PAROLE À...

Louis Michel, Commissaire européen au Développement

L’Europe est redevable à l’Afrique

27 juillet 2006

Le Belge Louis Michel est depuis 2 ans Commissaire européen au Développement et à l’aide humanitaire. Son action est encensée par les uns, contestée par d’autres. En République démocratique du Congo, par exemple, à la veille des élections, il est traité d’esclavagiste, de colonisateur et autres gentillesses. À chacun de juger...

Fondamentalement, pourquoi les pays du Nord doivent-ils coopérer avec l’Afrique ?
- Louis Michel : Je ne peux pas admettre qu’un pays qui a été colonisateur et a bénéficié de l’exploitation des richesses d’autres se désintéresse de ses anciennes colonies. Nous sommes liés par une histoire. Les pays riches dans leur ensemble, qui ont tous largement profité de la colonisation, sont redevables à ces populations. Si nous ne prenions pas nos responsabilités, nous serions sans excuse. Quand on voit ces millions de morts sur une année, dont on sait que nous avons les moyens de sauver la moitié, on ne peut nier l’existence d’une responsabilité et d’une culpabilité collectives. L’Union européenne peut faire la différence en Afrique, donc elle doit la faire. Nous avons obtenu un engagement de la part des Vingt Cinq d’avoir 20 milliards d’euros de plus à l’horizon 2010, dont la moitié ira à l’Afrique subsaharienne.

Vous invoquez une conception "politique" de la coopération. Vous refusez d’être un "guichetier" du développement. Quelle est cette “vision” ?

- Etre guichetier du développement, c’est financer des projets des ONG, européennes la plupart du temps, et ne pas prendre assez de risques avec les gouvernements en place, même lorsqu’ils ne sont pas parfaits. La part d’argent du développement qui passe par les projets est de l’ordre de 75%. Seuls 25% vont directement aux États. Moi, je veux faire de la politique, c’est-à-dire parler aux États, en leur proposant qu’une part plus grande des fonds entre dans leur budget, mais qu’on discute politiquement de l’usage qui en est fait.

Où est alors la limite avec l’ingérence dans la politique de cet État ?

- L’ingérence ? Ce n’est pas condamnable en soi. Si la Belgique s’était ingérée un peu plus dans le conflit de 1994 au Rwanda, le génocide aurait peut-être été évité. J’adhère au droit d’ingérence si c’est pour éviter des catastrophes, pour forcer la paix, pour aider un État à se reconstruire. Mais si c’est monnayer avec un État l’argent du développement contre l’accès à des mines de diamants ou à des avantages économiques, c’est abominable.

En République démocratique du Congo, certains vous agonisent d’injures parce que vous interviendriez trop dans la politique du pays. Cela vous touche ? Vous avez parfois envie de tout abandonner ?

- Ce qui m’intéresse dans ce pays, ce n’est pas de savoir qui sera président, c’est qu’il y ait des élections démocratiques, un président et un Parlement légitimés, et un gouvernement le plus inclusif possible. Alors oui, parfois je suis découragé face à des accusations personnelles irrationnelles ou injustes. Mais c’est vite oublié. Si vous choisissez d’être un homme politique, vous n’avez pas droit au découragement. Même s’il fallait tout recommencer à zéro, je serais partant.
J’ai eu 2 grandes récompenses qui m’ont prouvé que j’avais eu raison d’être un peu poète et romantique sur la question : d’abord les files de gens misérables qui, parfois, avaient marché 25 ou 30 kilomètres pour recevoir une carte d’électeur. Ils avaient conscience d’être enfin vus comme des êtres humains. Cela m’a ému. Ensuite, la ratification de la Constitution. Tous n’ont peut-être pas compris tout ce qu’il y avait dans le texte, mais ils ont senti que c’était un moment d’Histoire.

Comme Belge, vous vous souvenez de Yaguine et Fodé, ces 2 jeunes Guinéens retrouvés morts à Bruxelles dans le train d’atterrissage d’un avion ? Ils rêvaient de l’eldorado européen ? Si vous les aviez vus avant leur départ, que leur auriez-vous dit ?

- S’ils étaient arrivés vivants, je les aurais régularisés. Avant leur départ, je leur aurais dit de se mobiliser positivement et d’être patients, parce qu’on va y arriver...

Vous y croyez vraiment ? Déjà dans les années 1960 existait la conviction qu’on pouvait en finir avec la pauvreté, en y mettant les moyens. Mais on est toujours au même point...

- Il manque une vraie volonté politique de notre monde à nous, sans oublier de les responsabiliser, eux. Pendant des années, nous nous sommes donné bonne conscience en apportant de l’argent. Mais je pense qu’eux non plus n’ont pas toujours pris leurs responsabilités avec cet argent et avec ces moyens. C’est pour cela qu’il faut un dialogue politique, mûr, entre eux et nous, pas un dialogue paternaliste. Pendant toutes ces années, il n’y a pas eu de véritable dialogue politique, au sens noble du terme, entre pays riches et pauvres vus comme des alliés égaux en droits et en devoirs.

Que vous inspirent ces milliers d’Africains qui risquent la mort pour vivre mieux ailleurs ?

- Ceux qui partent sont les meilleurs fils et filles d’Afrique, ceux qui en ont le plus dans le ventre, qui ont un certain sens de la dignité et ne peuvent pas supporter l’indignité dans laquelle ils vivent. Ce ne sont pas des voyous, mais des gens qui veulent assumer leur existence d’homme ou de femme. Je dis cela à destination des Européens, et notamment des partisans de l’"immigration choisie" à la française. La seule réponse est d’offrir une perspective d’avenir à ces jeunes chez eux : financer des projets à haute intensité de main-d’œuvre ou créer des centres d’excellence et de recherche pour les universitaires qui sont tentés de quitter leur pays. C’est un travail de 10 ans qui demande une stratégie. Je vais faire un projet pilote avec l’Espagne et les Canaries, sur le Mali, la Mauritanie et le Sénégal, visant à offrir des perspectives qui permettent aux gens de rester chez eux et d’y travailler. Fermer les frontières n’est pas une réponse adéquate.

Propos recueillis par André Linard (Syfia)


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