Les tortues marines ont leurs experts

2 mai 2008

Fuerteventura, l’île à l’Est de l’archipel des Canaries, organisait du 23 au 27 avril 2008 la 8ème Conférence Atlantique de l’Environnement.

La première journée était consacrée aux tortues marines

Un groupe d’experts internationaux étaient conviés à présenter les programmes de conservation des sites de ponte des tortues marines dans leur pays, et de discuter avec les acteurs locaux du Proyecto Tortugas, projet lancé à Fuerteventura et soutenu par l’équivalent du Conseil régional, qui consiste à ré-introduire une espèce de tortue marine, la Caretta caretta, disparue des plages des îles depuis plus d’un demi-siècle. Le projet financé par l’Union Européenne dans le cadre du dispositif Life vise à récupérer des œufs dans des nids voués à la destruction (car pondus trop près des vagues) au Cap Vert, et de les transporter pour les mettre en incubation sur une plage du Sud de Fuerteventura, sélectionnée à cet effet, ou dans des incubateurs à Grande Canarie.
La température d’incubation, les taux de survie, la taille et le poids des nouveaux-nés sont étudiés, avant que ceux-ci ne rejoignent l’océan Atlantique. Les tortues revenant pondre sur leur plage de naissance, les scientifiques mais également les élus de Fuerteventura espèrent que les tortues nées dans le sable de cette île où dans les incubateurs, puis relâchées dans les eaux canariennes, reviendront s’y reproduirent une fois la maturité sexuelle atteinte. Dans ce projet, les intérêts scientifiques et économiques se rejoignent. En effet, la promotion de l’île de Fuerteventura utilise déjà la tortue marine comme argument commercial pour se singulariser des autres îles des Canaries et attirer les touristes sur une île qui souhaite cultiver un tourisme durable dans un environnement préservé. (Certains sites des îles principales des Canaries ont en effet été sacrifiées au tourisme de masse et ne peuvent plus guère vendre que les plages et le soleil, tant les paysages et le littoral y ont été dégradés par plusieurs décennies de construction acharnée).

Fuerteventura ou comment développer une île où l’eau est rare

Fuerteventura doit son récent développement à l’eau de mer qui, après désalinisation, permet d’alimenter en eau douce une économie qui atteint un taux de croissance parmi les plus élevés d’Europe. Avant la généralisation de ce procédé de désalinisation, la faible ressource en eau de cette île semi-désertique de l’archipel des Canaries avait limité le développement économique et concentré celui-ci sur les autres îles de l’archipel plus arrosées. Cet épineux problème de l’eau solutionné, M. Mario Cabrera Gonzales, le Président del Cabildo de Fuerteventure, l’équivalent du Conseil régional, ne souhaite pas reproduire les erreurs des îles voisines, qui ont certes connu un développement plus rapide, mais présentent aujourd’hui un littoral où les espaces naturels ont été considérablement dégradés. Dans un marché touristique mondial de plus en plus concurrentiel, Fuerteventura souhaite préserver ses kilomètres de plages et ses paysages semi-désertiques, sauvages et uniques. Cependant, cet environnement préservé a besoin d’espèces phares qui peuvent en être les porte-drapeau de l’île et marquer l’imaginaire des futurs visiteurs.

Les tortues marines : porte-drapeau d’un tourisme durable

La tortue marine a été retenue au côté de la sous-espèce endémique d’outarde, pour symboliser cette volonté de promouvoir un environnement préservé et une politique volontariste de développement durable.
Le fait que celles-ci aient disparu des plages de l’île depuis des décennies n’est pas un problème. Fuerteventura décide, dans le cadre d’un programme de coopération avec l’archipel voisin du Cap Vert, de ré-introduire des œufs avec l’espoir que les tortues nées sur l’île de Fuerteventura y reviendront, recréant ainsi une nouvelle colonie de tortues caouanne de l’Atlantique Ouest.
Il s’agit là d’un projet à long terme, puisque l’âge de maturité sexuelle pour cette espèce est de 10 ans ou plus. Aussi, pour maintenir la motivation de la collectivité et des bailleurs de fonds, une journée de la 8ème Conférence Atlantique de l’Environnement a été consacrée à présenter l’avancement du projet, et exposer des projets équivalents menés dans le monde. Or, ce type de projet n’est pas légion en raison de leur incompressible durée et de l’inadaptation des modes de financement qui ne couvrent que des périodes de quelques années.
Le D. Rene Marquez, membre du Comité scientifique de la commission inter-américaine pour la protection et la conservation des tortues marines, a présenté le programme qui a abouti à sauver de l’extinction les tortues de Kemp (Lepidochelys kempii) du Mexique. Stéphane Ciccione, Directeur de Kélonia, a présenté les résultats du programme de réhabilitation des plages de ponte à La Réunion.

Les Canaries intéressées par l’expérience réunionnaise

Mais les échanges souhaités par les promoteurs canariens du projet concernent également les techniques de maintien des tortues en bassins. En effet, afin d’accroître les chances de réussite du projet et d’en réduire la durée, une partie des jeunes tortues est conservée en bassin durant plusieurs mois. L’objectif est de ré-introduire dans le milieu des tortues à une taille les mettant à l’abri de principaux prédateurs et donc d’accroître leur chance de survie. Par ailleurs, en raison d’une croissance plus élevée en captivité, liée à une alimentation plus abondante, les jeunes tortues devraient atteindre plus rapidement leur maturité sexuelle. Avec plusieurs années d’élevage et de maintien de tortues en captivité, La Réunion bénéficie d’une expérience importante dans ce domaine.
Mais avant même que les tortues reviennent pondre sur les plages du Sud de l’île, comme l’espèrent les acteurs des Canaries, Fuerteventura valorise déjà ce projet en termes d’image. Les jeunes tortues nouveaux-nés ou ayant grandi plusieurs mois en bassin sont relâchées par les enfants et les élus de Fuerteventura, sous les caméras et les flashs de la presse locale et internationale. “La Isla de la tortuga” est en route ! Comme le confirment les plaquettes de promotion de l’île.

Coopération Canaries/Réunion

Luis Felipe Jurado Lopez, Professeur à l’Université de Grande Canarie et promoteur du projet de Fuerteventura, souhaite que cette rencontre débouche sur un projet commun Canaries/Réunion visant à favoriser les échanges d’expérience, et les valoriser pour établir des protocoles sur la réhabilitation des habitats et des populations de tortues marines disparues ou grandement menacées. Les premiers échanges entre les Canaries et La Réunion remontent à 1999. Cette année-là, Ifremer et le CEDTM (Centre d’Etude et de Découverte des Tortues Marines de La Réunion, qui deviendra Kélonia) organisent, grâce au financement de la Région Réunion et de l’Union Européenne, un séminaire sur les tortues marines à Saint-Leu. Le séminaire est l’occasion de réunir des scientifiques de toutes les régions du monde (Madagascar, Seychelles, Australie, Etats-Unis, Italie, Açores et Canaries) autour du projet de reconversion de l’élevage de Saint-Leu.
La Réunion présente alors le projet de réhabilitation de plage de ponte qui s’appuie sur une étude italienne du Pr. Papi de l’Université de Florence, mettant en avant « la plume olfactive » qu’utiliseraient les tortues marines pour leur navigation à moyenne et courte distance. Il s’agit des odeurs générées par les terres, donc provenant principalement de la végétation, qui sont entraînées par les vents à la surface des océans. Les tortues perçoivent ces odeurs lorsqu’elles respirent en surface, et pourraient ainsi remonter vers les plages favorables à la ponte. En effet, le type de végétation littorale et les odeurs que celle-ci génère, varie en fonction du type de côte et de la nature du sable.

Réhabiliter les plages de ponte à La Réunion

Le projet réunionnais consiste à détruire les pestes végétales (zépinard et prosopis) qui ont envahi le haut de plage de la Pointe des Châteaux, pour planter des veloutiers, espèce indigène du littoral de La Réunion où elle est devenue très rare et unique espèce présente sur l’ilôt de Tromelin, site de ponte abondant le plus proche de La Réunion. Depuis 2004, c’est au pied de ces veloutiers que plusieurs femelles de tortues vertes sont venues déposer leurs œufs. Ce qui apporte de l’eau au moulin de la théorie de la « plume olfactive ».


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