Crise environnementale mondiale

Mettons fin à la « gabegie alimentaire »

31 août 2012, par Céline Tabou

Dans une tribune accordée au quotidien “Le Monde”, Bruno Parmentier, Consultant auteur de ’Nourrir l’humanité’, a fustigé cette « fâcheuse habitude au XXIème siècle ». Celle-ci concerne la diminution depuis des années des stocks de céréales.

« On n’arrive pas à reconstituer des stocks dignes de ce nom et d’ailleurs on ne tente guère, car ce n’est plus à la mode : le "moderne" maintenant, c’est la spéculation ! », a dénoncé Bruno Parmentier. Face à la hausse des prix des céréales, due en grande partie aux catastrophes naturelles qu’ont subies les plus grands greniers du monde en matière de blé, maïs et soja, la communauté internationale commence à s’inquiéter de la « durabilité de notre système alimentaire ».

Vers des émeutes de la faim

Les mauvaises récoltes de 2007 ont entraîné une crise alimentaire mondiale dans trente-six pays, de Dakar à Mexico en passant par Le Caire, l’Égypte et Haïti. L’origine de ces émeutes vient de la hausse des prix alimentaires. D’après Josette Sheeran, Directrice du Programme alimentaire mondial (PAM), cité dans “Le Monde”, en septembre 2008, « tout a commencé il y a trois ou quatre ans, lorsque la consommation de certains produits agricoles de base a dépassé la production à l’échelle mondiale. La sécheresse dans des pays comme l’Australie n’a rien arrangé. Les stocks alimentaires ont commencé à baisser, et pas simplement dans les pays riches. (...) Est venue s’ajouter la hausse des cours du pétrole. À 80 dollars le baril de brut, il devenait intéressant, d’un point de vue économique, de fabriquer des carburants à partir de denrées agricoles ».
Cette explication laisse présager un avenir incertain pour la planète et particulièrement les pays en voie de développement. A l’époque déjà, les changements climatiques ont entrainé des sécheresses en Roumanie, au Lesotho, en Somalie et au Ghana ; des inondations en Équateur, en Bolivie et au Sri Lanka, ainsi que des hivers particulièrement rudes comme dans le Sud de la Chine ou en Argentine.
Cette année, les sécheresses aux États-Unis et au Mexique ont affecté les récoltes de maïs, de soja et de blé. Au même moment, la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan ont été touchés par un été sec. En Inde, la mousson s’est fait attendre et les récoltes européennes ont été affaiblies par des excès de pluie. A cela s’ajoute une absence de récoltes, pour la troisième année consécutive, en Afrique de l’Est. Ce constat climatique est alarmant pour le consultant qui espère toutefois que « l’hémisphère Sud soit sans sécheresse, ni inondation en Australie, au Brésil ou en Argentine », afin de pallier le manque qu’il devrait y avoir dans les réserves de céréales.

Des perspectives alarmantes

Face à l’envolée du cours des matières premières et à la raréfaction des denrées, Bruno Parmentier dresse un tableau sombre pour les mois à venir. « Que va-t-il se passer si le cours des céréales et du soja continue à flamber ? Les spéculateurs vont s’en donner à cœur joie, aggravant le phénomène. Trois conséquences sont prévisibles, puisque les céréales ont maintenant trois usages concurrents ».
Ce dernier explique qu’une « bonne partie des 920 millions de mal-nourris, en tout cas ceux qui habitent dans les grands bidonvilles du monde, vont avoir encore plus faim ». En effet, le budget de ces derniers est consacré à près de 70% à 80% aux dépenses alimentaires, et avec la hausse du cours et les difficultés économiques qu’ils rencontrent, « ils ne pourront plus le faire ». A ce chiffre vont s’ajouter les « 30, 50 ou 70 millions d’affamés supplémentaires parmi ceux qui étaient encore juste "du bon côté", ceux qui mangeaient mal, mais mangeaient encore sans avoir trop faim ».
Le cap symbolique du milliard d’affamés pourrait alors être dépassé, avec pour conséquence, d’après Bruno Parmentier, des révoltes populaires destinées à destituer les gouvernements en place. De leur côté, « les éleveurs ne pourront pas nourrir toutes leurs bêtes ou perdront de l’argent en tentant de maintenir leurs effectifs ».
L’auteur de "Nourrir l’humanité" a pointé du doigt le système alimentaire actuel, car « la moitié du blé mondial et les trois quarts du maïs et du soja ne servent pas à faire du pain, des pâtes, du couscous, des tortillas ou du tofu, mais du poulet, des œufs, du porc, du lait et du bœuf ! ». Ce dernier a dénoncé la « gabegie alimentaire » des pays développés et émergents, dont la consommation ne cesse d’augmenter bien que la production ne suive plus.

Repenser les politiques énergétiques

Les politiques de soutien aux agro-carburants de première génération. Ces derniers sont composés de maïs pour l’éthanol aux États-Unis, de colza en Europe pour le biodiésel ou d’huile de palme dans de nombreux pays du Sud. Ceux-ci « vont à nouveau être fortement questionnés », a-t-il indiqué. Face aux changements climatiques et aux possibilités qu’offrent les ressources naturelles (mer, air, soleil…), les récoltes alimentaires devraient, selon certains experts, être destinées à la consommation.
L’auteur appelle l’humanité à « prendre conscience que l’agriculture représente dorénavant une question-clé pour la paix du monde, et qu’elle a besoin d’un effort collectif très important et d’investissements considérables pour être à la hauteur du défi ». Cela passe par une nouvelle gouvernance mondiale qui prévient les crises, limite la spéculation, constitue des stocks de secours sur tous les continents et permet la libre circulation des informations pour développer chaque activité.
Il faut également pour cela « revoir nos habitudes alimentaires : moins d’obèses ici et moins de mal-nourris là-bas, tout le monde finirait par y gagner. Et promouvoir sur tous les continents une agriculture qui réconcilie écologie et agriculture (en particulier agro-écologie ou agriculture écologiquement intensive), qui permette aux paysans du monde de produire eux-mêmes, suffisamment (c’est-à-dire beaucoup) et de façon plus durable, même en prenant en compte les effets délétères du réchauffement planétaire », a conclu Bruno Parmentier.

Céline Tabou

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