvais coups impulsés avec la complaisance de la Maison-Blanche. La commission Church en a compté 8, à l’aide de poison, de tirs de précision, mais aussi de “trucs” plus farfelus tels de la poudre de thallium destinée à rendre imberbe le dirigeant des « babudos »... ou encore un cigare explosif, une combinaison de plongée et un stylo empoisonnés ou encore un coquillage explosif près de l’endroit où le dirigeant cubain se baignait. Mais l’affaire qui eut pour effet de conduire sans doute à nouer le nœud gordien des liens de la CIA, du FBI, de la mafia et des Kennedy, tranché par l’assassinat, le 22 novembre 1963, de John Kennedy, fut le complot contre Castro dont enfin, la CIA (dans les “bijoux”) reconnaît pour la première fois officiellement la paternité en rendant public un mémorandum daté du 19 novembre 1970. Ce document, adressé au Directeur de la CIA Richard Helms et signé par Howard J. Osborn, Directeur de la sécurité, confirme qu’« en août 1960, M. Richard Bissell a pris contact avec le colonel Sheffield Edwards afin de déterminer si le bureau de la sécurité (dont il est le Directeur - NDLR) avait des éléments qui pourraient participer à une mission sensible nécessitant une action de type gangster. La cible de la mission était Fidel Castro ».
À cet effet, « on contacta Robert A. Maheu » pour lui demander s’il pouvait organiser « une ouverture auprès de gangsters comme premier pas en vue de l’accomplissement de l’objectif ». Ce que la note ne dit pas, c’est que Maheu est un personnage particulièrement louche : ancien du FBI, il exerçait la fonction de factotum auprès du multimilliardaire agoraphobe et paranoïaque Howard Hughes, ami du patron du FBI John Hoover et, dit-on, financier dans les années 1930 du chef du clan Kennedy, le « pater familias » Joe. Maheu avait, entre autres turpitudes, réalisé en 1957, pour le compte de la CIA, un film porno titré “Happy Days” et mettant en scène un sosie de Sukarno, afin de faire croire aux Indonésiens que leur président était un vulgaire noceur ! Maheu, selon la note de synthèse, contacte « un certain Johnny Roselli », « membre de rang élevé du Syndicat » du crime, qui contrôlait « toutes les machines à crèmes glacées » de la principale avenue de Las Vegas (le Strip), qui devait avoir « sans aucun doute des relations avec les intérêts du jeu à Cuba ». L’homme de main de Hughes devait « dire à Roselli » qu’il avait été récemment engagé par un client qui représentait « plusieurs firmes internationales subissant de lourdes pertes financières à cause des actions de Castro » et qui étaient prêtes à payer « le prix de 150.000 dollars pour un résultat heureux », c’est-à-dire l’assassinat de Fidel. Roselli passe à son tour la main à « Sam et Joe », que Maheu rencontre le 25 septembre 1960. Ce n’est que « plusieurs semaines plus tard », affirme avec une fausse candeur le mémorandum, que Maheu découvre dans le magazine “Challenge” le portrait de ces deux personnes figurant parmi les 10 personnes les plus recherchées des États-Unis sur les listes du FBI. Il s’agissait respectivement de Momo Salvatore Giancana, chef de Cosa Nostra à Chicago et héritier de l’empire d’Al Capone, et de Santos Trafficante, parrain de la branche cubaine de la Mafia (on sait qu’avant le renversement du dictateur Batista, Cuba était essentiellement la maison close des États-Unis et la principale plaque tournante du trafic de drogue vers l’Amérique du Nord).
La note de la CIA raconte dans les détails comment fut organisée cette tentative d’assassinat qui ne fut cependant jamais totalement mise en œuvre. Toutefois, le passage le plus intéressant du mémorandum consiste en une incidente rédigée comme suit : « Au plus fort du projet, Sam (Giancana - NDLR) a fait part de ses inquiétudes au sujet de son amie Phyllis McGuire, dont il avait appris qu’elle était l’objet de nombreuses attentions de la part de Dan Rowan alors que tous deux étaient sous contrat dans une boîte de nuit de Las Vegas. Sam a demandé à Maheu que l’on place un micro dans l’appartement de Rowan afin de déterminer l’étendue de son intimité avec miss McGuire. Le technicien chargé de la mission a été pris sur le fait, arrêté et conduit au bureau du shérif pour interrogation. Rowan téléphona à Maheu pour l’informer de son arrestation. L’appel eut lieu en présence du personnel du shérif. Subséquemment, le département de la Justice annonça son intention de poursuivre Maheu avec le technicien. Le 7 février 1962, le directeur de la sécurité (de la CIA - NDLR) a mis au courant l’attorney general, Robert Kennedy, des circonstances ayant conduit à l’implication de Maheu. À notre demande, la poursuite était abandonnée ». En fait, selon la commission Church, cette démarche de la CIA n’aurait eu lieu que le 7 mai 1962, alors que le patron du FBI Herbert Hoover avait révélé dès août 1961 à Bob Kennedy que la CIA utilisait Giancana dans une « opération » contre Castro.
Outre la rivalité avec la CIA, Hoover haïssait les Kennedy et tout particulièrement Bob qui poursuivait de sa vindicte le parrain du syndicat des camionneurs, Jimmy Hoffa, ami et client de chef du FBI. Le 9 février 1962, Hoover informe incidemment Bob Kennedy de « rumeurs » selon lesquelles Giancana avait échappé aux poursuites « à cause des relations intimes » du parrain « avec Frank Sinatra qui, de son côté, affirmait être un ami proche de la famille Kennedy ». Mais le pire devait arriver : le 22 mars 1962, Hoover déjeune avec le Président John F. Kennedy et lui présente un mémoire sur les liens entretenus par Judith Campbell avec les truands Roselli et Giancana, qu’elle avait connus par l’intermédiaire de Frank Sinatra. Par la même occasion, Hoover annonce au président des États-Unis qu’en mettant sur écoutes Mme Campbell, « il était tombé sur des communications téléphoniques avec la Maison-Blanche », autrement dit, avec John Fitzgerald Kennedy, dont Judith Campbell affirma plus tard avoir été l’une des nombreuses maîtresses.
Ainsi, une tentative d’assassinat de Fidel Castro plutôt désordonnée, orchestrée par la CIA, a provoqué des « dégâts collatéraux » dont a été victime celui qui avait voulu mettre fin à la révolution cubaine en organisant avec une bande de mercenaires une tentative d’invasion de Cuba, qui échoua sur la plage de la baie des Cochons le 17 avril 1961. Bissell était à l’époque Directeur des opérations de la CIA. C’était l’un des concepteurs de la mission d’espionnage à haute altitude de l’ex-URSS avec un avion U2 abattu par les Soviétiques le 1er mai 1960. Il fut plus tard l’artisan de l’invasion de la baie des Cochons. Maheu est, sous le nom de Pete Bondurant, l’un des principaux personnages du roman-vérité de James Ellroy, “American Tabloid”, un ouvrage fascinant et plein de bruit et de fureur sur la période 1958-1963 (Éditions Rivages/noir, 2007).

Michel Muller


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