Mouvement républicain et citoyen (M.R.C.)

Lettre du MRC au ’oui de gauche’

18 avril 2005

(Page 5)

Cher "oui de gauche",
Je suis un "non de gauche". Je sais, on est assez fâchés en ce moment, mais permets-moi quand même de t’écrire au nom de ce qu’il nous reste en commun :
le "... de gauche". Et j’espère bien que ce "... de gauche" nous permettra de mener à bien des actions ensemble aprés le 29 mai.
Tu sais, ce referendum, on aurait pu facilement s’en passer tout en respectant le choix des peuples. Celà aurait été tellement plus simple si ,pendant les élections européennes, tous les candidats s’étaient exprimés sur le projet de traité constitutionnel européen. Certains, tel Moscovici, auraient pu dire qu’ils étaient pour la concurrence " libre et non faussée" ( article I. 3/2) et argumenter. Moi j’aurai plutôt voté pour une liste favorable à une concurrence parfois encadrée et suffisamment faussée pour permettre de préserver les services publics. Permets-moi de penser que toi aussi tu aurais pu voter pour cette liste.
On aurait donc élu nos députés, le parlement européen se serait alors réuni pour se transformer en Assemblée Constituante Européenne. Tous les avis auraient été confrontés, les amendements auraient été discutés, et au final les députés auraient voté, à la majorité qualifiée, la nouvelle constitution. On aurait ainsi obtenu une véritable constitution, modifiable au besoin à la majorité qualifiée puisque, tu le sais aussi bien que moi, tout espoir d’obtenir l’unanimité relève de la pure science-fiction.

Mais ceux qui nous gouvernent décidèrent qu’il en serait autrement : une commission technique composée pour les deux tiers de libéraux, pompeusement rebaptisée "convention" par ce grand progressiste qu’est monsieur Valéry Giscard d’Estaing, a reçu la mission de préparer un texte de "traité constitutionnel". Elle a produit 448 articles sur 882 pages qu’on ne peut plus amender (La constitution de la Vème République tient en 22 pages !) Une constitution doit se contenter de fixer un cadre. Pas celle-là, puisqu’elle organise dans le détail le fonctionnement de la machine Europe.
Cher "oui de gauche", peux-tu réellement croire un instant que cette constitution puisse être démocratique ? T’es-tu plongé dans les entrailles de cette usine à gaz ? Si c’est le cas, peux-tu être d’accord avec l’idéologie de la "libre concurrence non faussée" qui sous-tend tout le texte ? Acceptes-tu réellement d’interdire les aides de l’État aux services publics comme EDF ou d’autres (article III.167/1) ?
Imagines-tu un seul instant que les services publics soient, comme des entreprises commerciales, soumises à la libre concurrence (article III.166) ? Ne crains tu pas un nivellement par le bas des systèmes sociaux si leur harmonisation obéit au seul "fonctionnement du marché intérieur" de l’Union (article III.209) ? Es-tu pour que la flexibilité du travail devienne une norme constitutionnelle (article III.203) ? Acceptes-tu que l’objectif de la PAC soit "d’accroitre la productivité" (article III.227/1a) au mépris d’une agriculture raisonnée et biologique ?

Que dire de la laïcité totalement absente du projet ? Je sais, le mot lui-même n’existe pas forcément dans chacune des langues des 25 États. Mais ils auraient quand même pu indiquer dans le texte que l’Union Européenne est indépendante de toute religion. Non, ils ont préféré faire du "dialogue avec les Eglises" un impératif du traité de constitution (article I.52/53). Je n’ai rien contre le dialogue avec les Eglises, mais a-t-il vraiment sa place dans une constitution ? Pourquoi ne pas introduire dans ces conditions un dialogue impératif avec les syndicats ?
Que penses-tu de l’article II. 70/1 qui reconnait "la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ?" Ne vient-il pas contredire et anéantir la loi française sur la laïcité votée en 2004, un siècle après la loi de 1905, par ceux-là même qui nous demandent d’approuver cette constitution ? Quelle cohérence dans leurs choix ? As-tu vu qu’ils mettent écoles privées et écoles publiques laïques sur un même plan dans l’article II.75/3 ? Ne penses-tu pas qu’une fois les écoles privées reconnues dans cette constitution, leurs lobbies s’en serviront pour réclamer à la République encore plus de financements ?

J’aimerais encore te parler du dumping social (article III.177), du "droit au travail" qu’on remplace par le "droit de travailler", de l’introduction du "lock-out" patronal (article II.98), du maintien du "déficit démocratique" des institutions européennes, de l’inféodation à l’OTAN (article I. 47/7) et des articles qui rendraient inconstitutionnels toute politique de gauche dans l’ensemble des États membres de l’Union Européenne. Mais je n’abuserais pas de ton temps et t’invite, si tu le souhaite, à nos réunions publiques.
Et surtout informe-toi. Si j’en avais fait autant en 1992 lors du référendum sur le Traité de Maastricht, je n’aurai certainement pas voté oui. Depuis j’ai juré qu’on ne m’y reprendrait plus.Tu vois, nous ne sommes pas si différents finalement et ce "... de gauche" que nous partageons tous deux doit permettre de nous retrouver sur l’essentiel. Arrêtons de nous disputer pour un oui ou pour un non ! Nous savons très bien tous les deux qu’à chaque fois que la gauche a su dire non d’une voix ferme et forte (1789, 1848, 1936, 1981...) elle s’est retrouvée en phase avec le peuple. Et il faudrait être sourd pour ne pas entendre, à travers les sondages et la mobilisation actuelle du mouvement social, le choix clairement exprimé de notre peuple pour le non.

Pascal Basse,
MRC outre-mer


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